Beatriz Marcheco-Teruel vient de publier un papier intéressant sur la génétique de la population cubaine. Il est intitulé: Cuba: Exploring the History of Admixture and the Genetic Basis of Pigmentation Using Autosomal and Uniparental Markers.

Les preuves de la première colonisation humaine sur l'île de Cuba remontent à environ 7.000 ans. A l'arrivée des espagnols, la population indigène est estimée à environ 110.000 individus. Il y a avait alors deux types de population: les Guanahatabey étaient des chasseurs-cueilleurs qui vivaient à l'ouest de Cuba et représentaient 10% de la population totale. Ils sont considérés comme les descendants des premiers habitants de l'île. Les Taino étaient des agriculteurs qui vivaient dans le reste de l'île et représentaient 90% de la population. Ils parlaient une langue Arawak. On suppose que les deux groupes sont issus de populations venues d'Amérique du Sud. En l'espace de 50 ans, la population indigène de l'île est tombée à quelques milliers d'individus. Les espagnols ont ensuite repeuplé l'île avec des populations indigène d'Amérique du Nord ou Centrale, et avec des esclaves issus de la côte ouest de l'Afrique. On estime qu'entre 700.000 et 1.300.000 africains sont arrivés à Cuba pendant la période de la traite négrière. L'immigration en provenance d'Espagne a continué jusqu'à la moitié du vingtième siècle. Ainsi la structure génétique de la population actuelle de l'île de Cuba est le résultat de l'histoire de ces différents mélanges entre Amérindiens, Européens et Africains. Aujourd'hui, le recensement cubain classifie la population de l'île en trois catégories: les blancs, les métis et les noirs.

L'objectif de cette étude est de présenter les résultats obtenus sur un échantillon de 1.019 individus issus des 16 provinces de Cuba. 128 SNPs autosomaux ont été utilisés pour caractériser l'ascendance de la population cubaine. De plus des tests d'ADN mitochondrial et du chromosome Y ont été effectués sur cet échantillon. Enfin 16 SNPs liés à la pigmentation de la peau ont également été testés.

Les résultats des tests autosomaux ont montré qu'en moyenne la contribution européenne à la population cubaine est de 72%, la contribution africaine est de 20% et la contribution amérindienne est de 8%. Cependant ces valeurs varient beaucoup en fonction de la province:
2014 Marcheco Figure 1

Ainsi la proportion d'ascendance européenne varie de 51% dans la province de Santiago de Cuba à 84% dans la province de Mayabeque. La proportion d'ascendance africaine varie de 11% à Mayabeque à 40% à Guantanamo, et la proportion d'ascendance amérindienne varie de 4% à Matanzas à 15% à Granma. L'ascendance européenne est plus forte dans l'ouest de Cuba, alors que les ascendances africaine et amérindienne sont plus fortes dans l'est de l'île.

L'échantillon étudié se compose de 55% de blancs, 33% de métis et 12% de noirs selon les critères du recensement cubain. Il est donc intéressant de comparer cette classification avec d'une part une mesure objective de la pigmentation de la peau de ces individus et d'autre part leur ascendance génétique. La pigmentation de la peau est estimée à partir du niveau de mélanine. Ce dernier est mesuré avec un réflectomètre à bande étroite sur la face interne de la partie supérieure d'un bras (peu exposé au soleil), et sur la face dorsale d'une main (beaucoup exposée au soleil). En moyenne le taux de mélanine est légèrement supérieur chez les hommes (40,68) que chez les femmes (39,17). La moyenne globale est de 39,8 sur l'ensemble de l'échantillon, mais varie de 23,4 à 85,9. La moyenne du taux de mélanine est de 34,06 chez les blancs, de 41,69 chez les métis et de 60,59 chez les noirs:
2014 Marcheco Figure 2

Le graphe ci-dessus montre que les différentes catégories se recouvrent. Ainsi deux individus de même index de mélanine peuvent appartenir à 2 catégories différentes, par exemple blanc et métis.

Chez les blancs, les contributions européennes, africaines et amérindiennes sont respectivement de 86%, 6.7% et 7.8%. Chez les métis ces valeurs sont de 63.8%, 25.5% et 10.7%. Enfin chez les noirs ces valeurs sont de 29%, 65.5% et 5.5%. Il y a donc une forte corrélation entre la pigmentation de la peau et l'ascendance des individus. L'ascendance africaine est ainsi corrélée positivement avec l'index de mélanine, l'ascendance européenne est inversement corrélée avec l'index de mélanine, tandis qu'il n'y a pas de corrélation entre l'ascendance amérindienne et l'index de mélanine. De plus, en moyenne, l'index de mélanine est plus élevé dans les provinces de Santiago de Cuba et de Guantanamo conformément à une ascendance africaine plus élevée dans ces deux régions.

Il y a une forte corrélation entre la proportion d'ascendance africaine et la proportion de noirs par province. Par contre dans les provinces à forte proportion d'ascendance africaine, les noirs n'ont pas plus d'ascendance africaine que les noirs situés dans les provinces à faible proportion d'ascendance africaine. Il y a également une corrélation positive entre la proportion de métis et l'ascendance amérindienne par province, bien qu'elle soit plus faible que la corrélation liée à l'ascendance africaine et la proportion de noirs.

Enfin, la proportion d'ascendance africaine est plus forte dans les zones urbaines que dans les zones rurales. Inversement la proportion d'ascendance amérindienne est plus forte dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Ces corrélations sont liées à la population noire et non aux populations blanches et métis.

Un total de 943 individus ont été testés pour leur ADN mitochondrial sur 18 SNPs permettant de distinguer les haplogroupes d'origine africaines, eurasiennes ou amérindiennes. Ainsi, sur l'ensemble de l'échantillon, 34,5% des haplotypes sont d'origine amérindienne ,38,8% sont d'origine africaine et 26,7% sont d'origine eurasienne. Ces valeurs varient d'une province à l'autre.:
2014 Marcheco Figure 5

384 hommes ont été testés pour leur ADN du chromosome Y, sur 12 SNPS permettant de distinguer les haplogroupes d'origine africaines, eurasiennes ou amérindiennes. Ainsi, globalement, 81,8% des échantillons sont d'origine européenne, 17,7% des échantillons sont d'origine africaine et seulement 0,5% des échantillons sont d'origine amérindienne (2 échantillons):
2014 Marcheco Figure 6

Il y a donc une grosse différence entre l'ascendance paternelle et l'ascendance maternelle dans la population cubaine. Les immigrés européens étaient ainsi en grosse majorité des hommes qui ont pris des femmes dans les populations amérindienne ou africaine. Les lignées amérindiennes paternelles n'ont quasiment pas survécu.

16 marqueurs SNPs autosomaux sont liés à la pigmentation de la peau. D'après cette étude, seuls quatre SNPs semble influencer de manière significative l'index de mélanine: est situé sur le gène SLC24A5, et sont localisés sur le gène SLC45A2, et est localisé sur le gène HERC2. Ainsi le marqueur allèle A décroit l'index de mélanine d'un facteur 5,04 et le marqueur allèle G d'un facteur 3,40. Le marqueur allèle G décroit l'index de mélanine d'un facteur 1,11 seulement. Les effets directs du marqueur ne sont pas significatifs. On pense qu'il agit en liaison avec le marqueur situé sur le même gène du chromosome 5.