A la fin du septième et au début du sixième millénaire av. JC., le processus de néolithisation en cours en Asie de l'ouest a atteint les plaines situées au sud du Caucase. Ainsi, les anciens sites de Shulaveri, Shomutepe et Aratashen sont situés dans les vallées Kura et Araxes. Il n'y a pas de preuve archéologique qui indique que le Néolithique est passé au nord du Caucase à cette période. Jusqu'à la fin du sixième millénaire av. JC. la densité de population au nord du Caucase est restée très faible. Dans ce contexte, l'apparition de nombreux sites Néolithiques comme ceux de Darkveti et Meshoko, au nord du Caucase au début du cinquième millénaire av. JC. ressemble à une explosion démographique. La question de l'origine de cette population est importante à résoudre pour comprendre le processus de néolithisation du nord du Caucase et de la région des steppes d'Europe de l'est. Cette région comprends environ trois douzaines de sites dont trois seulement ont livré une sépulture. Parmi ces derniers la grotte Unakozovo a livré des ossements dont le génome a été préalablement publié.

K.V. Zhur et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Human DNA from the oldest Eneolithic cemetery in Nalchik points the spread of farming from the Caucasus to the Eastern European steppes. Ils ont analysé le génome d'un individu énéolithique issu de la tombe 42 du cimetière de Nalchik et daté entre 5000 et 4800 av. JC. Il s'agit de l'individu énéolithique le plus ancien situé au nord du Caucase dont on a analysé le génome. Ce cimetière a été fouillé en 1929. Il appartient à la culture Darkveti-Meshokov et semble avoir des connections avec les sites de type Khvalynsk situés au bord de la Volga. Ces événements pré-datent de mille ans la culture de Maikop qui existera plus tard entre 3700 et 2900 av. JC. et de 1500 ans la culture Yamnaya des steppes. Les auteurs de cette étude pensent que la population de la culture Darkveti-Meshokov est à l'origine de la néolithisation du nord Caucase mais aussi de la région de la Volga et du Don des steppes Pontiques.

2024_Zhur_Figure1.png, oct. 2024

Les résultats montrent que cet individu était un homme d'haplogroupe mitochondrial T2c1a1 et d'haplogroupe du chromosome Y: R1b-L1068. Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer le génome de Nalchik à d'autres anciens génomes de la région. Dans la figure ci-dessous la première composante sépare les génomes occidentaux des génomes orientaux et la seconde composante sépare les génomes septentrionaux des génomes méridonaux. De manière intéressante le génome de Nalchik se trouve en position intermédiaire entre les anciens génomes des steppes et les anciens génomes du Caucase. Les anciens individus énéolithiques de Progress 2 daté entre 4984 et 4802 av. JC. (PG2002: triangle rose pointe vers le haut), de Vonyuchka 1 daté entre 4337 et 4177 av. JC. (VJ1001: triangle marron pointe vers le haut) ainsi qu'un ancien individu de Khvalynsk II daté entre 5198 et 4853 av. JC. (ID434: triangle vert pointe vers le bas) sont positionnés à proximité de l'individu de Nalchik sur la PCA. Les génomes du site d'Unakozovskaya (triangle jaune pointe vers le haut) bien qu'appartenant à la même culture Darkveti-Meshoko se trouvent avec les autres génomes du Caucase:

2024_Zhur_Figure2.png, oct. 2024

Les auteurs ont également effectué une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. La figure ci-dessous a été obtenue pour un ensemble de six composantes ancestrales. Ci-dessous le génome de Nalchik et ceux du site d'Unakozovskaya sont composés de trois composantes: néolithique d'Anatolie en violet, néolithique d'Iran et CHG en vert foncé et chasseurs-cueilleurs d'Europe (WHG+EHG) en orange. De manière intéressante les anciens génomes de la grotte Areni 1 possèdent le même profil génétique:

2024_Zhur_Figure3.png, oct. 2024

Par rapport aux génomes d'Unakozovskaya, celui de Nalchik possède davantage de composante des chasseurs-cueilleurs d'Europe (en orange) présente dans la steppe et moins de composante des fermiers d'Anatolie (en violet). Ces résultats sont confirmés par la statistique f4. La statistique f3 confirme également que les anciens génomes de Nalchik, mais aussi de Khvalynsk et Lebyazhinka possèdent de l’ascendance issu d'anciens individus des sites du néolithique précéramique (PPN) d'Anatolie. Ce flux de gènes venu du sud est donc arrivé dans les steppes dès le début du cinquième millénaire av. JC.

L'utilisation du logiciel qpAdm montre que le génome de Nalchik possède 25,2% d'ascendance issue des steppes. Les génomes des anciens individus du site de Khvalynsk II sont très hétérogènes. L'échantillon I0434 est plus proche des génomes du Caucase, alors que I0433 est plus proches des populations des steppes, et I0122 se trouve dans une position intermédiaire. Ils se trouvent sur un gradient dans lequel les composantes EHG décroissent et PPN s'accroissent, et inversement.

L'analyse des segments IBD montre que l' individu de Nalchik et l'individu I0434 de Khvalynsk II partagent deux longs segments récents et donc qu'ils sont relativement proches parents (au moins 5 arêtes d'écart sur un arbre généalogique):

2024_Zhur_Figure6a.png, oct. 2024

Le génome de l'ancien individu de Nalchik apporte des éléments sur la première vague de néolithisation des steppes durant la première moitié du cinquième millénaire av. JC. Bien que le modèle conventionnel est de proposer que ces anciens génomes soient composés des trois composantes: EHG, CHG et fermiers d'Anatolie, les auteurs ont mis en évidence que la composante des fermiers est mieux représentée par une composante néolithique précéramique. Ainsi les auteurs pensent que cette composante fermier vient davantage du nord de la Mésopotamie ou des monts Zagros plutôt que des versants sud du Caucase (sites de Shulavery, Shomutepe et Aratashen). Du point de vue archéologique, des céramiques connues des sites Chalcolithiques de la vallée de l'Araxes ou du haut bassin de l'Euphrate apparaissent dans les sites énéolithiques du nord du Caucase (Meshoko, Myskhako). De plus des sites du nord et du sud Caucase sont liés entre eux par la présence d'une céramique de type Sioni. Le site arménien de la grotte Areni, plus récent, est aussi inscrit dans cette tradition du Chalcolithique, de même que les génomes de ce site présentent des affinités avec le génome de Nalchik. Notamment la présence d'une composante EHG dans les génomes de la grotte d'Areni est une indication d'un reflux de gènes du nord vers le sud:

2024_Zhur_Figure7.png, oct. 2024