Généalogie génétique

L'ancienne cité maya de Chichén Itzá est située dans le nord de la péninsule du Yucatán. Il s'agit d'un des plus grands et des plus iconiques sites archéologiques de Mésoamérique. Son expansion a eu lieu durant la fin de la période classique entre 600 et 800. Elle devient le centre politique dominant de la région maya entre 800 et 1000, à une période où la plupart des sites mayas classiques s'effondre. La grande majorité des dates calendaires gravées sur des monuments de Chichén Itzá sont comprises entre 850 et 875. Le centre cérémonial du nord de la cité dont la plus grande structure retrouvée: El Castillo aussi connu pour être le temple de Kukulkán, a été construit après 900. Une chaussée de calcaire permet de relier ce centre cérémonial avec le Cénote sacré, une énorme doline remplie d'eau contenant de nombreuses offrandes rituelles, dont les restes de plus de 200 individus sacrifiés, essentiellement des enfants. L'activité du site décline au 11ème siècle, mais le site reste un lieu de pèlerinage durant la période coloniale. En 1967, un chultún réutilisé a été découvert à proximité du Cénote sacré. Il contenait les restes de plus de cent enfants. Comme pour les cénotes, les chultún sont connus pour le stockage de l'eau et des activités rituelles liées au culte de l'eau, de la pluie et à des sacrifices d'enfants. Ils sont également vus comme des points d'accès au monde souterrain des anciens mayas. D'après les sources espagnoles, ces enfants sacrifiés étaient obtenus par enlèvements, achats ou échanges.

Rodrigo Barquera et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomes reveal insights into ritual life at Chichén Itzá. Ils ont analysé le génome de 64 enfants issus du chultún découvert en 1967 à Chichén Itzá. Ces génomes ont été également comparés à ceux de 68 mayas contemporains de la cité de Tixcacaltuyub, voisine du site de Chichén Itzá, ainsi qu'à d'autres génomes anciens ou contemporains de la région:



Les datations radiocarbone montrent que ce chultún a été utilisé pendant près de 500 ans entre le 7ème et le 12ème siècles. Les résultats génétiques montrent que tous ces enfants sont des garçons. De plus la recherche de liens familiaux entre ces individus a permis de montrer qu'il y a deux paires de jumeaux identiques (YCH018–YCH019 et YCH033–YCH054) et neuf autres paires d'individus reliés étroitement. Ainsi environ un quart de ces enfants ont une relation familiale proche avec un autre enfant de ce chultún. Les jumeaux sont particulièrement propices dans la mythologie maya et le sacrifice de jumeaux est un thème central du livre sacré du conseil maya quiché, le Popol Vuh, un livre rédigé pendant la période coloniale mais dont les sources remontent à la période préclassique maya. Dans le Popol Vuh, les jumeaux Hun Hunahpu et Vucub Hunahpu descendent dans le monde souterrain et sont sacrifiés par les dieux après une défaite lors d'un jeu de balle. La tête de Hun Hunahpu est ensuite suspendue à un arbre à calebasse, et sa salive féconde une jeune fille qui donne naissance à une deuxième paire de jumeaux, Hunahpu et Xbalanque. Ces jumeaux, connus sous le nom de jumeaux héros, vont ensuite venger leur père et leur oncle en subissant des cycles répétés de sacrifices et de résurrections pour déjouer les dieux du monde souterrain. Les jumeaux héros et leurs aventures sont largement représentés dans l'art maya classique et étant donné que les structures souterraines étaient considérées comme des entrées vers le monde souterrain, les sacrifices de jumeaux et de leurs proches dans le chultún de Chichén Itzá peuvent rappeler des rituels impliquant les jumeaux héros.

Les auteurs ont étudié la diète de ces enfants à partir des valeurs isotopiques du carbone et de l'azote. Les valeurs du carbone sont situées entre −13,9‰ et −7,6‰ et les valeurs de l'azote sont comprises entre 5,9‰ et 14,0‰. Ces valeurs sont similaires à celles préalablement obtenues sur des mayas de la période classique. Quelques individus (YCH004, YCH008, YCH023, YCH039, YCH047 et YCH061) ont des valeurs isotopiques de l'azote plus importantes pouvant révéler une diète avec plus de ressources marines ou d'autres variations diététiques liées au statut social de ces individus.

Les auteurs ont ensuite effectuer une Analyse en Composantes Principales pour comparer les génomes de cette étude à d'autres génomes anciens ou contemporains. Dans la figure ci-dessous les anciens mayas du chultún de Chichén Itzá sont représentés par des étoiles violettes et les mayas actuels de la ville de Tixcacaltuyub son représentés par des étoiles bleu foncé:



Les enfants mayas de Chichén Itzá (YCH) se regroupent tous ensemble avec les populations Amérindiennes non mélangées avec une population Européenne ou Africaine. A l'inverse les habitants de Tixcacaltuyub (TIX) s'étirent sur un gradient dirigé vers les populations Européennes suggérant qu'une partie de ces individus sont issus d'un mélange génétique post-colonial. Ces résultats sont confirmés par l'analyse avec le logiciel ADMIXTURE:



De manière intéressante une analyse ADMIXTURE étendue à des populations des Caraïbes montre que les mayas du chultún de Chichén Itzá possèdent une faible proportion d'ascendance issue des populations des Caraïbes (en jaune ci-dessous) contrairement à la population actuelle de Tixcacaltuyub:



Les enfants de Chichén Itzá possèdent également plus d'affinité génétique avec les populations anciennes ou actuelles d'Amérique centrale et du sud. Parmi seulement les anciens individus, ces enfants sont plus proche génétiquement d'un ancien individu daté de 9300 ans et issu du site de Mayahak Cab Pek situé dans la région maya, au sud du Belize. Tous ces résultats suggèrent une forte continuité génétique sur le long terme dans la région maya. Ces résultats suggèrent que les enfants sacrifiés de Chichén Itzá étaient prélevés dans des communautés mayas voisines. En moyenne, le génome des habitants de la ville de Tixcacaltuyub peuvent être modélisés comme issu d'un mélange génétique entre une ancienne population de Chichén Itzá (92%), une population Espagnole (7%) et une population Africaine.