Le peuplement de la côte atlantique par des sociétés maritimes est un sujet central de l'archéologie de l'Amérique du sud. Le long de 3000 km de côte au Brésil, des populations semi-sédentaires ont produit des milliers d'amas coquilliers localement connus sous le nom de sambaquis dans la langue tupi, pendant environ 7000 ans. L'alimentation de ces sociétés est basée sur une économie mixte combinant des ressources aquatiques et des plantes complémentées par la chasse de mammifères terrestres et l’horticulture. Les sambaquis sont le résultat de dépôts sur le long terme de coquillages, restes de poissons, de plantes, d'artefacts, de débris de combustion et de sédiments locaux. Ils servaient de marqueurs territoriaux, d'habitats, de cimetières et de sites cérémonieux. Certains amas peuvent atteindre une hauteur de 30 m et contenir des centaines de sépultures, suggérant une forte densité démographique. Au sud de l'état de Sao Paulo, une enclave singulière éloignée de la côte abrite des sites sambaquis dans la forêt. Notamment le site de Capelinha localisé au bord d'une rivière abrite un homme qui a été daté de 10.400 ans. Cet individu a été nommé Luzio en référence à Luzia une femme dont le squelette daté de la fin du Pléistocène a été retrouvé dans la région de Lagoa Santa dans le centre est du Brésil. Les premières traces humaines sur la côte datent entre 8700 et 7000 ans avec une intensification du nombre des sambaquis entre 5500 et 2200 ans. La relation entre les sociétés sambaquis de la côte et le long des rivières à l'intérieur des terres est encore sujet au débat. La disparition des sociétés sambaquis à partir de 2000 ans commence lorsque les amas coquilliers sont remplacés par des amas de restes de poissons. Cette évolution semble liée aux changement climatiques et leurs impacts sur les ressources disponibles. Entre 1200 et 900 ans une poterie non décorée correspondant à la culture Taquara-Itararé apparaît pour la première fois sur la côte sud du Brésil. La population correspondante est formée d'horticulteurs qui sont arrivés sur les hauteurs du sud du Brésil il y a environ 3000 ans. Ils incinéraient leurs morts. Ils sont considérés comme les ancêtres des populations actuelles du sud Brésil parlant une langue . Peu de temps après l’apparition des céramiques Taquara-Itararé, une population parlant une langue Tupi-Guarani arriva dans la région en provenance du sud de l'Amazonie. Ils produisaient une céramique peinte en rouge et noir.

Tiago Ferraz et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genomic history of coastal societies from eastern South America. Ils ont séquencé le génome de 34 anciens individus issus de 11 sites archéologiques du Brésil datés des 10.000 dernières années:

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Le plus ancien individu de cette étude est Luzio du site de Capelinha. Son écart de 3000 ans avec les autres sépultures du même site interroge sur son appartenance à la société sambaqui. La statistique f4 montre qu'aucun autre ancien individu de la région montre plus d'affinité avec Luzio. Ce résultat suggère que la population de Luzio n'a pas contribué génétiquement aux populations Brésiliennes plus récentes. La comparaison entre le génome de Luzio et d'autres anciens individus d'Amériques préalablement publiés et datés de la même époque que lui suggère une rapide migration des premiers peuplements de l'Amérique du sud. Une étude précédente avait montré que les plus anciens génomes d'Amérique du sud issus des sites de Los Rieles au Chili (11.900 ans) et Lapa do Santo du Brésil (9600 ans) avaient une plus forte affinité génétique avec l'ancien individu de la culture Clovis: Anzick-1, situé en Amérique du nord, qu'un autre ancien individu du site de Lauricocha du Pérou daté de 8600 ans. La statistique f4 montre que les individus Luzio et celui du site de Sumidouro (10.100 ans) n'ont pas une plus faible affinité génétique avec Anzick-1 qu'avec les individus de Los Rieles et de Lapa do Santo, mais n'ont pas également plus d'affinité avec Anzick-1 qu'avec l'individu de Lauricocha . Ces résultats suggèrent un gradient de la contribution génétique d'Anzick-1 parmi les anciens chasseurs-cueilleurs d'Amérique du sud lié à une seule migration initiale en Amérique du sud, plutôt que deux migrations différentes, l'une avec une contribution d'Anzick-1 et l'autre sans.

