La péninsule Ibérique située à l'extrémité sud-ouest de l'Europe, est une région isolée géographiquement. Les preuves archéologiques indiquent que cette région est occupée par l'homme depuis au moins 400.000 ans. Elle a par la suite joué un rôle crucial de refuge durant le dernier maximum glaciaire. Lorsque le climat s'est réchauffé il y a environ 14.000 ans, les populations ont repeuplé le continent européen durant le Mésolithique. Les vestiges archéologiques de cette époque au Portugal sont caractérisés par la présence de nombreux amas de coquillages. Entre 5700 et 5600 av. JC., le Néolithique apporte dans la région un nouveau mode de vie avec l'introduction de l'agriculture et de l'élevage. Cette évolution a été amenée par des migrations humaines en provenance d'Anatolie. Notamment, les migrations maritimes de ces groupes ont apporté au Portugal les céramiques de la culture cardiale qui a atteint le Portugal vers 5500 av. JC. Les dernières études de paléo-génomique ont montré l'arrivée d'une nouvelle population malgré la persistance d'une importante composante Mésolithique. L'amélioration de la technologie et notamment l'émergence de la métallurgie a résulté en des organisations sociales plus complexes durant le Chalcolithique entre 3000 et 2000 av. JC. Ces sociétés sont caractérisées par différentes cultures régionales. A l'Âge du Bronze, des changements sont observés à partir de 2000 av. JC. caractérisés par l'arrivée d'une composante steppique dans le génome de ces anciens individus. L'Âge du Fer commence vers 800 av. JC. L'introduction du fer permet de grosses avancées dans les méthodes agricoles, mais également dans les pratiques guerrières. Les celtes se situent au nord, à l'ouest et dans le centre de la péninsule Ibérique. Des comptoirs phéniciens apparaissent au sud-ouest. La conquête romaine débute en 218 av. JC. au moment où le Portugal est intégré dans l'empire Romain. Cette période voit le développement de l'urbanisation. La culture Romaine et la langue latine se diffusent dans le pays. Au cinquième siècle de notre ère, les tribus germaniques arrivent dans la péninsule Ibérique. Les Suèves dominent le nord-ouest jusqu'à l'unification de la péninsule par les Wisigoths. Au début du 8ème siècle, les tribus islamiques venues d'Afrique du nord, envahissent la péninsule l'englobant par la suite dans le califat omeyyade. La reconquête catholique culmine avec la création du comté du Portugal, puis avec la création du royaume du Portugal en 1143. Durant ces dernières années quelques études de paléo-génomique ont permis d'étudier les mouvements démographiques durant l'histoire de la péninsule Ibérique, mais seuls 51 anciens génomes datés d'avant le royaume Wisigoth, ont été analysés au Portugal jusqu'ici.

Xavier Roca-Rada et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The genetic history of Portugal over the past 5,000 years. Ils ont séquencé 68 nouveaux anciens génomes du Portugal datés entre le Néolithique et le 19ème siècle. Les auteurs ont ajouté à ces données 590 anciens génomes de la péninsule Ibérique préalablement publiés:

2024_Roca-Rada_Figure1.png, sept. 2024

Les auteurs on analysé le génome de dix individus du Néolithique appartenant au site archéologique de Cova das Lapas daté entre 3250 et 3000 av. JC. Il s'agit de huit hommes et deux femmes. Deux hommes sont reliés au premier degré appartenant à l'haplogroupe du chromosome Y: I2a1a2a. et à l'haplogroupe mitochondrial: U8a1b. Il s'agit probablement de deux frères. De plus deux autres hommes sont reliés au second degré appartenant à l’haplogroupe du chromosome Y: I2a1a2a1a et aux haplogroupes mitochondriaux: T2b3 et K1a4a1. Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales (PCA). Les anciens fermiers du Néolithique du site de Cova das Lapas se regroupent avec les autres fermiers de la péninsule Ibérique. Ils se situent entre les chasseurs-cueilleurs de l'ouest et les fermiers d'Anatolie. L'utilisation du logiciel qpAdm montrent que ces individus de Cova das Lapas peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population de fermiers d'Anatolie (68%) et une population de chasseurs-cueilleurs de l'ouest (32%):

2024_Roca-Rada_Figure2A.png, sept. 2024
Enfin l'analyse du type de composante chasseur-cueilleur chez les fermiers de Cova das Lapas montre qu'ils possèdent la proportion la plus importante de chasseurs-cueilleurs du Magdalénien parmi tous les anciens fermiers de la péninsule Ibérique.

