L'arrivée des fermiers du Néolithique en Europe initiée il y a environ 8500 ans, a demandé une adaptation de l'homme à l'environnement, aux maladies, à la nourriture et à l'organisation sociale. Alors que la sélection naturelle peut être mise en évidence par l'étude des variations génétiques des populations contemporaines, ces données ne donnent qu'une vision indirecte des événements passés et donnent peu d'information sur où et quand la sélection est intervenue. L'ADN ancien permet cependant d'examiner les anciennes populations avant et après chaque adaptation et peut ainsi révéler la vitesse et le mode de sélection.

Iain Mathieson vient de publier un papier intitulé: Eight thousand years of natural selection in Europe dans lequel il rapporte l'analyse de 83 squelettes qui vivaient en Europe durant les 8000 dernières années. 64 échantillons sont issus de l'étude menée par Haak et al: Massive migration from the steppe was a source for Indo-European languages in Europe dans laquelle 394.577 SNPs autosomaux ont été analysés. A ceux-ci ont été ajoutés 19 échantillons publiés dans des études précédentes. Ces génomes anciens ont été comparés à 503 génomes d'individus comtemporains d'origine européenne issus du projet des 1000 génomes:
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Les populations actuelles peuvent être modélisées comme un mélange de 3 anciennes populations: les chasseurs-cueilleurs de l'ouest, les premiers fermiers européens et les pasteurs Yamnaya des Steppes pontiques. Pour rechercher la sélection, les auteurs ont testé chacun des SNP pour évaluer si sa distribution de fréquence observée dans la population contemporaine est consistante avec ce modèle. Les SNPs dont la fréquence dans la population actuelle n'est pas consistante avec un mélange neutre d'ascendance de ces anciennes populations ont probablement été influencé par la sélection. La force de ce test est qu'il ne fait pas l'hypothèse simpliste d'une continuité de population dans le temps, ce qui serait problématique au vue des remplacements de population qui ont été mis en évidence en Europe. Sur l'ensemble des SNPs testés, il y a un groupe de 25.017 SNPs fonctionnels. Ces SNPs sont plus inconsistants avec le modèle ci-dessus que des SNPs neutres, suggérant ainsi une sélection significative sur les marqueurs d'importance biologique.

A l'aide d'un seuil et d'une correction du contrôle génomique, les auteurs ont mis en évidence 5 zones du génome qui contenaient des SNPs intéressants:
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Trois de ces SNPs ont déjà été identifiés comme cible pour la sélection: le marqueur du gène LCT de persistance de la lactase, le marqueur du gène SLC45A2 lié à la pigmentation, et le marqueur du gène HERC2/OCA2 lié à la couleur des yeux. Les auteurs ont identifié deux autres SNPs: le marqueur du gène NADSYN1 et le marqueur du gène FADS1.

Le marqueur lié à la persistance de la lactase donne le plus fort signal de sélection. L'apparition la plus ancienne de l'allèle dérivé pour ce marqueur se situe dans un squelette de la culture campaniforme d'Europe Centrale daté d'environ 4300 ans. Cet allèle dérivé n'apparait donc pas dans les échantillons de la culture rubanée ou dans ceux de la culture Yamnaya précédentes qui pourtant utilisaient les bovins domestiques.

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Les auteurs ont également trouvé un fort signal de sélection sur deux marqueurs liés à la pigmentation de la peau: du gène SLC24A5 et du gène SLC45A2. Ces marqueurs sont fixés à leur allèle dérivé chez les européens contemporains. L'allèle dérivé est absente ou très rare chez les chasseurs-cueilleurs de l'ouest. Ceux-ci avaient donc la peau sombre. L'allèle dérivé pour le gène SLC45A2 apparait pour la première fois à basse fréquence au Néolithique Ancien, et augmente régulièrement jusqu'à aujourd'hui où il se retrouve à 100% dans toutes les populations européennes contemporaines sauf les espagnols. A l'inverse l'allèle dérivé pour le gène SLC24A5 augmentent rapidement à 90% dès le Néolithique Ancien. Ceci montre que l'allèle dérivé pour ce marqueur est liée à la migration des premiers fermiers et non pas à un phénomène de sélection après l'arrivée des fermiers. Avec surprise les auteurs ont montré que les chasseurs-cueilleurs scandinaves qui vivaient il y a 7700 ans, avaient l'allèle dérivé pour ces deux marqueurs. Ils avaient ainsi la peau claire.

L'allèle dérivé pour le marqueur du gène HERC2/OCA2 est le déterminant principal des yeux bleus chez les européens, mais peut aussi contribuer à une couleur claire de la peau et des cheveux. Les données semblent montrer que cette allèle dérivé est avantageuse dans le nord de l'Europe, mais désavantageuse dans le sud. Ce phénomène est mis en évidence par un important gradient sud/nord dans la fréquence de l'allèle dérivé. Les chasseurs-cueilleurs de l'ouest avaient les yeux bleus, alors que les premiers fermiers du Néolithique Ancien avaient les yeux sombres. La fréquence des yeux bleus remonte ensuite à partir de la fin du Néolithique.

Les deux derniers marqueurs sont situés tous les deux dans le chromosome 11, dans les gènes FADS1 et NADSYN1. Le gène FADS1 est impliqué dans le métabolisme des acides graisseux. L'allèle dérivé pour le marqueur est associé à une décroissance du niveau de triglycéride. C'est probablement le résultat de la sélection liée aux changements dans la nourriture. Le marqueur du gène NADSYN1 suggère une sélection liée à la variation dans l'environnement des sources de vitamine D.

Enfin, 4 des 7 chasseurs-cueilleurs scandinaves avaient l'allèle dérivé du marqueur dans le gène EDAR. Ce marqueur est lié à la morphologie des dents et à l'épaisseur des cheveux. Cet allèle dérivé se retrouve à haute fréquence chez les populations actuelles est asiatiques et natives américaines suite à un phénomène de sélection importante. Cette position dérivée est largement absente chez les populations européennes actuelles, sauf chez les scandinaves. L'allèle dérivé chez les chasseurs-cueilleurs scandinaves et les populations actuelles est asiatiques impliquent une origine commune dans une population ancestrale à ces deux groupes.

Les auteurs ont aussi analysé les traits complexes controllés par plusieurs marqueurs, chacun ayant un effet limité. Un de ces traits est la taille des individus. Ainsi d'après des études précédentes, les nord européens ont une plus grande probabilité d'avoir une grande taille que les sud européens. Ces marqueurs ont été analysés par les auteurs de cette étude:
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Ainsi les échantillons du Néolithique Ancien et Moyen d'Espagne montre un signal de sélection de diminution de la taille par rapport aux américains actuels d'origine européenne. Si on compare des populations qui vivaient en même temps dans le passé, on montre un clair signal de sélection entre les populations d'Europe Centrale et d'Ibérie. Ainsi la sélection sur la taille des individus a joué durant les 8000 années passées, depuis le Néolithique Ancien, en augmentant au Néolithique Moyen, puis diminuant ensuite. Cette sélection a joué principalement en Europe du Sud. Il y a également un autre signal de sélection entre la population Yamnaya et les populations qui ont migré ensuite vers l'Europe Centrale et qui ont contribué à la moitié de l'ascendance des populations nord européennes. Les individus Yamnaya ont une taille prédite par la génétique la plus grande de toutes les populations, ce qui est en accord avec l'archéologie.

Un signal de sélection a également été mesuré pour l'indice de masse corporelle, mais pas pour les traits suivants: rapport taille/hanche, diabète de type 2, maladie inflammatoire de l'intestin et niveaux de lipide.