Entre le sixième et le début du neuvième siècle de notre ère, les Avars dominaient dans l'est de l'Europe Centrale. Originaires d'Asie du centre est, probablement issus du khanat des Ruanruan détruit par les Turcs, ils étaient un groupe de guerriers des steppes qui sont arrivés au nord du Caucase vers l'an 557 ou 558, puis dans le bassin des Carpates vers 567 ou 568. Cette région est devenue le centre de l'empire Avar où ils se sont installés au milieu de diverses populations issues de l'ancien empire Romain désintégré. Après quelques raids dans les Balkans contre l'empire Byzantin qui finirent vers l'an 626, ils se sont sédentarisés. Les restes archéologiques consistent alors en des habitats stables associés à de grands cimetières contenant jusqu'à des centaines de tombes. La culture Avare a persisté jusqu'à l'arrivée des armées de Charlemagne vers l'an 800. Leurs titres turcs mentionnés dans les écrits historiques indiquent que leur culture d'Asie centrale et leur structure politique a perduré jusqu'à la fin de leur empire.

Les pratiques familiales et l'organisation sociale des sociétés du passé sont difficiles à évaluer à partir des seules informations archéologiques et historiques. Les relations biologiques ne correspondent pas forcément aux relations sociales, mais peuvent néanmoins fournir un outil puissant pour déterminer des éléments des relations sociales du passé. Guido Alberto Gnecchi-Ruscone et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Network of large pedigrees reveals social practices of Avar communities. Ils ont séquencé le génomes de centaines d'anciens Avars issus de quatre cimetières localisés en Hongrie soit dans l'interfluve Danube-Tisza (DTI): cimetières de Kunpeszér (33 tombes) et de Kunszállás (63 tombes), soit dans la région située à l'est de la rivière Tisza: Transtisza (TT): cimetières de Rákóczifalva (279 tombes) et Hajdúnánás (18 tombes). Les auteurs ont également réalisé des mesures de datation radiocarbone et des mesures isotopiques:

2024_Gnecchi_Figure1.png, mai 2024

Afin de déterminer des relations familiales entre les anciens individus, les auteurs ont utilisé le logiciel KIN qui permet de déterminer des relations aux premier, second et troisième degrés, même à partir de génomes de faible couverture. Le résultat montre qu'il n'y a pas de relations proches entre deux individus issus de deux cimetières différents. Par contre à l'intérieur de chacun des cimetières, il y a de nombreuses relations familiales. Ils ont ainsi mis en évidence 373 paires d'individus reliées au premier degré et plus de 500 paires reliées au second degré. Ces relations ont permis aux auteurs de reconstruire 31 arbres généalogiques différents contenant chacun entre deux à 146 individus, ce dernier s'étalant sur neuf générations. Ces résultats indiquent une société fortement patrilinéaire suggérant une patrilocalité et une exogamie féminine:

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Sur l'ensemble de ces individus, seuls 64 n'ont aucune relation familiale: 51 femmes et 13 hommes. Les adultes de plus de 18 ans représentent 83% des tombes de ces quatre cimetières, avec approximativement autant d’hommes que de femmes. Cependant à Rákóczifalva, les arbres généalogiques reconstitués possèdent deux fois plus d'hommes que de femmes. Dans ce cimetière, il y a 102 fils déterminés (77 adultes et 25 enfants) contre seulement 20 filles (5 adultes pour 15 enfants). Une patrilinéarité stricte peut être observée dans ces arbres généalogiques. Une seule femme adulte possède des enfants enterrés dans le même cimetière, son mari est absent et son fils est relié au second degré aux autres membres de l'arbre généalogique, via son père absent. Les pères fondateurs de ces arbres généalogiques avaient un statut social important, car ils sont enterrés avec un riche mobilier archéologique: harnachement de chevaux (au début de la période Avare) et équipement de ceinture. On retrouve les mêmes tendances dans les arbres généalogiques issus des trois plus petits cimetières.

Ces résultats sont confirmés par l'analyse des haplogroupes du chromosome Y et mitochondriaux. Il y a en effet, dans le cimetière de Rákóczifalva, seulement deux lignages paternels: J1a-Z2317 et J2b-CTS11760, alors qu'il y a plus de cinquante lignages féminins. Dans les cimetières de Kunszállás et Kunpeszér, il y a une seule lignée masculine N1a-Y16220 et une vingtaine de lignées féminines. Enfin tous les hommes du cimetière de Hajdúnánás sont de l'haplogroupe Q1a-L715.

