En Europe à l'Holocène, deux transformations démographiques majeures ont eu lieu. La première est associée à l'arrivée de l'agriculture au début du Néolithique. La seconde est associée aux migrations issues des steppes Pontiques à la fin du Néolithique via la diffusion des cultures Cordée et Campaniforme. Vers 2600 av. JC, les gobelets de styles AOO et AOC apparaissent dans des sépultures individuelles dans le delta du Rhin et de la Meuse, souvent en association avec des poignard en silex de Pressigny. Leur apparition dans le nord et centre/ouest de la France suggère une diffusion rapide vers le sud. Ainsi les sépultures de Blignicourt datée entre 2857 et 2488 av. JC. et de Ciry-Salsogne datée entre 2574 et 2452 av. JC. appartiennent à un petit ensemble de tombes contenant des gobelets AOC et des poignards en silex de Pressigny reliant le nord et le sud de l'Europe occidentale. Les sépultures campaniformes associées à des gobelets, des poignards et un matériel caractéristique des archers ont été trouvées dans toute l'Europe centrale et occidentale du Maroc à l’Écosse, et de la péninsule Ibérique à la Hongrie, dans un contexte souvent associé à la production de métal, dans des habitats fortifiés au Portugal, dans des mégalithes ou des grottes en France et en Italie et dans des sépultures individuelles en Europe Centrale et du Nord. L'origine de cette culture est encore débattue, notamment entre la péninsule Ibérique et la vallée du Rhin, sachant notamment que cette question ne peut être résolue seulement à partir de la datation radiocarbone à cause de la présence de plateaux durant le troisième millénaire av. JC. qui entravent la précision des mesures. Les précédentes études de paléo-génomique ont montré que la diffusion des cultures cordée et campaniforme en Europe est associée à l'arrivée de l'ascendance des pasteurs des steppes composée d'un mélange de composantes des chasseurs-cueilleurs de l'est (EHG) et des chasseurs-cueilleurs du Caucase (CHG). Cette arrivée est concomitante à l'apparition des haplogroupes du chromosome Y: R1a-M417 et R1b-M269 en Europe centrale et occidentale.
Oğuzhan Parasayan et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Late Neolithic collective burial reveals admixture dynamics during the third millennium BCE and the shaping of the European genome. Ils ont analysé le génome de sept individus issus d'une tombe collective du bassin Parisien à Bréviandes les Pointes dans la banlieue de Troyes et datée vers 2500 av. JC., ainsi que le génome d'un individu issu d'une sépulture campaniforme individuelle à Saint-Martin-la-Garenne dans les Yvelines et datée vers 2300 av. JC.:
La tombe collective de Bréviandes les Pointes est une fosse sub-circulaire. Les ossements sont accompagnés par un très rare mobilier archéologique: une perle en os et une patte de chien. Les individus sont identifiés par les symboles: A, B, C, D, E, FK et HI. Il y a trois femmes adultes, un homme adulte, deux jeunes enfants et un nourrisson. Les études anthropologiques ont montré que les trois femmes adultes sont âgées de 20 à 39 ans, 20 à 30 ans et environ 60 ans, l'homme adulte est âgé entre 20 et 30 ans, les deux enfants sont âgés de 4 à 8 ans et de 6 à 10 ans. Les datations radiocarbones effectuées sur les ossements de trois de ces individus ont donné une valeur comprise entre 2580 et 2275 av. JC., entre 2580 et 2284 av. JC. et entre 2706 et 2287 av. JC. Des signes de violence n'ont pas été aperçus sur ces squelettes.
L'analyse génomique a montré qu'un enfant était un garçon et l'autre une fille et que le nourrisson était une fille. Cette tombe contient donc cinq femmes et deux hommes. Les haplogroupes mitochondriaux sont U5b1, K1b1, T2c1 et V. Les haplogroupes du chromosome Y sont tous les deux R1b1-U106. L'étude des génomes a permis de reconstituer la généalogie de ces individus:
L'analyse isotopique du strontium a montré que seuls les deux individus E et B ont des valeurs non locales, et ont migré durant leur enfance sur le site de Bréviandes.
