Le croissant fertile qui s'étend du sud du Levant à l'est de l'Anatolie et plus loin vers la Haute Mésopotamie et les monts Zagros, a été le lieu d'émergence en Eurasie de l'ouest, de l'agriculture et de la domestication des animaux à la transition entre le Pléistocène et l'Holocène, il y a environ 12.000 ans. Avant cette transition, les preuves archéologiques montrent que les chasseurs-cueilleurs de ces régions ont fait des voyages sporadiques en bateau dans l'île de Chypre située à l'est de la Méditerranée. Dans les deux millénaires qui ont suivi cette transition, des groupes de fermiers du Néolithique se sont installés sur cette île et y ont introduit l'agriculture et l'élevage à la période pré-céramique (PPNA et PPNB). Le lieu d'origine de ces premiers fermiers reste inconnu. La présence de suidés sur le site épi-paléolithique de Akrotiri-Aetokremnos il y a environ 12.500 ans, ainsi que les vestiges archéologiques pointent vers une origine Levantine. Cependant l'analyse géochimique des outils en obsidienne indique que la matière première est issue d'Anatolie Centrale.
La paléo-génétique peut apporter des indices supplémentaires dans la recherche de cette origine. En effet les premières études de paléo-génétique au Proche Orient montrent une forte hétérogénéité entre les populations du début du Néolithique au Levant, en Anatolie, en Mésopotamie et dans les monts Zagros. Cette distinction a permis de montrer que les premiers fermiers d'Europe venaient d'Anatolie.
Alexandros Heraclides et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Palaeogenomic insights into the origins of early settlers on the island of Cyprus. Ils se sont concentrés sur trois génomes issus du site du Néolithique pré-céramique PPNB de Kissonerga-Mylouthkia situé à l'ouest de Chypre, et préalablement publiés dans une étude de paléo-génétique sur la région Proche-Orientale. Ces trois génomes sont issus de squelettes retrouvés dans un puits. Ils n'ont pas été datés directement par une mesure radiocarbone des os. Cependant par comparaison avec d'autres sites de l'île de Chypre, les auteurs estiment que leur datation est comprise entre 7600 et 6800 av. JC.
La recherche de relations familiales entre ces trois individus montre qu'ils ne sont pas apparentés. Les auteurs ont ensuite comparé ces trois génomes à d'autres anciens génomes de la région préalablement publiés et datés entre 14.000 et 5000 ans:
Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les trois génomes de Chypre sont représentés par des losanges roses. Ils sont localisés proches d'un groupe de fermiers d'Anatolie. Un en particulier est situé à l'intérieur d'un groupe de fermiers de la phase céramique d'Anatolie (carrés oranges bordés de noir) et premiers fermiers d'Europe (carrés rouges bordés de noir). Les deux autres sont cependant légèrement décalés vers les groupes Levantins, bien qu'appartenant encore clairement aux groupes Anatoliens:
L'analyse avec le logiciel qpAdm montre que les trois fermiers de Chypre peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population épi-paléolithique d'Anatolie Centrale en jaune ci-dessous (68%), une population épi-paléolithique Levantine en rouge (20%) et une composante Mésolithique des monts Zagros ou du Caucase en bleu (12%):
Ce profil génétique des premiers fermiers Chypriotes est unique et ne se retrouve pas dans les populations contemporaines du continent. Il peut refléter un processus démographique propre à l'île de Chypre ou alors identique à une population continentale non encore échantillonnée. Parmi les différents individus pris en compte dans cette étude, seuls un épi-paléolithique de Pınarbaşı ou des fermiers acéramiques de Boncuklu et Aşıklı Höyük, tous trois situés en Anatolie Centrale, peuvent être considérés comme des ancêtres des fermiers de Chypre. Ces résultats sont confirmés par l'analyse du partage d'allèles et par la statistique f4.
Les fermiers de Chypre peuvent également être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population de fermiers pré-céramiques de Boncuklu en Anatolie Centrale (83%) et une population épi-paléolithique du Levant (17%) ou un mélange entre une population de fermiers pré-céramiques de Boncuklu en Anatolie Centrale (74%) et une population PPNB du Levant (26%), ou encore un mélange entre une population de fermiers pré-céramiques de Aşıklı Höyük en Anatolie Centrale (95%) et une population épi-paléolithique du Levant (5%) ou encore un mélange entre une population épi-paléolithique de Pınarbaşı en Anatolie Centrale (65%) et une population PPNB du Levant (35%). Les auteurs n'ont pas pu cependant déterminer quel modèle parmi ces quatre, était le plus vraisemblable. L’utilisation du logiciel DATES montre que ce mélange génétique a eu lieu entre 14.000 et 10.000 ans av. JC.
Origine paléo-génétique des premiers habitants de l'île de Chypre
jeudi 16 mai 2024. Lien permanent ADN ancien