L'étude de l'emplacement des tombes dans chaque cimetière indique une forte corrélation biologique et sociale car les individus de la même famille (tombes de la même couleur) sont regroupés ensemble dans le cimetière, comme on peut le voir dans la figure b ci-dessus. A l'intérieur de ces groupes familiaux ont trouve des femmes non reliées familialement. Pour la plupart d'entre elles, il s'agit de jeunes adultes. Ces résultats suggèrent que ces femmes non reliées sont pour la plupart de jeunes femmes venues de l'extérieur pour se marier et qui n'ont pas encore eu d'enfant, ou dont les enfants n'ont pas été retrouvés dans cette étude. Cela indique que l'âge de mariage pour les femmes de ces sociétés Avares était entre 18 et 20 ans. Les plus jeunes femmes avec enfant avaient entre 18 et 22 ans, et les plus jeunes hommes avec enfant avaient entre 24 et 29 ans.

Les auteurs ont également mis en évidence que certains hommes et certaines femmes ont eu plusieurs partenaires durant leur vie. Ainsi uniquement dans le cimetière de Rákóczifalva, il y a quinze hommes qui ont eu plusieurs femmes (deux partenaires dans dix cas, trois partenaires dans quatre cas et quatre partenaires dans un cas) et 7 femmes qui ont eu plusieurs hommes. L'âge des femmes à leur mort semble indiquer qu'il s'agit souvent d'une séquence de plusieurs relations monogames, cependant l'identification de plusieurs femmes âgées à leur mort suggère l'existence également de la polygamie. Ces cas de multiples partenaires ont également été retrouvés dans les autres cimetières suggérant que la polygamie devait exister ponctuellement dans l'ensemble de la population Avare. Ces cas de multiples partenaires existaient notamment entre des hommes proches familialement qui partageaient la même épouse suggérant des cas de lévirat où un frère d'un défunt épouse sa veuve afin de poursuivre la lignée de sa famille. Cette pratique était courante en Asie centrale et dans le Caucase jusqu'à très récemment. D'autre part, les auteurs n'ont pas trouvé de cas de consanguinité dans l'ensemble de ces quatre cimetières à l’exception d'un seul au sixième degré et concernant la seule femme non exogame de cette étude. Ainsi la société Avare avait une structure sociale comparable aux sociétés de pasteurs des steppes Eurasiennes.

De plus les auteurs ont mis en évidence que les femmes exogames avaient un rôle central pour réunir les différents groupes familiaux du même cimetière. Ainsi une femme du cimetière de Rákóczifalva a fait partie de deux unions lévirates en ayant eu quatre partenaires masculins appartenant à deux arbres généalogiques différents, reliant ainsi les deux plus grosses familles de Rákóczifalva. En fait, la plupart des arbres généalogiques du cimetière de Rákóczifalva sont ainsi reliés par des femmes exogames. Le rôle de connecteurs entre familles de ces femmes exogames est encore davantage mis en évidence par une étude de partage entre individus de segments IBD (identiques par descente).

L'étude chronologique de ces différents arbres généalogiques au cimetière de Rákóczifalva, permet de montrer qu'au début de la période Avare, il y avait la coexistence de dix petites familles patrilinéaires. A partir de la moitié du 7ème siècle, seuls trois arbres principaux ont dominé. Notamment la lignée paternelle J1a existe principalement au début de la période Avare, alors que la lignée paternelle J2b prend le dessus par la suite. Ce changement s'est fait apparemment sans violence d'après l'étude anthropologique des squelettes. Il a du avoir de fortes implications sociales dans la société Avare.

L'analyse isotopique montre que la diète des Avares de la première période Avare était basée sur de plus fortes valeurs en carbone et de plus faibles valeurs en azote, que dans les périodes suivantes. Les Avares de la première période devaient manger plus de millet, alors que ceux des périodes suivantes devaient manger plus de viande et de produits laitiers.

L'analyse des génomes de ces anciens individus confirme qu'ils possèdaient tous une certaine proportion d'ascendance des steppes comme on peut le voir dans la figure ci-dessous qui montre une Analyse en Composantes Principales par cimetière:

2024_Gnecchi_Figure4a.png, mai 2024

Notamment 88% d'entre eux possèdent une certaine quantité d'ascendance d'Asie du nord-est mélangée à de l'ascendance d'Eurasie de l'ouest. Cette ascendance d'Asie du nord-est varie de 100% chez un individu du cimetière de Kunpeszér à 32% chez un individu du cimetière de Rákóczifalva. Ce mélange génétique a commencé dans la population Avare bien avant leur arrivée dans le bassin des Carpates. Les auteurs considèrent que la proportion d'ascendance locale aux Carpates représente en moyenne 20% dans la population Avare.

Ces résultats confirment l'arrivée et l'établissement dans le bassin des Carpates de communautés entières d'ascendance des steppes. Ces communautés steppiques génétiquement et culturellement distinctes se sont installées dans la région et, malgré un certain mélange avec la population locale, sont restées distinctes au cours de la période Avar.