Madagascar est un exemple remarquable de contacts intercontinentaux entre une population Austronésienne et une population Africaine. Malgré de nombreuses théories relatives au lieu et à la date de rencontre entre ces deux populations, il n'y a aucun consensus sur le sujet.
Denis Pierron et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genomic landscape of human diversity across Madagascar. Ils ont étudié le génome de 2704 individus appartenant à 257 villages Malgaches. Ils ont analysé la séquence mitochondriale complète de 2691 individus, l'ADN du chromosome Y de 1554 hommes et le génome complet de 700 individus.
Les résultats mitochondriaux montrent que tous les lignages Malgaches sont originaires d'Asie de l'Est ou d'Afrique à l'exception de l'haplogroupe M23 qui est détecté uniquement à Madagascar. Les fréquences des haplogroupes Asiatiques et Africains sont sensiblement identiques bien qu'inégalement réparties géographiquement. Tous les lignages Africains sont associés à des populations Bantoues, à l'exception de la sous-clade L2a1b1a associée à une population Est Africaine. Bien que M23 soit spécifique à Madagascar, sa date de diffusion est récente autour de 1200 ans seulement. Ainsi cet haplogroupe n'est pas le signal d'un ancien peuplement pré-Austronésien à Madagascar. Les fréquences des haplogroupes mitochondriaux sont indiquées dans la figure A ci-dessous. Les haplogroupes Africains sont en rouge et les haplogroupes Asiatiques en bleu:
Les fréquences des haplogroupes du chromosome Y sont indiquées dans la figure B ci-dessus. Les lignages Africains (en rouge) sont beaucoup plus fréquents que les lignages Asiatiques (en bleu). Quelques lignages d'origine Européenne ou Proche-Orientale sont également présents (R, J, T et G) à faible fréquence.
Les auteurs ont ensuite fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE à partir des génomes complets comparés aux génomes d'autres populations mondiales. Pour K=3, les résultats montrent une nette distinction entre une ascendance Africaine (59%), une ascendance Est Asiatique (37%) et une ascendance Ouest Eurasienne (4%). De plus le partage de segments IBD (identical by descent) indique que les populations Bantoue d'Afrique du Sud et Indonésienne du Sud de Bornéo partagent le plus de génome avec les populations Malgaches. La séparation avec la population du Sud de Bornéo est survenue entre 3000 et 2000 ans, alors que la séparation avec la population Bantoue d'Afrique du Sud remontent à environ 1500 ans.
La répartition géographique des ascendances Africaine et Asiatique présentent des différences notables d'une région à une autre:
Les lignages maternels Africains sont fréquents principalement dans le Nord de l'île, alors que les lignages maternels Est Asiatiques sont fréquents dans le Centre et le Sud de l'île. Les lignages paternels Est Asiatiques sont plus fréquents dans le centre, et les lignages paternels Africains sont présents surtout sur la côte et le Nord de l'île.
Les auteurs ont ensuite réalisé une analyse avec le logiciel fineSTRUCTURE. Pour k=2, le logiciel sépare les populations des Montagnes (avec une forte ascendance Asiatique) de celles des régions côtières (avec une forte ascendance Africaine). Pour des valeurs de k plus élevées, le logiciel révèle une structure génétique plus complexe corrélée fortement à la géographie. Cependant, quel que soit le nombre de clusters, tous ces groupes sont plus proches des mêmes populations d'origine, à savoir une population Bantoue d'Afrique du Sud et une population Indonésienne du Sud de Bornéo. Cette structure génétique est donc liée à l'histoire récente de la population Malgache.
Les auteurs ont ensuite étudié les événements de mélange génétique pour chacun des clusters identifiés précédemment, avec les logiciels GLOBEtrotter et ALDER. Les résultats montrent pour tous les groupes identifiés une source Bantoue Sud Africaine et une source Indonésienne du sud de Bornéo. Cette dernière correspond à la population Banjar pour un groupe et à la population sud Dayak pour les autres. Pour tous les groupes sauf un, il n'y a qu'un seul événement de mélange génétique daté entre 900 et 500 ans. Le dernier groupe montre deux événements de mélange génétique: le premier il y a 28 générations et le dernier il y a seulement quatre générations. La différence de date de mélange génétique d'un groupe à l'autre ainsi que la différence de proportions d'ascendance Africaine et Asiatique d'un groupe à l'autre, suggèrent des événements indépendants d'une région à l'autre de l'île de Madagascar. Enfin les études démographiques menées à partir des partagent de segments IBD suggèrent une expansion de la population commençant entre 1250 et 1000 ans d'abord dans le Nord de l'île:
Le scénario correspondant à l'arrivée de la population Africaine dans le Nord de l'île est en accord avec les données archéologiques. Cette étude a montré que cette population Africaine était composée de plus d'hommes que de femmes. La population Africaine arrive donc dans une île préalablement peuplée par une population Est Asiatique qui semble se réfugier dans les montagnes du centre de Madagascar. Cette population du Centre décroit fortement en nombre pas forcément à cause d'une raison dramatique comme les maladies ou la famine, mais peut-être simplement à cause d'une migration d'un petit nombre d'individus.