2023_Ferraz_FigureE1.jpg, août 2023

Les auteurs ont ensuite analysé le génomes des anciens individus de cette étude issus de sites sambaquis des rivières: Laranjal (n = 2, 6,700 ans) et Moraes (n = 1, 5,800 ans) et de la côte atlantique: Limão (n = 6, 2700–500 ans), Jabuticabeira II (n = 17, 2500–1300 ans), Cabeçuda (n = 2, 3200 ans) et Cubatão I (n = 2, 2700–2600 ans). Ils ont analysé également un individu issu d'un amas de poissons: Galheta IV (1200 ans). Les individus des sambaquis des rivières ont le même profil génétique que ceux des sambaquis de la côte, sauf avec l'ancien individu issu du site de Limão, situé plus au nord.

Le site de Jabuticabeira II est celui qui inclut le plus d'ancien individus analysés dans cette étude: 17. La comparaison de ces 17 individus montre qu'ils peuvent être regroupés en trois clusters distincts. Le groupe principal comporte 14 individus datés entre 2500 et 2300 ans, dont 12 ne sont pas reliés au premier degré. Le second groupe comporte deux individus reliés au premier degré et datés entre 2200 et 2100 ans. Le troisième groupe comporte un seul individu daté de 1300 ans. Ce dernier individu se distingue des autres d'après les études archéologiques car il est position étendue et non pas fléchie comme les autres, et il n'a pas de mobilier associé. Les études montrent que ces trois groupes sont plus proches les uns des autres que des autres anciennes groupes du Brésil.

Les auteurs ont également mis en évidence une affinité génétique entre certains individus de la société sambaqui (notamment l'individu le plus récent du site archéologique de Jabuticabeira II, et la population actuelle des Kaingang vivant dans le sud du Brésil. Ce résultat confirme le lien entre les sociétés sambaquis et les populations parlant une langue Jé. Ce résultat est confirmé par la comparaison avec les populations actuelles, qui montre que les sambaquis sont plus proche de la population Xavánte qui parle également une langue Jé. Néanmoins l'ancien individu le plus récent du site sambaqui Limão daté de 500 ans montre une affinité génétique avec la population actuelle Zoró, qui parle une langue Tupi-Mondé. L'absence de cette affinité chez les individus plus anciens de ce site indique que la composante Tupi est arrivée sur la côte Brésilienne entre 1900 et 500 ans.

Afin d'investiguer les sources des populations Tupi ou Jé qui sont arrivées sur la côte Brésilienne, les auteurs ont également testé deux anciens individus dans le Cerrado, région du nord-est du Brésil et proche de la basse forêt Amazonienne, associées respectivement à la tradition archéologique Una (Vau_Una 600 ans) qui a produit une céramique réalisée par une société horticole, et à la tradition archéologique Koriabo (Palmeiras_Xingu 500 ans) peut-être liée à la diffusion des populations Caraïbes en Amérique du sud. La statistique f4 montre ainsi que l’individu Vau_Una est plus proche des populations actuelles Xavánte, que Tupi ou Caraïbe. Ce résultat montre ainsi un lien entre la poterie Una et les populations de langue Jé. La statistique f4 montre également que l'individu Palmeiras_Xingu a des affinités génétique avec la population Caraïbe des Arara, et la population Tupi des Surui Paiter. Les deux anciens individus Vau_Una et Palmeiras_Xingu sont plus proche génétiquement de l'individu du site de Limão que de tout autre ancien individu sambaqui. Ces résultats suggèrent que les sociétés sambaquis du sud et du sud-est ne formaient pas une population homogène génétiquement malgré leur similarité culturelle qui ressort des preuves archéologiques. Ces deux régions ont eu des trajectoires démographiques différentes.

2023_Ferraz_FigureE8.jpg, août 2023

Tous les hommes de cette étude appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: Q1b, dont les plus hautes fréquences sont en Amérique du sud. Les haplogroupes mitochondriaux sont A2, B2, C1b, C1c, C1d1 et D1, à l'exception de l’ancien individu Loca_Do Suin daté de 9100 ans qui appartient à l'haplogroupe très rare C4c. Ce résultat suggère que cet haplogroupe est arrivée aux Amériques avec le premier peuplement de ce continent. L'analyse des segments d'homozygotie sur la population du site de Jabuticabeira II datée de 2400 ans, montre une grand nombre de petits segments suggérant une faible taille de cette population. De manière intéressante les individus plus récents montrent un accroissement de l'hétérozygotie probablement associé au flux de gènes apporté par les populations de langue Jé.