La transition Néolithique en Eurasie occidentale est apparue en Asie de l'ouest entre 11.000 et 7000 av. JC. Les précédentes études de paléo-génétique ont montré que ce processus a émergé simultanément à travers des expérimentations culturelles des communautés de chasseurs-cueilleurs du croissant fertile au Levant, en Anatolie centrale en Mésopotamie et dans les monts Zagros. Au contraire, la diffusion du Néolithique en Europe s'est faite par la migration à grande échelle de fermiers venus de la région Égéenne. L'Anatolie de l'ouest a joué un rôle unique dans ce scénario. Elle n'est pas une des régions d'origine où le Néolithique a émergé, mais elle est potentiellement à l'origine de la Néolithisation de l'Europe. Au début de l'holocène, elle était peuplée de populations de chasseurs-cueilleurs connectés à leurs voisins comme le montre l'étude de leurs outils lithiques. A partir, de 9000 av. JC. des villages de populations sédentaires apparaissent dans le croissant fertile, dont l'Anatolie centrale. Mais ceux-ci n'apparaissent pas en Anatolie de l'ouest avant 7000 av. JC. Vers 6500 av. JC. les villages d’Anatolie occidentale sont associés pleinement au package néolithique. L'archéologie a montré que les villages néolithiques d'Anatolie du nord-ouest montrent des connections culturelles et liées aux échanges de l'obsidienne avec l'Anatolie centrale, suggérant qu'ils ont été créés par des migrants venus de cette région. A l'inverse, les villages d'Anatolie du centre/ouest montrent des caractéristiques qui semblent venir du Levant. Cependant ces hypothèses restent spéculatives en l'absence d'étude de paléo-génétique. Aujourd’hui, les seuls échantillons d'ADN ancien obtenus de cette région sont issus du site archéologique de Barcin situé dans le nord-ouest de l'Anatolie et montrent une affinité génétique avec les populations d'Anatolie centrale, mais aussi avec les populations Mésolithiques d'Europe.

Dilek Koptekin et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Out-of-Anatolia: cultural and genetic interactions during the Neolithic expansion in the Aegean. Ils ont analysé le génome de trente anciens individus issus de cinq sites archéologiques d'Anatolie de l'ouest et d'un site d’Anatolie centrale, et datés entre 7700 et 6300 av. JC.:

2024 Koptekin Figure 1.png, juil. 2024

L'échantillon le plus ancien de cette étude est issu du site de Girmeler en Anatolie du sud-ouest. Il est daté entre 7738 et 7597 av. JC. Son profil génétique est similaire à celui des anciens chasseurs-cueilleurs d'Anatolie, notamment celui du site de Pınarbaşı en Anatolie centrale daté du 14ème millénaire av. JC. Il est également similaire au génome d'un individu Néolithique du 7ème millénaire av. JC. du site d'Aktopraklık, en Anatolie du nord-ouest:

2024 Koptekin Figure 2.png, juil. 2024

Les modèles obtenus à l'aide du logiciel qpAdm montrent que ces génomes peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population Néolithique du Levant (composante verte ci-dessous) et une population de chasseurs-cueilleurs des Balkans (composante noire). Cependant le génome de Girmeler a un profil génétique différent de ceux des génomes contemporains issus des sites d'Aşıklı et Boncuklu en Anatolie centrale. En effet ces derniers peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population des chasseurs-cueilleurs d'Anatolie (composante bleue: 65%) et une population Néolithique issue du site de Çayönü situé en Haute Mésopotamie (composante rouge: 35%). Ainsi la composante rouge Mésopotamienne s'est diffusée en Anatolie centrale entre 13.000 et 8000 av. JC. sans atteindre l'ouest de l’Anatolie à cette époque. L'individu de Girmeler fait donc partie d'une population locale qui a expérimenté le mode de vie Néolithique en relation avec ses voisins de l'est:

2024 Koptekin Figure 3.png, juil. 2024

Durant le 7ème millénaire av. JC., des migrants venus du croissant fertile s'installent en Anatolie de l'ouest. En effet à cette époque les génomes des anciens individus d’Anatolie de l'ouest sont similaires à ceux d’Anatolie centrale avec une forte proportion de composante Mésopotamienne. Ces résultats montrent que ces migrants ne viennent pas du Levant mais plutôt d'Anatolie centrale ou de Haute Mésopotamie. La néolithisation de l'Anatolie occidentale ne s'est donc pas faite par la mer. Une exception notable à ce scénario est le génome d'Aktopraklık qui présente un profil génétique similaire à celui de la population locale de chasseurs-cueilleurs. La modélisation avec le logiciel qpAdm montre que la population Néolithique d'Anatolie occidentale peut être modélisée comme issue d'un mélange génétique entre une population locale de chasseurs-cueilleurs (entre 28 et 53%) et une population néolithique d'Anatolie centrale (entre 47 et 72%). Ce processus de mélange génétique montre une forte hétérogénéité régionale.

Ces résultats ont également un impact sur le processus de Néolithisation de l'Europe. En effet le profil génétique des premiers fermiers d'Europe est très similaire à celui des fermiers d'Anatolie de l'ouest. Comme ce profil génétique s'est formé récemment après 7000 av. JC., il est impossible que les chasseurs-cueilleurs de Grèce avaient ce même profil génétique. L'origine de la migration responsable de la Néolithisation de l'Europe est bien située en Anatolie de l'ouest et non pas en Grèce. Ainsi les génomes de Grèce du nord datés du début du Néolithique issus des sites de Revenia et Nea Nikomedeia sont très similaires à ceux d'Anatolie de l'ouest. L'analyse des segments IBD montrent que les génomes grecs ont autant d'affinité génétique avec les génomes du nord, du centre ou du sud de l'Anatolie occidentale. Curieusement les génomes grecs du début du Néolithique ne montrent pas de proportion d'ascendance issue des chasseurs-cueilleurs des Balkans suggérant que la population migrante venue d'Anatolie de l'ouest était beaucoup plus nombreuse que la population des chasseurs-cueilleurs de Grèce.