Généalogie génétique

Une société matrilocale dans laquelle les époux viennent habiter auprès des parents de leur femme est relativement rare, alors que les sociétés patrilocales sont beaucoup plus nombreuses. De plus dans la plupart des anciennes sociétés préhistoriques d'Europe avec suffisamment de données paléo-génomiques, les résultats ont montré qu'elles étaient la plupart du temps de type patrilocal. Aujourd'hui peu de choses sont connues à propos des sociétés de l'Âge du Fer de Grande-Bretagne. Au début de notre ère, Ptolémée décrit le lieu de résidence de nombreuses tribus celtes de Grande-Bretagne alors que César y décrit des civitates. De manière intéressante, les chefs celtes les plus connus sur cette île sont deux femmes: Cartimandua et Boudicca suggérant que des femmes celtes pouvaient arriver en haut de l'élite. De plus, sur le continent, le mobilier archéologique de sépultures de femmes celtes indique que celles-ci pouvaient avoir un très haut statut social. Cependant, en Grande-Bretagne, les preuves archéologiques de cette époque sont rares car les restes humains étaient le plus souvent des crémations, ou bien ils étaient excarnés ou encore déposés dans des zones humides comme des tourbières.

Les Durotriges étaient une tribu celte du sud de l'Angleterre. Ils inhumaient leurs morts dans des cimetières en position fléchie dans lesquels ce sont les femmes qui sont associées avec le mobilier le plus riche, suggérant un haut statut social pour elles et peut-être une société matrilocale.

Lara Cassidy et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Continental influx and pervasive matrilocality in Iron Age Britain. Ils ont séquencé le génome de 55 anciens individus de la tribu des Durotriges à Winterborne Kingston, Maiden Newton et Langton Herring dans le Dorset, datés entre 100 av. JC. et 100 ap. JC.

Sur les 55 anciens individus, 40 étaient de suffisamment bonne qualité pour pouvoir rechercher des parentés familiales entre eux. Sur les 40 échantillons, 34 avaient au moins une relation familiale avec un autre individu. Ces résultats suggèrent que les tribus Durotriges étaient formées par des groupes familiaux. De manière intéressante, 24 de ces 34 individus étaient du même haplogroupe mitochondrial U5b1 associé à un haplotype rare défini par les trois mutations: 93G, 15607G et 15928T. La femme à l'origine de cet haplotype a donné naissance à quatre filles caractérisées par quatre nouveaux haplotypes définis par les quatre mutations suivantes: 16182C (en marron ci-dessous), 13011T (en rouge ci-dessous), 151T (en jaune ci-dessous) et 14544A (en orange ci-dessous). A l'inverse la diversité du chromosome Y est importante et l'analyse des segments d'homozygotie montre qu'il y avait une consanguinité importante dans cette communauté:



Des simulations ont montré que le taux de migration chez les femmes Durotriges était quasi nul alors que celui des hommes était plus important. Tous ces résultats suggèrent une société matrilocale chez les Durotriges. Ils sont de plus confirmés par la reconstruction d'un important arbre généalogique représenté ci-dessus. Ainsi six individus ne montrent aucun lien familial: il s'agit de six hommes. Il y a une seule relation patrilinéaire plus éloignée que le premier degré entre les individus 02 et 195: le grand-père et son petit-fils. A l'inverse côté féminin, une femme (31) est enterrée avec une des ses filles (22), deux petites filles (15 et 19) et un arrière petit fils (12).

Les auteurs ont comparé ce site Durotrige avec 156 autres sites préhistoriques en Europe entre le Néolithique et l'Âge du Fer dont on dispose de données génomiques. Seuls six sites ont une très faible diversité mitochondriale. Il s'agit de six sites de l'Âge du Fer de Grande-Bretagne: Pocklington, Trethellan Farm, Gravelly Guy, Worlebury, Bottle Knap et Tregunnel:



A l'inverse, sur ces six sites la diversité du chromosome Y est élevée et l'analyse des segments d'homozygotie montre un niveau important de consanguinité. Ainsi à Pocklington, 28 des 33 individus appartiennent au même haplogroupe mitochondrial qui peut-être divisé en différentes branches selon les mutations supplémentaires comme à Winterborne Kingston. Ces résultats suggèrent que les sociétés matrilocales étaient prépondérantes dans l'Âge du Fer de Grande-Bretagne et peuvent prendre l'origine dans l'Âge du Bronze comme le montre un site de cette époque avec une faible diversité mitochondriale. A l'inverse l'analyse des sites du Campaniforme et du début de l'Âge du Bronze en Grande-Bretagne ou sur le continent a montré des sociétés patrilocales.

L'analyse des partages de segments IBD montre que les différents sites préhistoriques de Grande-Bretagne peuvent être séparés en différents clusters géographiques. De manière intéressante, certains clusters partagent des sites avec le continent:



De plus cette analyse suggère que la population du sud et de l'est de l'Angleterre était plus nombreuse que les autres régions de Grande-Bretagne.

Une augmentation de l'ascendance continentale a été détectée dans des études précédentes en Grande-Bretagne à l'Âge du Fer et a été interprété par des mouvements à grande échelle entre le continent et la Grande-Bretagne à la fin de l'Âge du Bronze. Ces résultats sont largement confirmés en incorporant les résultats de cette étude, avec notamment l'augmentation de la proportion d'ascendance des premiers fermiers d'Europe (EEF) comme on peut le voir sur la figure d à droite ci-dessus, surtout dans le sud de l'Angleterre (channel core). Ces régions sont apparues archéologiquement comme un noyau d'influence continentale sans précédent au cours de l'âge du Bronze Moyen, avec des communautés transmanche présentant des développements parallèles dans l'inhumation des morts, l'architecture des habitats et la culture matérielle au fil des siècles, suggérant des niveaux élevés de mobilité de la population. Les régions plus lointaines de l'Angleterre (peripheral) montrent un retard de plusieurs siècles de cet accroissement d'ascendance EEF.