Un long débat existe au sujet du culte de la déesse mère dans les premières sociétés Néolithiques. Cette théorie s'inspire des nombreuses figurines féminines retrouvées en Anatolie et dans la région Égéenne interprétées comme des déesses symbolisant la fertilité ou représentatives de sociétés matriarcales. Récemment, la paléogénétique a émergé comme une nouvelle source de données pour étudier l'organisation sociale et la mobilité des individus des sociétés préhistoriques. La plupart de ces études centrées sur l'Europe ont mis en évidence des organisations patrilocales.

Çatalhöyük est un site archéologique majeur d'Anatolie centrale daté du néolithique céramique connu pour son symbolisme élaboré incluant des peintures murales vives et une gamme variée de figurines féminines. Le monticule principale situé à l'est a été occupé de manière ininterrompue entre 7150 et 5900 av. JC. Le maximum de la population a été estimé entre 500 et 800 individus. Le monticule ouest est lui daté du début du chalcolithique entre 6100 et 5500 av. JC. L'agriculture et l'élevage étaient les principales ressources de cette population, même si la chasse d'animaux sauvages a existé. Ce site néolithique a été décrit comme une société relativement égalitaire par les archéologues sans preuve de bâtiments communs ni d'inégalité socio-économique systématique entre les maisons, malgré la présence apparente de réserves alimentaires privées. Les règles sociales dominantes peuvent être observées dans les modèles partagés d'architecture interne au sein des bâtiments et dans les modèles d'inhumation intramuros, où les morts étaient enterrés sous le sol des maisons alors que les bâtiments étaient encore utilisés, les adultes étant généralement sous les plates-formes surélevées de la pièce centrale, et les jeunes subadultes (par exemple les nouveau-nés et les nourrissons) plus fréquemment près des foyers ou dans les salles de stockage. Les données bioarchéologiques indiquent une population généralement en bonne santé, avec la présence d'un grand nombre d’enfants et d'adolescents suggérant une fertilité élevée. La différenciation alimentaire entre les sexes était limitée et, bien que la violence interpersonnelle soit documentée, l'agression mortelle ne l'est pas.

Eren Yüncü et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Female lineages and changing kinship patterns in Neolithic Çatalhöyük. Ils ont analysé le génome de 395 anciens individus du site de Çatalhöyük. Ils ont obtenu de bons résultats pour 113 d'entre eux. En ajoutant les génomes préalablement publiés sur ce site, les auteurs ont disposé pour leur étude, de 131 génomes issus d'individus du monticule est et de deux génomes issus d’individus du monticule ouest. 60% d'entre eux sont des enfants ou des adolescents. Parmi les adultes il y a 58% de femmes, alors que parmi les enfants et les adolescents il y a autant de garçons que de filles.

Les auteurs ont comparé ces génomes avec les génomes d'anciens individus issus d'autres sites archéologiques d'Anatolie du néolithique céramique, en effectuant une analyse multi-échelle. Dans la figure ci-dessous, les chasseurs-cueilleurs du Levant se situent en bas à gauche et les fermiers d'Iran à droite. Les fermiers d'Anatolie de la période céramique (Çatalhöyük, Tepecik-Çiftlik, Musular, et Barcın) se regroupent à gauche de la figure:

2024_Yuncu_Figure2A.png, déc. 2024

Ils peuvent être modélisés par le logiciel qpAdm par un mélange génétique entre une population précédente du néolithique pré-céramique d'Anatolie (Aşıklı et Boncuklu) et une population du nord de la Mésopotamie (Çayönü). Ce mélange génétique est daté du milieu du 8ème millénaire av. JC.:

2024_Yuncu_Figure2B.png, déc. 2024

Ce profil génétique est relativement stable durant toute la durée d'occupation du site de Çatalhöyük. Il y a cependant une perte d'homogénéité génétique au cours du temps probablement due à l'accroissement de l'immigration, et notamment une légère diminution de la composante Mésopotamienne.

L'analyse des haplogroupes du chromosome Y et des haplogroupes mitochondriaux montre une diversité équivalente sur les lignées masculine et féminine sur toute la durée de vie du site de Çatalhöyük. Ces résultats suggèrent qu'il n'y avait pas une société de type patrilocale sur ce site du néolithique Anatolien, à l'inverse de ce que les études ont montré en Europe. Les auteurs ont ensuite analysé les segment d'homozygotie pour estimer le taux de consanguinité dans cette société. Les résultats indiquent un faible taux de consanguinité dans la population de Çatalhöyük, comme dans les autres populations du néolithique d'Anatolie. Ceci suggère une stratégie d'évitement de la consanguinité dans cette société de fermiers.

Les auteurs ont ensuite identifié les relations familiales à l'intérieur de cette population. Ils ont trouvé un total de 133 paires reliées entre le premier et le troisième degré, connectant un ensemble de 108 individus répartis sur 30 habitations. La figure ci-dessous représente ces relations. Les segments colorés correspondent aux maisons d'habitation:

2024_Yuncu_Figure3A.png, déc. 2024

Toutes les paires reliées au premier degré ont leurs deux individus appartenant à la même maison. Les relations au second ou au troisième degré sont également spatialement concentrées, soit dans la même maison, soit entre deux maisons construites au même endroit, soit dans deux maisons relativement proches l'une de l'autre. Les auteurs ont également reconstruit quelques arbres généalogiques, notamment dans la maison 50:

2024_Yuncu_Figure4A.png, déc. 2024

De manière intéressante, les auteurs ont mis en évidence un changement temporel dans la densité des connections génétiques. Notamment dans la période la plus ancienne, les individus enterrés dans le même bâtiment sont fréquemment reliés entre le premier et le troisième degré (63%). Cette proportion diminue fortement dans les périodes plus récentes, suggérant qu'à cette époque un même bâtiment pouvait abriter plusieurs familles distinctes, ou des inhumations d'individus sans aucun lien génétique. De manière intéressante, ces individus inhumés sans aucun lien génétique sont souvent des nourrissons ou des enfants. Ce peut être soit des enfants adoptés par une famille d'accueil, soit des enfants enterrés à part dans une maison dédiée pour une raison indéterminée. L'analyse isotopique montre que la diète de ces enfants non reliés génétiquement mais enterrés dans la même maison était similaire suggérant davantage une hypothèse basée sur l'adoption de ces enfants.

Les auteurs ont également mis en évidence que les relations entre individus appartenant à la même maison sont plus souvent reliés selon la lignée féminine que selon la lignée masculine. Ces résultats sont confirmés lorsque les auteurs comparent les autosomes avec le chromosome X des individus appartenant à la même maison. Ces résultats suggèrent donc une certaine forme de matrilocalité à l'intérieur des maisons.

D'autre part, les auteurs ont identifié une meilleure préservation de l'ADN chez les enfants ou les adolescents que chez les adultes sur le site de Çatalhöyük. Ils ont ainsi fait l'hypothèse que les corps des enfants et adolescents ont du subir un traitement différent que ceux des adultes au moment de leur enterrement. Cet effet a été observé sur toutes les périodes de la durée de vie de ce site archéologique. De plus les auteurs ont également mis en évidence une moins bonne préservation de l'ADN des jeunes filles que des jeunes garçons suggérant là aussi un traitement spécifique pour les enfants et adolescents selon leur genre.