Candela Hernandez vient de publier un papier intéressant concernant l'étude de l'ADN mitochondrial dans deux régions d'Andalousie: Huelva à l'ouest et Grenade à l'est. Il est intitulé: Human maternal heritage in Andalusia (Spain): its composition reveals high internal complexity and distinctive influences of mtDNA haplogroups U6 and L in the western and eastern side of region.
L'archéologie et l'histoire de l'ancienne Méditerranée a montré que cette mer a toujours été un obstacle perméable aux migrations humaines. Au cours des âges, de multiples échanges culturels autour de la Méditerranée se sont produits donnant lieu probablement à des mélanges de population. Une région critique de ces migrations a été la Péninsule Ibérique de part sa situation géographique stratégique en contact avec l'Océan Atlantique et la Mer Méditerranée et sa proximité avec le continent Africain via le détroit de Gibraltar.
L'ADN mitochondrial est l'un des outils les plus utilisés pour la connaissance de la diversité génétique ibérique. Cependant l'absence de recherche concernant la mise en œuvre de cet outil en Andalousie est frappante. Cette étude fournit ainsi la composition mitochondriale de deux régions d'Andalousie: les provinces de Huelva et Grenade, localisées respectivement à l'ouest et à l'est:
Les deux provinces sont ouvertes sur la mer et par conséquent sont sujettes aux contacts maritimes.
Dans cette étude, 279 séquences mitochondriales ont été analysées: 158 dans la province de Huelva et 121 dans la province de Grenade. Pour chaque échantillon la région HVR1 et une partie de la région HVR2 ont été testées. De plus, 47 marqueurs de la région codante ont été testés afin de déterminer l'haplogroupe de chaque séquence. Ainsi un total de 197 haplotypes a été déterminé: 104 en Huelva et 95 en Grenade. La diversité génétique est équivalente dans les deux régions, bien que supérieure aux autres régions ibériques.
La composition mitochondriale des Andalous est typique de l'Europe de l'ouest avec 85,4% d'haplogroupes eurasiens en Huelva et 96,7% en Grenade. La moitié des lignages européens est constitué par les sous-clades de l'haplogroupe R0. Parmi eux l'haplogroupe H couvre 40 à 50% du pool génétique européen avec un gradient décroissant vers l'est et le sud du continent. Dans cette étude la fréquence de l'haplogroupe H est particulièrement basse en Huelva avec une valeur de 32,9%, alors qu'elle est de 50,4% en Grenade. Cette valeur est proche de 60% dans le nord de l'Espagne. Les sous-clades H1 et H3 montrent des pics de fréquences traditionnellement interprétés comme un signal d'expansion post-glaciaire à partir du refuge franco-cantabrique vers le nord-est de l'Europe. Ces lignages sont effectivement trouvés en Andalousie (Huelva, H1: 17.7% et H3: 2.5% et Grenade, H1: 16.5% et H3: 5.8%).
Les haplogroupes frères J et T montrent les caractéristiques suivantes. En Europe de l'ouest, T2 représente environ 80% de T. Ce qui est pratiquement le cas en Huelva (90%) et en Grenade (72,7%). Par contre T1 est plus fréquent chez les berbères marocains et les égyptiens. Les sous-clades de J: J1b1a, J2a1a et J2b1a ont été détectées chez les andalous. Les deux premières sont associées à des expansions post-glaciaire du Proche-Orient vers l'Europe alors que la dernière est spécifique à l'Europe.
La fréquence des haplogroupes U/K est supérieure en Huelva (36,1%) qu'en Grenade (15,7%). U5 est l'une des sous-clades de U les plus fréquentes en Europe. En Huelva il représente 8,2% sur 15,8% pour U(xU6). En Grenade il représente 10,7% pour 12,4% pour U(xU6). L'haplogroupe K est très fréquent en Huelva (11,4%) alors qu'il est seulement de 1,6% en Grenade. Enfin, l'haplogroupe N1 qui est très rare en Europe est trouvé avec une fréquence de 3,3% en Grenade.
Les haplogroupes U6 et M1 sont considérés comme des marqueurs des populations d'Afrique du Nord. En Europe ils sont distribués inégalement avec l'haplogroupe L à faible fréquence avec des pics situés dans la péninsule ibérique. Les andalous de l'ouest de la province de Huelva possèdent de hautes fréquences de ces haplogroupes: 14,6%. Cette valeur est seulement de 3,3% chez les andalous de l'est de la province de Grenade. L'haplogroupe U6 apparait avec des fréquences variant de 0,5 à 5% dans la péninsule ibérique. En Afrique du nord-ouest, ce lignage est prépondérant tant en fréquence qu'en diversité: 11% chez les berbères marocains et 8% chez les arabes tunisiens. En Huelva il est proche de 9%. L'haplogroupe M1 a été trouvé dans un seul individu de Grenade. Enfin l'haplogroupe sub-saharien L est présent avec une fréquence de 5,7% en Huelva, alors qu'il est seulement de 0,8% en Grenade.
Le réservoir génétique des Andalous des provinces de Huelva et de Grenade, révèle un vaste spectre d'haplogroupes originaires de différents continents. Les basses fréquences des marqueurs eurasiens et les hautes fréquences de marqueurs africains parmi les population de Huelva constituent un résultat frappant des caractéristiques mitochondriales en Andalousie et dans la péninsule ibérique indiquant une sous-structure de la population féminine. Ainsi, l'Andalousie ne peut être considérée comme une population unique. La province de Huelva apparait comme intermédiaire entre l'Europe du sud-ouest, le Maghreb, la Méditerranée centrale et orientale.
Les lignages mitochondriaux les plus adéquats pour étudier les migrations entre la Péninsule Ibérique et l'Afrique du Nord sont U6 et L. Actuellement un débat
intéressant existe au sujet de l'origine et la diffusion de l'haplogroupe U6. Certain auteurs favorisent une dispersion précoce de U6 il y a 40.000 ou 45.000 ans à partir de l'Asie du sud-ouest vers l'Afrique du Nord. Récemment, d'autres chercheurs ont proposé une dispersion plus récente de U6 associée avec la culture Ibéromaurusienne entre 20.000 et 9.000 ans.
La figure ci-dessous montre une carte de répartition de l'haplogroupe U6 autour de la Méditerranée:
L'expansion musulmane a été largement citée pour expliquer le flux de gènes entre l'Afrique du Nord et la Péninsule Ibérique, bien que d'autres mouvements humains ont sûrement eu lieu entre les côtes, et ceci depuis le paléolithique. La taille de la population ibérique était plus importante que celle de l'Afrique du Nord. Ainsi le mouvement du nord vers le sud devait être plus important que l'inverse. On peut ainsi supposer que des clades U6 originaire d'Ibérie ont du se diffuser en Afrique du Nord. La présence de U6 au Proche-Orient et en Éthiopie reflète des mouvements de populations à travers la Mer Méditerranée. L'hypothèse d'un chemin terrestre est en effet moins probable. Certains auteurs ont proposé une route maritime qui a conduit à l'entrée du Néolithique en Ibérie. Des mouvement similaires ont du reliés les côtes ibériques et nord-africaines. Enfin, plus tard, des contacts maritimes ont relié les côtes méditerranéennes orientales et occidentales durant le première millénaire avant JC. Ces contacts se sont poursuivis avec l'hégémonie de Carthage, puis celle de Rome. Ainsi il est probable que la diffusion de l'haplogroupe U6 entre les continents se soit passée à toutes les époques bien avant l'expansion musulmane et ceci de l'Ibérie vers l'Afrique du Nord.
Le lignage L1b est largement présent dans la province de Huelva. Son âge est estimé à environ 9700 ans et sa structure présente une forme en étoile. Son expansion hors d'Afrique s'est donc produit durant ou avant le Néolithique. La sous-clade L2a montre une structure différente qui n'est pas en étoile, et sa dispersion pourrait être liée à l'expansion musulmane.
En conclusion, les migrations entre le Maghreb et la Péninsule Ibérique ont eu lieu depuis le paléolithique. La navigation maritime a du être une pratique courante comme technique de pêche, sans perdre de vue les côtes pour des raisons de sécurité. La plus courte distance entre l'Afrique et l'Europe
est localisée au détroit de Gibraltar. Cependant, les vents et la mer sont variables et dangereux autour du détroit. Il est donc possible qu'une route alternative ait reliée la côte est du Maroc avec les côtes andalouses entre Malaga et Almeria, avec l'île Alboran située au milieu. Cette dernière devait être connue dès le paléolithique avec ses réserves nombreuses de mammifères marins. De plus les restes archéologiques trouvés dans l'est du Maroc à Taforalt; suggèrent
l'existence de contacts maritimes entre l'Europe et l'Afrique dès le Magdalénien.
Héritage maternel en Andalousie
samedi 1 février 2014. Lien permanent ADN mitochondrial