Kay Prüfer vient de publier un papier concernant le séquençage complet du génome d'un homme de Néandertal: The complete genome sequence of a Neanderthal from the Altai Mountains.

En 2008, la phalange d'un hominidé a été découverte dans la grotte Denisova en Sibérie dans les montagnes de l'Altaï. Le génome complet a été séquencé et a montré que cet os appartenait à une espèce d'hominidé jusqu'ici inconnue, bien que proche de l'homme de Néandertal, appelée homme de Denisova. En 2010, un autre os, cette fois un orteil de pied, a été découvert dans la même grotte. Ces os ont été découverts dans une couche géologique supposée vieille d'au moins 50.000 ans. Cet orteil appartenait à un adulte dont la morphologie était proche de l'homme de Néandertal ou de l'homme moderne:
2013 Prufer Figure 1

Des premiers tests génétiques ont montré que cet échantillon avait un ADN mitochondrial de la lignée des hommes de Néandertal. Par la suite un séquençage complet de l'ADN mitochondrial a été déterminé. La figure 2a ci-dessous montre comment se positionne la séquence mitochondriale obtenue (Toe phalanx) par rapport aux autres séquences issus de l'homme de Néandertal, de l'homme de Denisova ou de l'homme moderne:
2013 Prufer Figure 2

Son plus proche parent est donc l'homme de Néandertal de la grotte Mezmaiskaya dans le Caucase.

Ensuite le séquençage complet de l'ADN nucléaire a été déterminé avec une couverture de 52 fois la longueur totale du génome. Ces résultats ont été comparés au séquençage complet de l'homme de Denisova, de plusieurs hommes de Néandertal issus des grottes de Vindja en Croatie et de Mezmaiskaya dans le Caucase, et enfin avec 25 génomes d'hommes modernes. L'arbre résultant est indiqué dans la figure 2b ci-dessus. Le génome de cet orteil (Toe phalanx) se regroupe donc avec le génome des autres hommes de Néandertal, puis avec le génome de l'homme de Denisova et enfin avec les génomes des hommes modernes. Cet orteil est donc bien l'os d'un Néandertal. De plus les résultats ont montré qu'il s'agit d'une femme.

Les branches reliant l'ancêtre commun des hommes avec le chimpanzé, jusqu'aux hommes de Néandertal et de Denisova, sont plus courtes que la branche reliant ce même ancêtre jusqu'aux hommes modernes car les fossiles retrouvés sont anciens et appartiennent à des individus morts depuis des dizaines de milliers d'année. La branche de l'homme de Néandertal est plus courte de 1,02% et la branche de l'homme de Denisova est plus courte de 0,81%. L'homme de Néandertal de la grotte de Denisova est donc plus ancien que l'homme de Denisova car sa branche est plus courte. Ceci correspond bien à la stratigraphie archéologique qui indique que le fossile de l'homme de Néandertal est dans une couche plus profonde que la couche où on a trouvé le fossile de l'homme de Denisova.

Les auteurs ont ensuite estimé l'âge de séparation entre la branche qui mène vers l'homme moderne et la branche qui mène aux hommes de Néandertal et de Denisova. La valeur trouvée est comprise entre 553.000 et 589.000 ans. L'âge de séparation entre les branches qui conduisent à l'homme de Néandertal et à l'homme de Denisova est estimé à 381.000 ans. Une seconde méthode de calcul donne pour la séparation entre l'homme moderne et les hommes de Néandertal et de Denisova une valeur comprise entre 550.000 et 765.000 ans et pour la séparation entre l'homme de Néandertal et l'homme de Denisova une valeur comprise entre 445.000 et 473.000 ans.

Le génome de l'homme de Néandertal de la grotte de Denisova contient plusieurs longues séquences d'homozygotie (deux allèles identiques à la même position), indiquant ainsi que ses parents étaient de proches parents. On a ainsi mis en évidence 20 régions homozygotes de longueur plus élevée que 10 cM. Des simulations ont montré que les parents de l'homme de Néandertal de la grotte de Denisova étaient probablement demi-frère et demi-sœur issus de la même mère, ou bien doubles cousins germains (par leur père et par leur mère), ou bien encore oncle et nièce, ou tante et neveu, ou grand-père et petite fille, ou grand-mère et petit-fils:
2013 Prufer Figure 3b

La présence de nombreuses séquences d'homozygotie entre 2,5 et 10 cM semble montrer que la reproduction entre proches parents était fréquente parmi les ancêtres de l'échantillon étudié. Des études supplémentaires restent à mener pour voir si on trouve la même tendance chez les autres échantillons d'homme de Néandertal ailleurs en Eurasie.

Lorsqu'on retire du génome toutes les régions d'homozygotie de longueur supérieure à 2,5 cM, le taux d'hétérozygotie du génome de l'homme de Néandertal de la grotte de Denisova est équivalent à celui trouvé pour l'homme de Denisova. Ils sont eux-même inférieurs au même taux chez l'homme moderne. Ceci indique que la taille de la population des hommes de Néandertal ou de l'homme de Denisova était inférieure à la taille de la population de l'homme moderne. De plus la taille de la population des hommes de Néandertal ou de l'homme de Denisova diminuait au cours du temps contrairement à la taille de la population des hommes modernes qui augmentait.

Des études précédentes ont montré que l'homme de Néandertal a contribué génétiquement au génome de l'homme moderne en dehors de l'Afrique, et que l'homme de Denisova a contribué génétiquement au génome de l'homme moderne d'Océanie (Australie, Mélanésie et Philippines). En tenant compte de ces nouvelles données, on estime qu'environ 1,5 à 2,1% du génome de l'homme moderne non africain vient de l'homme de Néandertal. Cette partie du génome de Néandertal incluse dans l'homme moderne est plus proche de l'homme de Néandertal du Caucase que de l'homme de Néandertal de Croatie ou de l'Altaï.

La comparaison des génomes de l'homme de Néandertal et de l'homme de Denisova montre qu'environ 0,5% du génome de Denisova est issu de l'homme de Néandertal. Cette contribution est plus proche de l'homme de Néandertal de la grotte de Denisova que des autres hommes de Néandertal de Croatie ou du Caucase. Cette partie du génome de l'homme de Denisova qui vient de l'homme de Néandertal touche des régions liées à l'immunité (HLA) et aux fonctions du sperme (CRISP).

Les ancêtres communs de Néandertal et de Denisova ont quitté l'Afrique avant l'émergence de l'homme moderne. On s'attend ainsi à ce que les africains d'aujourd'hui partagent la même proportion d'allèles dérivés avec ces deux groupes archaïques. Cependant ils partagent 7% d'allèles dérivés de plus avec le génome de Néandertal qu'avec le génome de Denisova. Ce phénomène s'explique le mieux par un scénario dans lequel l'homme de Denisova a reçu un flux de gènes d'un hominidé dont les ancêtres divergent beaucoup de la lignée qui a mené à l'homme de Néandertal, l'homme de Denisova et l'homme moderne. Environ 2,7 à 5,8% du génome de Denisova viendrait de cet hominidé inconnu. La divergence de cet hominidé avec les hommes de Néandertal, de Denisova et l'homme moderne remonterait entre 0,9 et 1,4 millions d'années. Une approche bayésienne supporte le même scénario et estime qu'environ 0,5 à 8% du génome de l'homme de Denisova est issu d'un hominidé inconnu et que la divergence remonte entre 1,1 et 4 millions d'année. Cet hominidé pourrait être Homo erectus.
2013 Prufer Figure 8

La comparaison du génome de l'homme moderne, de l'homme de Néandertal et de l'homme de Denisova permet de déterminer les régions du génome spécifiques à l'homme moderne qui sont pertinentes sur certains traits biologiques. Une de ces régions recouvre le gène BOLA2 associé à un retard du développement, une déficience intellectuelle et l'autisme.