Les auteurs ont ensuite effectué une Analyse en Composantes Principales pour comparer les génomes de cette sépulture (symboles losange rose ci-dessous) avec d'autres génomes:
De manière intéressante, les résultats montrent que les cinq femmes de la sépulture de Bréviandes n'ont pas d'ascendance issue des steppes alors que les deux hommes ont une fraction variable d'ascendance des steppes, notamment le fils HI a deux fois moins d'ascendance des steppes que son père FK (35%). Ces deux individus représentent pour le moment la première apparition de l'ascendance des steppes du nord de la France, dans un contexte Néolithique. Comme la mère de FK qui est l'individu E, n'a pas d'ascendance des steppes du tout, on en déduit que le père de FK non présent dans cette tombe, devait avoir environ 70% d'ascendance des steppes. Ce père devait être contemporain du campaniforme de la sépulture de Ciry-Salsogne et avoir environ la même proportion d'ascendance des steppes que celui-ci. Ce résultat a suggéré aux auteurs de cette étude de séquencer le génome d'un autre campaniforme issu d'une sépulture individuelle du nord de la France. C'est pourquoi ils ont séquencé le génome de l'individu issu de la sépulture campaniforme individuelle de Saint-Martin-la-Garenne dans les Yvelines. Il s'agit d'un homme âgé entre 30 et 49 ans et daté entre 2410 et 2129 av. JC. Cet individu est allongé sur le côté gauche et est accompagné comme seul mobilier archéologique d'un brassard d'archer. Les résultats ont montré qu'il possédait environ 35 à 36% d'ascendance des steppes (losange bleu sur la PCA ci-dessus), donc dans une proportion similaire à celle de l'individu FK de Bréviandes. Il appartient à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-DF27 et à l'haplogroupe mitochondrial T2b3.
Les cinq femmes de la sépulture de Bréviandes se regroupent sur la PCA avec les anciens individus de la fin du Néolithique de la péninsule Ibérique et du sud de la France. C'est résultats sont confirmés sur une PCA représentant les troisième et quatrième composantes qui montre une corrélation nette entre la géographie et la génétique indépendamment de la présence de l'ascendance des steppes:
Ces résultats suggèrent qu'une structure génétique était déjà en place en Europe à la fin du Néolithique et avant l'arrivée de l'ascendance des steppes. De manière intéressante, les cinq femmes du site de Bréviandes et le campaniforme de Saint-Martin-la-Garenne appartiennent au cluster du sud de la France et de la péninsule Ibérique. A l'inverse le père de l’individu FK appartient au cluster du nord de l'Europe.
Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel fastGLOBETROTTER sur 23 anciens individus de France et d'Europe. Le résultat montre que le mélange génétique avec l'ascendance des steppes s'est fait en deux vagues principales datées autour de 2949 av. JC. et 2587 av. JC. qui semblent correspondre à la formation des deux cultures cordée et campaniforme:
En France les sépultures de Bréviandes et de Saint-Martin-la-Garenne sont des témoins de la deuxième vague de mélange génétique. Notamment à Bréviandes, la femme E issue probablement d'une population Néolithique du sud/ouest de la France a rencontré son conjoint non présent dans cette tombe mais issu du nord de le la France, avec une forte proportion d'ascendance des steppes, probablement appartenant à la culture Campaniforme comme l'individu de Ciry-Salsogne. L'individu campaniforme de Saint-Martin-la-Garenne est plus tardif et semble issu également d'un mélange génétique entre un pionnier campaniforme peut-être associé à un gobelet AOC et un individu issu d'une population Néolithique du sud-ouest de la France.
Mise à jour
Vous pouvez écouter l'émission de L'Entretien archéologique sur France Culture: Bréviandes : à la croisée des peuples néolithiques du samedi 4 octobre 2024:
Vous pouvez voir ci-dessous la conférence donnée le 5 février 2025 au musée d'archéologie nationale à Saint Germain en Laye par Eva-Maria Geigl: