Voici un nouveau papier de Scozzari intitulé: An unbiased resource of novel SNP markers provides a new chronology for the human Y chromosome and reveals a deep phylogenetic structure in Africa. Une bonne compréhension de la phylogénie du chromosome Y requière une méthode non biaisée le long des différentes branches et un taux d'erreur faible sur les valeurs des marqueurs. Dans ces conditions, chacun des nœuds de l'arbre obtenu peut être correctement daté. Récemment, le séquençage complet à faible profondeur a révélé des milliers de nouveaux SNPs du chromosome Y (projet des 1000 génomes). Cependant à cause de la présence de nombreux faux négatifs et de résultats biaisés dûs à la faible profondeur, tous ces SNPs ne peuvent être utilisés de manière fiable pour construire un arbre phylogénétique.

Dans cette étude, 18 échantillons issus de branches profondes de l'arbre Y, ont été séquencés avec une couverture de 50 fois la longueur totale du génome. Pour des besoins de comparaisons 50 autres échantillons appartenant aux branches majeurs de l'arbre Y ont été ajoutés. Cinq régions du chromosome Y ont été séquencées pour un total de 3.769.000 paires de base. Cette étude se limite à la description des résultats concernant les branches profondes de l'arbre Y. Ainsi 2386 nouveaux SNPs ont été identifiés. L'arbre obtenu est le suivant:
2014 Scozzari Figure 2

La nature polyphylétique (plusieurs ancêtres communs successifs) de l'haplogroupe A est ainsi confirmée. La sous-clade A1b est celle qui possède la racine la plus profonde. Elle se scinde ensuite en 4 lignages distincts. La branche A1a est celle qui émerge le plus tôt. A l'intérieur de l'arbre A2-F, une bifurcation majeure regroupe A2 et A3. Les autres échantillons appartiennent aux haplogroupes B-F. B est une clade monophylétique sœur des sous-clades E-F. B se divise en deux clades profondes: B1 et B2. Les haplogroupes restants: E, C et F se range suivant une structure déjà connue. Ainsi E est parallèle à C-F.

Un aspect remarquable de l'arbre obtenu est la longueur relative (en nombre de mutations) des branches principales. Ainsi les branches A1b, A1a et B1 sont six fois plus longues que précédemment. Une plus grande longueur est également obtenue pour les branches B-F et E-F. Inversement les branches basales de l'haplogroupe P ne montrent pas une même élongation. Ces résultats modifient dramatiquement l'aspect de l'arbre Y obtenu en allongeant les branches préalables à la sortie de l'Afrique de l'espèce humaine. Tandis que les données de cette étude corrigent une réelle sous-détection des SNPs appartenant aux branches profondes de l'arbre, les haplogroupes A1b, A1a et A2-A3 montrent curieusement une plus courte longueur que les clades du reste de l'arbre: environ 170 mutations dans les branches A contre 211 en moyenne dans les branches B-F. Ceci indique une hétérogénéité du taux de mutation dans l'arbre phylogénétique du chromosome Y.

Pour la datation des différentes branches, un taux de mutation d'une substitution tous les 1044 ans sur une longueur de 1,5 millions de paires de base (soit 0.64 x 10-9 mutation par an et par paire de base), a été utilisé. Les résultats sont indiqués dans la figure ci-dessus. Ainsi la divergence la plus ancienne de l'arbre est âgée de 196.000 ans. Ensuite les nœuds A1a-F, A2-F et A2-A3 datent entre 167.000 et 160.000 ans. Ensuite, le nœud suivant B-F date de 115.000 ans. Cette date marque la séparation entre les branches africaines et les autres. L'haplogroupe B est daté d'environ 110.000 ans, correspondant à la séparation de clades d'Afrique du Centre-Ouest (B1) et de clades plus largement réparties sous le Sahara (B2). Ensuite 4 divergences sont observées entre 85.500 et 75.700 ans. Ainsi A3b se sépare en deux groupes du sud et de l'est, B2 se sépare également en deux groupes. Enfin, E-F et C-F se séparent.

Les analyses phylogéographiques montrent que les clades les plus anciennes se situent en Afrique du Centre-Ouest (entre 196.000 et 160.000 ans). Ces résultats contrastent avec les plus anciennes découvertes de fossiles humains datant de ces mêmes périodes mais trouvées en Afrique de l'est. Deux hypothèses sont possibles:

  • l'émergence des clades A1a et A1b en Afrique de l'est suivi d'une migration vers l'Afrique du Centre-Ouest.
  • l'émergence des clades A1a et A1b en Afrique du Centre-Ouest avec perte des fossiles dans cette région.

La découverte récente de la branche A00 datée de 338.000 ans en Afrique du Centre-Ouest penche en faveur de la deuxième hypothèse.

L'haplogroupe B est daté d'environ 110.000 ans. Sa distribution actuelle indique une dispersion précoce suivi d'une isolation partielle. Ainsi la clade B2a-M150 associé à l'expansion Bantoue et datée de 6000 ans prend ses racines dans une très vielle branche de 40.000 ans.

Les clades A3b et A3b2 séparent les lignages est africains des lignages sud africains il y a 78.000 ans.

Deux routes principales ont été proposées pour la sortie de l'Afrique:

  • à travers l'Egypte et le Levant où des fossiles vieux de 100.000 ans ont été découverts.
  • vers le sud de la péninsule arabique où des découvertes archéologiques vieilles de 125.000 ans ont été faites.

La génétique mitochondriale favorise cette deuxième hypothèse, mais à une date pas plus ancienne que 70.000 ans. La présente étude donne des indications à ce sujet via les nœuds E-F et C-F. 3 scénarios sont possibles:

  • la sortie d'un précurseur à la divergence E-F entre 115.000 et 85.000 ans suivie d'un retour de l'haplogroupe E en Afrique.
  • la sortie d'un précurseur à la divergence C-F entre 85.500 et 83.500 ans suivie de l'extinction des premières branches C-F en Afrique.
  • la sortie de 3 lignages différents après la divergence C-F il y a 83.500 ans suivie de l'extinction de plusieurs lignages en Afrique.

La première hypothèse indiquerait que les premiers fossiles de la péninsule arabique correspondent réellement au berceau de l'humanité hors d'Afrique et non pas à une incursion précoce. Les deux hypothèses suivantes sont plus en accord avec l'ADN mitochondrial. Ces 3 hypothèses sont compatibles avec une sortie de l'Afrique avant l'éruption du volcan Toba vers 74.000 ans.