Avant la colonisation Européenne, le territoire qui correspond au Mexique actuel était habité par de nombreuses populations qui occupaient deux aires culturelles distinctes: l'Amérique aride au nord peuplée principalement par des chasseurs-cueilleurs et la Méso-Amérique au sud peuplée par des fermiers depuis 2500 av. JC. Les restes archéologiques montrent que la frontière entre ces deux zones s'est déplacée vers le sud entre l'an 900 et l'an 1300 de notre ère à la suite de nombreuses sécheresses. Certains ont prétendu que cette période de sécheresses a été accompagnée par un remplacement de populations à la zone frontière nord de la Méso-Amérique correspondant à l'arrivée d'une population de chasseurs-cueilleurs venus du nord: les Chichimèques qui a précipité la chute des civilisations pré-Hispaniques et l'abandon des villes Méso-Américaines dans le Mexique central et du sud-est.

Viridiana Villa-Islas et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Demographic history and genetic structure in pre-Hispanic Central Mexico. Ils ont étudié le génome de 37 individus issus de sept sites archéologiques de Méso-Amérique dans le centre du Mexique: Toluquilla, Ranas et Cadereyta de Montes situés dans la Sierra Gorda, Zaragoza, Tanhuato et La Mina dans l'état Michoacán et Cañada de la Virgen dans l'état de Guanajuato. A ceux-ci ont été ajoutées deux momies issues de la Sierra Tarahumara. Des résultats autosomaux ont été obtenus pour douze individus datés entre 600 et 1351, ainsi que des résultats mitochondriaux pour 27 individus datés entre 320 et 1351. A ces nouveaux résultats, les auteurs ont ajouté les génomes d'anciens individus préalablement publiés afin d'obtenir un total de 15 génomes et 36 mitogénomes:

2023_VillaIslas_Figure1.jpg, mai 2023

Tous les hommes appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: Q1a2a1. Les mitogénomes appartiennent aux haplogroupes: A (n = 10), B (n = 9), C (n = 4) et D (n = 4). Si tous ces haplogroupes sont trouvés en Méso-Amérique, seuls les haplogroupes B et C sont trouvés en Amérique aride.

De manière intéressante la composition mitochondriale des anciens individus ressemble à la composition mitochondriale de la population actuelle Amérindienne suggérant une continuité génétique maternelle sur 2300 ans. Sur les sites de la Sierra Gorda, quatre individus se regroupent dans la même clade, dont deux sont datés d'avant la période de sécheresses et deux datés d'après cette période, suggérant localement une continuité génétique maternelle avant et après la période de sécheresses contredisant ainsi l'hypothèse d'un remplacement de la population:

2023_VillaIslas_Figure2.jpg, mai 2023

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales à partir des génomes autosomaux. Tous les anciens individus du Mexique pré-Hispanique se regroupent ensemble avec la population actuelle du Mexique de la même région à l'exception de MOM6_ST_a qui se situe en position intermédiaire entre les populations actuelles du nord (en vert) et celles du centre (en violet):

2023_VillaIslas_Figure3A.jpg, mai 2023

Là encore de manière intéressante, les anciens individus de la Sierra Gorda d'avant et d'après la période de sécheresses se regroupent entre eux, suggérant une fois de plus une continuité génétique dans cette région entre les périodes pré et post sécheresses. Tous ces résultats sont confirmés par l'analyse avec le logiciel ADMIXTURE puisque les anciens individus de la Sierra Gorda d'avant et d'après la période de sécheresses ont des compositions génétiques similaires. Dans la figure ci-dessous les populations actuelles sont situées en haut et les anciennes en bas:

2023_VillaIslas_Figure3B.jpg, mai 2023

Les auteurs ont ensuite mesuré la diversité nucléotide conditionnelle (CND) et les segments d'homozygotie (ROH). Ces deux estimations montrent que les populations pré-Hispanique et actuelle du nord du Mexique ont les plus faibles valeurs de CND et plus fortes valeurs de ROH suggérant une plus faible taille de la population. Les anciens individus de Sierra Tarahumara, Toluquilla et Cañada de la Virgen ont des valeurs similaires de CND et ROH correspondant a des faibles tailles de population.

Enfin l'ensemble des analyses: statistiques f3 et D, les logiciels qpGraph et qpWave, suggère une continuité génétique avant et après la période de sécheresses.

Ensuite les auteurs ont essayé de modéliser le génome des anciens individus de cette étude en fonction des ascendances ancestrales Nord Amérindiennes (NNA) caractérisée par les Athabaskans actuels et Sud Amérindiennes (SNA) caractérisée par l'ancien individu d'Anzick. Ce modèle intègre une séparation de l’ascendance SNA en deux sources S2A et S2B. Les anciens individus du Mexique montrent différentes proportions de ces composantes. Ainsi la population de la Sierra Gorda (SG dans la figure A ci-dessous) possède 64% de la composante S2B contre 37% pour la population de Cañada de la Virgen, (CdV dans la figure B ci-dessous) suggérant des histoires démographiques différentes pour ces populations malgré leur proximité géographique:

2023_VillaIslas_FigureS26.jpg, mai 2023

Des études précédentes ont montré l'existence d'une population fantôme désignée par le terme UpopA dans la population actuelle Mixe du Mexique. Les auteurs ont ainsi recherché la présence de cette population fantôme chez les anciens individus de cette étude. Ainsi les anciennes populations de Sierra Tarahumara et de Cañada de la Virgen possèdent une contribution de la population fantôme UpopA, avec une proportion respective de 28% et 17%. Alors que cette population fantôme n'est pas présente chez les autres anciens individus du Mexique. En modélisant ensemble les anciens individus de Sierra Tarahumara et de Cañada de la Virgen et la population actuelle Mixe, les auteurs montrent que la population Mixe et les anciens individus de Sierra Tarahumara partagent la même population fantôme UpopA, alors que les anciens individus de Cañada de la Virgen requièrent une population fantôme différente appelée UPopA2:

2023_VillaIslas_Figure5.jpg, mai 2023