Les auteurs ont ensuite analysé le génome des deux nouveaux individus du Chalcolithique, un issu du site de Cova das Lapas et un issu du site de Torre Velha. Ces deux individus ont été ajoutés aux individus préalablement publiés du Chalcolithique de la péninsule Ibérique. La PCA ci-dessous montre que ces deux nouveaux génomes se regroupent avec ceux du Chalcolithique de la péninsule Ibérique préalablement publiés sans ascendance des steppes et avec ceux du Néolithique de la même région:

2024_Roca-Rada_Figure2B.png, oct. 2024

Ces deux nouveaux individus sont de l'haplogroupe mitochondrial U5b1 et l’individu de Cova das Lapas est de l’haplogroupe du chromosome Y: I2a1a1a1a. Celui de Torre Velha est une femme. Aucun des deux n'a d'ascendance steppique. Il y a donc une forte continuité génétique au Portugal entre le Néolithique et le Chalcolithique. Mais bon, on aurait aimé voir de nouveaux campaniformes du Portugal dans cette étude, ce qui n'est pas le cas. D'autre part, l'individu, de Cova das Lapas possède plus d'ascendance Magdalénienne que celui de Torre Velha.

Les auteurs ont analysé douze nouveaux anciens génomes du Portugal de l'Âge du Bronze, sept hommes et cinq femmes. Ils sont issus de trois sites archéologiques du sud du Portugal: Monte da Cabida (n=5), Torre Velha (n=6) et Outeiro Alto (n=1). Deux relations au premier degré ont été détectées à Torre Velha et à Monte da Cabida. A Torre Velha, il s'agit d'un homme et d'une femme de même haplogroupe mitochondrial: X2c2: un frère et une sœur, ou une mère et son fils. A Monte da Cabida il s'agit également d'un homme et d'une femme d'haplogroupes mitochondriaux différents: J1c2g et J1c12: probablement un père et sa fille. Sur ces trois sites on observe la présence d'une ascendance steppique, et tous les hommes de l'Âge du Bronze sont de l’haplogroupe du chromosome Y: R1b:

2024_Roca-Rada_Figure3A.png, oct. 2024

L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE montre cependant que les anciens individus de l'Âge du Bronze du Portugal (ci-dessous à droite) sont ceux de la péninsule Ibérique qui possèdent le moins d'ascendance steppique (en rouge ci-dessous) à cette époque:

2024_Roca-Rada_FigureS4.png, oct. 2024

Les auteurs ont ensuite analysé six individus de l'époque romaine issus du site archéologique d'Idanha a Velha. Il s'agit d'un homme et de cinq femmes. L'Analyse en Composantes Principales ci-dessous montre que deux de ces individus possèdent de l'ascendance nord Africaine. Les haplogroupes mitochondriaux de ces deux individus sont X1c et T1a6 trouvés aujourd'hui en Afrique du Nord et l'homme est de l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-P312:

2024_Roca-Rada_Figure4A.png, oct. 2024

Les autres individus de l'époque romaine se regroupent avec les autres anciens individus de la péninsule Ibérique de la même époque.

Les auteurs ont également analysé quatre individus du début du Moyen Âge: un homme et trois femmes. Ils datent du temps des migrations germaniques, en l’occurrence celles des Wisigoths et des Suèves venus d'Europe centrale. L'Analyse en Composantes Principales montrent que ces individus se regroupent avec les autres anciens individus de la péninsule Ibérique de la même époque préalablement publiés:

2024_Roca-Rada_Figure4B.png, oct. 2024

De manière intéressante, la statistique f3 montre qu'un de ces individus est proche génétiquement des Saxons d'Allemagne. Un autre individu présente une faible proportion d'ascendance nord Africaine. Les deux autres individus sont proche génétiquement des anciens individus du nord-est de la péninsule Ibérique.

Les auteurs ont analysé neuf anciens individus de la période islamique: cinq hommes et quatre femmes. Sur la PCA, ces individus (losanges jaunes) se regroupent à part, décalés verts les populations d’Afrique du Nord. Un outlier se situe complètement à part parmi les populations sub-sahariennes, en bas à droite de la figure ci-dessous:

2024_Roca-Rada_Figure5A.png, oct. 2024

Quatre individus de la période médiévale de la reconquête ont également été analysés (losanges bleu foncé ci-dessus). Ils sont biens séparés des individus de la période islamique et se regroupent avec les précédents individus datés des migrations germaniques.

Ensuite 18 anciens individus datés d'après la création du royaume du Portugal entre le 13ème et 18ème siècles (losanges violet ci-dessous) se regroupent tous ensemble sur la PCA et suggèrent une forte continuité génétique avec la période précédente post-islamique bien que ces individus possèdent un léger surplus d'ascendance nord Africaine suggéré notamment par deux individus d’haplogroupe mitochondrial U6d3a et U6a3b et d'haplogroupe du chromosome Y: E1b. Un homme et une femme ont une relation au premier degré. Comme ils ont le même haplogroupe mitochondrial, il peut s'agir d'un frère et d'une sœur, ou d'une mère et de son fils. Cet homme possède également une relation au troisième degré avec un autre homme:

2024_Roca-Rada_Figure5B.png, oct. 2024

Enfin deux individus de l’époque Napoléonienne (losanges noirs ci-dessus) ont également été analysés. De manière intéressante, l'un des deux se regroupent avec les français actuels, alors que le second est décalé vers les populations d'Afrique du Nord. Il possède l'haplogroupe mitochondrial L2b3a typique des populations Africaines.