Diversité génomique de la population de Madagascar
mercredi 2 août 2017. Lien permanent Génétique des populations
6 réactions
1 De Xerxes - 12/08/2017, 08:50
Bonjour,
Est il possible d obtenir le pdf complet de l étude. Merci
2 De Tojo - 22/12/2019, 01:47
Article très intéressant qui vient confirmer la tradition orale et les données historiques et linguistiques.
Selon la tradition orale "tantara ny Andriana" et les données historiques, les premiers malgaches sont arrivés il y a 2000 ans à Madagascar par la cote nord-ouest. Ils sont devenus avec le temps des métis (Bantou-Dayak?) qu'on appelle vazimba sur les hauts plateaux. Vers le 14e siècle, une nouvelle population venue de Bornéo (Benjar?) est arrivée par la cote est, puis elle montée sur les hauts plateaux où elle a fait alliance avec les vazimbas. La tradition orale raconte qu'ils parlaient la même langue, mais je pense plutôt que c'était des langues de la même famille.
Concernant la linguistique, il y a effectivement deux grands groupes dialectales à Madagascar (Nord-Ouest et Centre-Sud-Est), ce qui correspond aux origines des peuplements.
Concernant le mélange génétique du groupe G7 à seulement quatre générations, il y avait effectivement des îlots bantou-phone sur la côte ouest de Madagascar encore attesté dans les années 1950.
Merci pour le partage.
3 De nata - 20/02/2020, 14:25
Merci pour ce post,
j'aurai une question à vous poser, si les nord afro-malgache g03 sont parti les premier avant 950 ap JC , pourquoi les premiers métissages n' ont eu lieu que vers 1150 ap JC sur la côte est? ll n'y a pas eu de métissage pendant ces 200 ans ( 1150-950)?
@tojo l'article dit que les banjar ( les ancêtres des merina) ont quitté la côte Est pour le centre entre 950 ap JC et 1150 ap JC, et non en 1450 donc ce qu'on appelle vazimba ne sont en fait que des merina, il y avait juste le vazimba ralambo qui s'est donné le nom de merina et les autres vazimba qui ne seront merina qu'après les conquêtes de ralambo et descendant.
4 De Aimé Rasombiniaina - 15/09/2020, 08:30
Les populations anciennes de Madagascar appelées Mikea et les Andamanais partagent l'haplogroupe chromosomique D-M174 (YAP+) (voir la thèse de Razafindrazaka Harilanto (2O1O) de Toulouse intitulée Le Peuplement humain de Madagascar) et l'ADN mitochondrial M32c (voir figure A ci-dessus)...Les Mikea vivaient isolement (dans la grotte), sans aucun contact avec les étrangers comme les Andamanais et d'après Razafindrazaka H. et son équipe"" les Mikea sont les derniers survivants d’un monde amené à disparaître, monde qui biologiquement s’est presque déjà éteint""...Les chercheurs ont déclaré que ""l'haplogroupe D est censé représenter une grande migration humaine le long des côtes de l'Arabie à l'Asie du Sud-Est. Ainsi la plus forte proportion d'haplogroupe D est trouvée au Tibet, au Japon et dans les îles Andaman"" (voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Haplo...)...Etant donné que l'ADN-Y D-M174 (YAP+) est absent en Afrique, donc c'étaient les anciens Mikea du Sud de Madagascar qui ont fait cette grande migration humaine..;;D'après mes études, les Mikea sont les ancêtres les plus lointains des Malgaches et du peuple du monde...
5 De liganol - 15/09/2020, 19:24
@Aimé Rasombiniaina
Premièrement vous vous trompez, on a bien retrouvé l'haplogroupe D aussi en Afrique mais rarement et même si ce n'était pas le cas, comme d'autres haplogroupes, cela signifie seulement que ce n'est pas l'haplogroupe D qui est née en Afrique mais ses ancêtres, c'est-à-dire que quand ses ancêtres sont sortis d'Afrique l'haplogroupe D n'était pas encore née, ce n'est que plus-tard au cours de leur nomadisation qu'il prit naissance. Pour le dire simplement, si l'haplogroupe D n'est pas originaire d'Afrique son ancêtre, l'haplogroupe CT est bel et bien originaire d'Afrique, donc ce n'est pas l'haplogroupe D qui est sortit d'Afrique mais plutôt son ancêtre l'haplogroupe CT et cela expliquerait pourquoi on trouve rarement l'haplogroupe D en Afrique, et nullement parce que le monde proviendrait de Madagascar.
6 De Tojo - 01/10/2024, 11:53
L'étude révèle que les malagasys possèdent deux origines asiatiques : "Benjar for g01 and south Dayak for the others". Comment expliquer ce phénomène ?
Dans son ouvrage "Malgache et Maanjan", Otto Chr Dahl souligne qu'il y a eu des échanges entre l'Indonésie et Madagascar jusqu'au XIIe siècle. Il est donc envisageable que les malagasys des groupes g02 à g10 aient des racines indonésiennes "south Dayak", datant d'environ 2000 ans. En revanche, les malagasys du groupe g01, situés dans le centre de Madagascar auraient une origine "Benjar" provenant d'Indonésie, arrivée il y a 1000 ans lors des derniers échanges.
L'étude mentionne également "a singular history for the Central Highlands". Le groupe g01 a migré sur les hauts plateaux et a probablement rencontré le groupe g02, identifié comme les vazimbas. Cela pourrait expliquer la séparation en deux entités du groupe g02 et le groupe g01 au centre.