La culture archéologique Moche s'est étendue dans neuf vallées le long de la côte nord du Pérou entre l'an 300 et l'an 950 de notre ère. Elle a laissé des complexes urbains incluant des temples monumentaux en forme de pyramide (huacas), des réseaux d'irrigation, et des œuvres artistiques élaborées en céramique et en métal. Une hiérarchie sociale était dominée par une élite politique et religieuse qui menait des guerres, incarnait des divinités dans des rituels complexes et enterrait minutieusement ses morts dans de grandes huacas en adobe. Les subtilités de la politique intra et inter-régionale restent à élucider entièrement, mais semblent avoir été complexes, y compris les influences, les alliances et les pèlerinages. Ces questions et d’autres sont principalement étudiées par l’archéologie, car les Moche n’ont laissé aucune source écrite.
Jeffrey Quilter et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Family relations of Moche elite burials on the North Coast of Peru (~500 CE): Analyses of the Señora de Cao and relatives. Ils ont analysé le génome et les données isotopiques d'un groupe d'anciens individus enterrés dans des sépultures d'une élite Moche dont la dame de Cao, sur le site archéologique d'El Brujo localisé dans la vallée du rio Chicama, au niveau de la huaca Cao Viejo. Ce site a été découvert en 2005 et a été daté aux alentours de l'an 500 de notre ère. Il comprend quatre tombes et six individus placés sous le sol du temple:
Trois des quatre tombes sont situées à proximité du mur sud. Chacune d'elles (tombes 1, 2 et 4) contient un homme adulte âgé entre 20 et 30 ans en position allongée, couchée sur le dos. Dans la première sépulture, un individu B1 est enveloppé de sept couches de fins manteaux, de tissu, de cordes et d'une natte de roseau. Sous ceux-ci, à côté du corps, se trouvait un objet de plumes blanches et rouges, une veste élaborée ornée de plumes, des disques de métal et trois céramiques peintes. A ses pieds se trouvait le corps fléchi d'un individu juvénile B1s avec une corde autour du cou indiquant une mort par strangulation, une forme connue de sacrifice humain dans la culture Moche. À l'est de B1, la sépulture 2, contenait un autre homme adulte (B2), enterré de la même manière : couché sur le dos, la tête enveloppée de tissu et avec au moins sept couches de textiles, dont une tunique décorée de plaques de métal et une natte de roseau comme couverture finale. B1 et B2 présentaient tous deux une préservation partielle des tissus mous, tandis que B1s était squelettique. À l'ouest de B1, un autre homme adulte (B4) couché sur le dos, entièrement squelettique, était le moins bien préservé des trois inhumations. Seuls de rares restes de fragments de textile, de natte de roseau et de cordage ont été préservés autour de ses jambes et de ses pieds. La quatrième tombe était séparée des trois autres, près du mur d’enceinte. Elle était située à côté de la petite plate-forme d’une salle richement peinte dans le coin sud-est de l’enceinte. À une profondeur de 3 m, les restes bien conservés d’une femme adulte (B3), communément appelée la dame de Cao (sépulture 3), avaient été placés, enveloppés dans plus de 20 couches de textiles et d’offrandes, dont des propulseurs de lance cérémoniels, deux grandes massues cérémonielles, des couronnes et des ornements nasaux en or, et divers autres objets. Les armes et ornements nasaux de sexe masculin et les objets de sexe féminin suggèrent que la dame de Cao avait un statut très élevé. À côté de la couche extérieure du baluchon de la dame se trouvait une jeune femme sacrifiée (B3s) avec une corde autour du cou. Une céramique découverte au-dessus du niveau de la tombe de la dame de Cao, dont le bord dépassait du sol, servait à recevoir des offrandes. De plus, les restes d'offrandes brûlées, à proximité, sur le sol, indiquaient que des rituels post-inhumation étaient effectués pour honorer la défunte. La datation d'un feu rituel sur le sol au-dessus des tombes scellées fournit un terminus ante quem autour de l'an 660 pour l'ensemble du groupe funéraire et suggère que la mémoire des morts a été maintenue pendant une durée considérable après la mort. Cependant, l'enceinte fut finalement remplie d'une épaisse couche de briques d'adobe par les Moche ultérieurs, qui continuèrent à augmenter la taille de la huaca de Cao avec de nouvelles constructions.
Les résultats génomiques ont confirmé le sexe des quatre adultes et ont permis de déterminer le sexe des deux juvéniles B1s comme un garçon et B3s comme une fille. Les auteurs ont ensuite effectué une Analyse en Composantes Principales pour comparer le génome de cinq de ces six individus (tous sauf B2) avec d'autres anciens génomes et génomes contemporains. Tous les cinq sont localisés avec les autres génomes de la côte nord du Pérou:
Les auteurs ont également réalisé un arbre de voisinage basé sur la statistique f3:
Les résultats des isotopes du strontium montrent que les individus B1, B1s, B3 et B4 sont locaux alors que B3s a une valeur plus élevée correspondant soit à la côte soit à une région plus intérieure proche des hautes terres. Les résultats des isotopes du plomb sont similaires pour B1, B1s, B3 et B4 et une valeur très élevée pour B3s. B1s et B3s ont de plus faibles valeurs pour les isotopes de l'azote que B1, B2, B3 et B4 suggérant qu'ils mangeaient moins de ressources marines. B3s possède également la valeur la plus faible pour les isotopes du carbone, mais aussi de l'oxygène. Ainsi, à l'exception d'un individu (B3s), ces individus étaient locaux. Ils sont nés et ont grandi dans la vallée de Chicama. Ils consommaient beaucoup de maïs et du poisson. L'individu B3s est une exception. Elle est née probablement dans les hautes terres et avait une diète différente:
Les auteurs ont ensuite recherché les relations familiales entre ces individus. B1 et B3 sont reliés au premier degré, comme B1 et B1s. Ainsi B1 et la dame B3 sont frère et sœur, alors que B1 et B1s sont père et fils. B2 et B1 sont également deux frères ou un père et son fils. B1, B1s, B2 et B3 partagent le même haplogroupe mitochondrial D. De plus les auteurs ont montré que B1 et B4, B3 et B4, B3 et B1s sont reliés au second degré, alors que B4 et B1s sont reliés au troisième degré. Enfin B3 et B3s sont reliés au second degré, probablement la dame avec sa nièce:
L'analyse des résultats radiocarbone indique que les individus B1, B1s, B2, B3 et B3s ont été enterrés vers l'an 500 alors que B4 a été enterré vers l'an 460. Il est probable que le grand-père B4 a été ré-enterré avec sa famille autour de l'an 500, ce qui explique la moins bonne préservation de ses restes.
Relations familiales dans des sépultures de l'élite Moche du Pérou vers l'an 500
mercredi 8 janvier 2025. Lien permanent ADN ancien