Les hauts plateaux et les zones montagneuses sont parmi les derniers endroits colonisés par l'homme dans la préhistoire à cause de la dureté des terrains, le stress provoqué par le froid, les problèmes d'hypoxie et la rareté des ressources. Les montagnes de l'Himalaya et le plateau Tibétain sont les plus hauts points de la planète. L'Himalaya a une altitude moyenne de 5000m et le plateau Tibétain est 25% plus élevé que le plateau Péruvien.

Les études génétiques ont montré que l'Himalaya représente une barrière aux flux de gènes entre l'Asie de l'Est et l'Ouest de l'Eurasie. Cependant, il y a aussi des traces évidentes de diversité culturelle et linguistique dans l'arc Himalayen qui pointent vers une longue histoire de contacts inter-régionaux. Les recherches précédentes ont proposé diverses hypothèses concernant l'origine des premiers habitants de l'Himalaya: Asie du Sud, Asie Centrale, plaines du Sud-Est Asiatique ou plateau Tibétain.

La colonisation des environnements à haute altitude requiert de nombreuses adapatations physiologiques et les études génétiques précédentes ont identifié des signaux de sélection naturelle reliés à l'adaptation à l'hypoxie chez les Tibétains et les Sherpa: un groupe ethnique qui a migré il y a environ 500 ans de l'Est du plateau Tibétain vers le Népal.

Les recherches archéologiques ont montré qaue les premiers habitants de l'Himalaya domestiquaient des ressources issues à la fois d'Asie de l'Ouest (orge, sarrasin, lentilles, pois, chèvres et moutons) et d'Asie de l'Est (riz). Le mobilier archéologique retrouvé est constitué de céramiques locales et d'objets de prestige comme des ornements de cuivre, des perles de cornaline, des pendentifs de coquillages marins et de la vaisselle en faïence suggérant une forte connexion avec l'Asie du Sud, ainsi que des paniers en bambou, des tapis, des coupes et des meubles en bois suggérant un contact avec l'Asie Centrale. Les périodes suivantes incluent de la soie de Chine, des perles de verre d'Iran et des masques d'or et d'argent du Tibet. Par conséquent, il est évident que les premières populations de l'Himalaya ont subi l'influence d'une très large variété de régions géographiques de l'Iran à l'Est de la Chine.

Choongwon Jeong et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Long-term genetic stability and a high-altitude East Asian origin for the peoples of the high valleys of the Himalayan arc. Ils ont séquencé le génome de huit individus datant de trois périodes successives: Chokhopani (entre 3150 et 2400 ans), Mebrak (entre 2400 et 1850 ans) et Samdzong (entre 1750 et 1250 ans) appartenant à l'arc Himalayen:
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Il y a un individu de la période Chokhopani (C1), trois de la période Mebrak (M240, M344 et M63) et quatre de la période Samdzong (S10, S35, S40 et S41). Parmi ces individus 7 sont des hommes et 1 est une femme (S40).

Une Analyse en Composantes Principales a été réalisée avec les cinq individus anciens de meilleure qualité et 26 populations contemporaines. Elle montre que les anciens individus de l'Himalaya se regroupent d'abord avec les populations du Tibet, puis avec les Sherpa:
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Une analyse avec le logiciel ADMIXTURE a également été faite pour des valeurs de K allant de 2 à 9:
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Une forte proportion d'ascendances est partagée entre les anciens individus de l’Himalaya et les populations du Tibet, mais aussi les Sherpa.

Les auteurs ont également utilisé la statistique f3 pour mesurer l'affinité génétique des anciens individus de l'Himalaya avec différentes populations contemporaines, ainsi que la statistique D:
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Les plus fortes valeurs d'affinité obtenues sont avec les Sherpa et les Tibétains, notamment avec les Tibétains de Lhasa.

En conclusion, tous ces résultats indiquent que tous les anciens individus de l'Himalaya quelle que soit leur période, sont reliés étroitement avec les populations Est Asiatiques de haute altitude.

Les auteurs ont ensuite investigué l'adaptation des anciens individus de l'Himalaya à l'altitude en étudiant 20 marqueurs SNP associés au gène EPAS1 et deux marqueurs SNP associés au gène EGLN1. L'origine de l'haplotype dérivé du gène EPAS1 a récemment été attribué à l'homme de Denisova. De manière intéressante, tous les anciens individus de l'Himalaya ont les allèles dérivés pour le gène EGLN1. Les allèles dérivés pour le gène EPAS1 se retrouvent dans deux anciens individus de la période Samzdong sur trois (S35 et S41) mais pas dans les anciens individus des périodes plus anciennes: Chokhopani et Mebrak.

Les auteurs ont ensuite déterminé les haplogroupes mitochondriaux des anciens individus:
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L'individu le plus ancien est de l'haplogroupe D4, un lignage majeur chez les Tibétains contemporains. Les autres individus sont de l'haplogroupe M9, Z3 et F1.

Ils ont également déterminé les haplogroupes du chromosome Y pour quatre des sept hommes:
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Ils sont de l'haplogroupe O-M117 et D qui sont fréquents parmi les Tibétains contemporains.

La topographie asymétrique du massif Himalayen bordé au nord par un plateau de haute altitude et au sud par des plaines de basse altitude, se reflète dans les résultats génétiques de cette étude qui montrent que les anciennes populations de l'Himalaya sont plus proche génétiquement des populations Tibétaines au nord que des populations de l'Asie du Sud. Les montagnes de l'Himalaya ont donc servi de barrière aux migrations de populations venant du sud, mais ont été perméables aux populations venant du nord. L'adaptation aux hautes altitudes a donc joué un rôle important en favorisant l'arrivée de populations issues des hauts plateaux. D'autre part, il n'y a pas eu de remplacement de populations dans l'Himalaya au moment des changements de cultures préhistoriques indiquant ainsi une forte continuité génétique de la population Himalayenne au cours de sa préhistoire.