L'île de Chypre est localisée à environ 100 km au large du Nord du Levant et de l'Anatolie. La présence humaine est attestée dès 13.000 ans par des chasseurs-cueilleurs du Mésolithique. Elle a ensuite constitué une première étape dans la colonisation Néolithique du bassin Méditerranéen et du sud-est de l'Europe, il y a environ 11.000 ans. Ensuite les peuplements de l'île correspondent à la phase de la poterie Néolithique entre 7200 et 6000 ans, puis à l'Âge du Bronze Ancien entre 4400 et 3700 ans qui ont laissé des traces archéologiques au Nord-Ouest, à l'Ouest et au Sud de l'île. Ensuite les traces de la fin de l'Âge du Bronze reflètent le commerce maritime de l'Est de la Méditerranée qui s'effondre il y a environ 3200 ans.

Konstantinos Voskarides vient de publier un papier intitulé: Y-chromosome phylogeographic analysis of the Greek-Cypriot population reveals elements consistent with Neolithic and Bronze Age settlements. Il a analysé l'ADN du chromosome Y de 629 individus de l'île de Chypre:
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Les échantillons ont été testés sur 92 SNPs représentatifs des principaux haplogroupes et sur 19 marqueurs STR. J2a-M410 est l'haplogroupe le plus fréquent sur l'île de Chypre (26%). L'haplogroupe J2b-M102 est séparé en deux sous-clades: J2b-M205 (5,9%) fréquent au sud Levant et J2b-M241 (0,6%) fréquent en Grèce et dans les Balkans. L'haplogroupe E-M35 totalise 23,1% et inclut E-V13 (7,3%) commun en Grèce, E-V22 (3,5%) présent en Égypte et au Soudan et E-M34 (10,3%) aussi observé au sud du Levant. G2a-P15 (12,9%) est largement distribué et reflète la colonisation Néolithique de l'Europe. L'haplogroupe J1-M267 (6,5%) se retrouve au Proche et Moyen-Orient chez les Palestiniens, les Jordaniens et les Bédouins. L'haplogroupe I2a (3,5%) reflète la colonisation post Glaciaire de l'Europe. Il est présent aujourd'hui principalement dans les Balkans, en Sardaigne et dans le Nord-Ouest de l'Europe Continentale. En tout, l'haplogroupe R1 se retrouve à une fréquence de 15,1% sur l'île de Chypre, et se divise entre R1a-M449 (4,5%) et R1b-M415 (10,7%). La sous-clade R1b-M269 se divise entre R1b-M269*(xL23) (2,5%), R1b-L51 (2,2%) qui est très fréquent en Europe Centrale et Occidentale, et R1b-Z2105 (5,4%) que l'on retrouve en Asie de l'Ouest, Centrale et du Sud. De la même manière R1a se divise entre R1a-Z282 (3%) fréquent en Europe de l'Est et R1a-Z93 (1,1%) fréquent en Asie. Enfin on trouve sur l'île de Chypre des traces d'haplogroupes plus exotiques comme B-M60, C-M130, L-M20 et Q-M346.

Une Analyse en Composantes Principales basée sur la fréquence des haplogroupes du chromosome Y a été réalisée pour comparer la population Chypriote avec des populations voisines:
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La première composante sépare les populations de Bulgarie, de République Tchèque, des Balkans, de Hongrie, et de Grèce des populations du Caucase et du Proche-Orient, alors que la seconde composante sépare la population Italienne des groupes du Proche-Orient. La population de Chypre se retrouve en position centrale sur la figure proche des populations de Crète, du Caucase, d'Italie du Sud, d’Égypte et d’Irak.

Les auteurs ont ensuite estimé la contribution génétique paternelle des régions voisines: Anatolie, Balkans, Grèce et Levant à la population Chypriote à l'aide du logiciel ADMIX95:
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Les résultats révèlent une forte influence de l'Anatolie (66%), suivie par le Levant (24%) et les Balkans (13%). Aucune contribution Romaine issue d'Italie ou de Sicile est discernable. La contribution Anatolienne se retrouve essentiellement dans l'haplogroupe G2a-P15 (83%), et autour de 25% dans les haplogroupes J2a-M67, J2b-M12 et R1b-M269. Les Balkans avec la région du Danube ont apporté J2b-M12 (67 %) et presque tous les échantillons I2-M423 (99 %). La contribution Grecque se retrouve dans E-V13 (87 %), J2a-M67 (74 %), R1b-M269 (48 %) et G-P15 (17 %). Enfin le Levant apporte 30 % des R1b-M269 et un peu des lignages J (3 à 8 %). Ces contributions reflètent des arrivées sur l'île de Chypre à différentes périodes entre le Néolithique Ancien et l'Âge du Bronze.

La détermination de l'époque où sont arrivés les différents lignages est compliquée du fait que d'anciens haplogroupes ont pu arriver durant des migrations récentes. Les récents résultats d'ADN ancien ont montré que l'haplogroupe G2a-P15 s'est largement diffusé avec les premiers fermiers Néolithiques en Europe. Il a d'autre part été proposé que les haplogroupes J2a-M410 et J2b-M12 se sont également diffusés avec le Néolithique.

D'autres résultats d'ADN Ancien ont montré que J2a-M67 a également été retrouvé durant l'Âge du Bronze en Europe Centrale. Il a été proposé que cet haplogroupe pourrait être lié à la diffusion du Néolithique en Anatolie Centrale et également à l'expansion de la culture maritime de Troie dans le Nord-Ouest de l'Anatolie. La distribution de cet haplogroupe sur l'île de Chypre correspond bien à la localisation des vestiges de l'Âge du Bronze de la culture Philia.

Les haplogroupes E-V13, I2-M423 et I2-M436 sont fréquents dans les Balkans et peuvent refléter l'influx Grecque dans l'île de Chypre à la fin de l'Âge du Bronze. L'haplogroupe R1b-L23 se divise entre la sous-clade Asiatique R1b-Z2105 et la sous-clade Européenne R1b-L51 datées toutes les deux entre 6000 et 5000 ans. Leur arrivée à Chypre doit également dater de l'Âge du Bronze. Notamment R1b-Z2105 a été récemment détecté dans des squelettes des Steppes Eurasiennes de l'Âge du Bronze il y a environ 5000 ans. A Chypre, la distribution de R1b-Z2105 est opposée à celle de J2a-M67 et J2b-M205, se concentrant dans l'Est et le Nord-Est de l'île. D'autre part la sous-clade R1b-M589 de R1b-Z2105 est également informative. Si R1b-Z2105 se retrouve à la fois à l'extrême ouest et à l'extrême est de l'île, R1b-M589 se retrouve uniquement dans l'est. L'absence de R1b-M589 dans les Balkans et en Crète et sa présence en Asie mineure est compatible avec une influence à Chypre de l'Anatolie davantage que de la Grèce à la fin de l'Âge du Bronze.