L'Âge du Bronze en Eurasie, qui s'étend entre 3000 et 1000 av. JC., est caractérisé par le développement de la métallurgie, une des plus importantes innovations culturelles dans l'histoire de l'homme. Le début de cette période est associé à l'émergence du complexe métallurgique circum-pontique et l'extension vers l'est de cette technologie. Dans la seconde moitié de cette période, on voit un mouvement inverse vers l'ouest de différents objets associés au complexe de Seima-Turbino. Des artefacts métalliques apparaissent dans les régions forestières et des steppes boisées du nord de l'Eurasie. Le complexe de Seima-Turbino est représenté par différents sites archéologiques en Eurasie datés entre 2200 et 1900 av. JC. associés à des objets en alliage de cuivre et d'étain et des pratiques artisanales spécifiques qui suggèrent le mouvement de groupes de personnes. Le nom Seima-Turbino fait référence à deux sites archéologiques fouillés au début du vingtième siècle. Ce phénomène combine des éléments de différentes cultures archéologiques et ne représente pas une véritable culture unique associé à un type spécifique de poterie. En fait le critère d'attribution est associé à la présence d'artefacts métalliques spécifiques que l'on retrouve entre la Chine et une ligne qui relie en Europe l'est de la Finlande au nord de la Moldavie, sur une superficie de trois millions de kilomètres carrés. Il y a des variations des artefacts dans toute cette région avec une plus forte proportion d'étain et un plus grand nombre de moules pour la fonte dans les régions orientales:
L'inventaire métallique du complexe Seima-Turbino peut être divisé en deux grands groupes:
- les objets pouvant être attribués aux cultures archéologiques eurasiennes, telles qu'Alakul, Abashevo, Sintashta, Petrovka et Srubnaya
- les objets connus uniquement sur les sites Seima-Turbino: haches à douille, lames de poignard lamellaire, poignards et couteaux à garde complète et ce que l'on appelle les pointes de lance fourchues
Ainash Childebayeva et ses collègues viennent de publier en pre-print, un papier intitulé: Bronze Age Northern Eurasian Genetics in the Context of Development of Metallurgy and Siberian Ancestry. Ils ont analysé le génome de plusieurs anciens individus issus du site archéologique de Rostovka (ROT: symbole carré vert ci-dessus), un des rares sites associés au complexe de Seima-Turbino et contenant des restes humains. Les dates radiocarbone obtenues sur ce site varient entre 2200 et 1900 av. JC.
Une composante identifiée du paysage génétique du nord de l'Eurasie est une ascendance Sibérienne qui est présente dans les populations actuelles de Finlande, Estonie à l'ouest et Sibérie à l'est. Une étude précédente de génétique a montré l'arrivée de cette composante dans la région Baltique à l'Âge du Fer et non pas à l'Âge du Bronze. Les auteurs avaient associé l'arrivée de cette composante génétique avec l'arrivée des langues ouraliennes. De plus l'haplogroupe du chromosome Y: N1a1a1a1a apparait pour la première fois en Europe sur le site archéologique de Bolshoy Oleni Ostrov (BOO: symbole disque vert clair ci-dessus) situé dans le nord-ouest de la Russie. Cet haplogroupe est associé à une forte proportion d'ascendance Sibérienne. Les auteurs de cette étude publient également deux nouveaux génomes issus d'anciens individus du site de Bolshoy Oleni Ostrov.
Parmi les neuf individus du site de Rostovka analysés, il y a huit hommes et une femme, les deux individus du site de Bolshoy Oleni Ostrov sont deux femmes:
Les auteurs ont identifié deux individus reliés au second degré à Rostovka: ROT011 et ROT015, deux hommes de l'haplogroupe du chromosome Y: C2a. Deux individus sont également reliés au second degré à Bolshoy Oleni Ostrov: BOO004 et BOO005.
Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales afin de comparer ces anciens génomes à d'autres préalablement publiés. Les génomes des individus de Rostovka sont représentés ci-dessous par des carrés vert foncé et ceux de Bolshoy Oleni Ostrov par des disques vert clair. Dans la figure ci-dessous, le graphe du haut représente les deux premières composantes alors que le graphe du bas représente les composantes 1 et 3. Le premier graphe permet de séparer les populations occidentales à gauche des populations orientales à droite. Le graphe du bas permet de différencier les principales zones écologiques de l'Eurasie:
Dans le graphe du bas, on voit que les individus du complexe de Seima-Turbino sont situés sur le gradient correspondant à la zone forêt/toundra associée aux actuels locuteurs de langue ouralienne. Les auteurs ont ensuite effectué une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. En haut de la figure ci-dessous, les anciens individus du site de Rostovka sont de profil génétique divers: un individu (ROT003) est proche des individus de l'Âge du Bronze de la steppe occidentale, alors qu'un autre (ROT002) se rapproche des individus de Sibérie orientale caractérisés par une forte proportion de la composante rouge. Les autres ont des profils génétiques intermédiaires. A l'inverse, les individus de Bolshoy Oleni Ostrov situés juste en dessous, ont un profil génétique plus homogène:
Ces résultats sont confirmés par la statistique f3. De plus la statistique f4 montre que les anciens individus de Rostovka et Bolshoy Oleni Ostrov ont une plus forte affinité génétique avec l'ascendance ANE des Anciens Nord Eurasiens, que les anciens individus de l'Âge du Bronze de l'est de la Sibérie.
Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel qpAdm. Ils ont ainsi modélisé les individus de Rostovka comme issus d'un mélange génétique entre trois populations: une de la fin de l'Âge du Bronze de l'est de la Sibérie, une correspondant à la culture Sintashta de l'Âge du Bronze des steppes occidentales et la dernière correspondant aux chasseurs-cueilleurs de l'ouest de la Sibérie. Il est également possible de les modéliser comme issus d'un mélange entre seulement deux populations: la première de la fin de l'Âge du Bronze de l'est de la Sibérie et la seconde des chasseurs-cueilleurs de l'est de l'Europe:
Le logiciel DATES permet d'estimer le mélange génétique pour le modèle à deux populations pour les individus de Bolshoy Oleni Ostrov. Le résultat obtenu est de 18 générations, soit environ 500 ans avant eux.
L'analyse des segments identiques par descente (IBD) a permis de mettre en évidence des ancêtres communs entre les anciens individus de Bolshoy Oleni Ostrov et ceux appartenant à la culture Sintashta. Ces ancêtres communs vivaient entre 500 et 750 avant eux.
En résumé, la forte hétérogénéité génétique des anciens individus de Rostovka suggère que le mélange génétique entre ascendances occidentale et orientale dans ce complexe culturel était très récent. Sur le plan individuel, il n'y a pas de corrélation entre le profil génétique et le mobilier archéologique. En effet, l'individu de Rostovka dont le profil génétique est occidental contient dans sa sépulture des objets d'origine orientale. Les anciens individus de Bolshoy Oleni Ostrov ont un profil génétique homogène dont le mélange génétique semble remonter au temps du complexe de Seima-Turbino entre 2200 et 2000 av. JC. Sur ce site, les anciens individus présentent des segments identiques par descente (IBD) et d'homozygotie compatibles avec une population isolée de petite taille. De manière intéressante, les anciens individus de Rostovka exhibent une petite proportion d'ascendance des fermiers d'Europe qui est absente chez les individus de Bolshoy Oleni Ostrov. Ces derniers présentent au contraire une ascendance chasseurs-cueilleurs locale. D'autre part cette étude confirme l'association de l'expansion du complexe de Seima-Turbino avec la diffusion des langues ouraliennes.