L'agriculture a commencé au Proche-Orient entre 10.000 et 9.000 av. JC. avant de se diffuser en Anatolie vers 8300 av. JC. Les récentes études génomiques ont montré que l'agriculture s'est ensuite diffusée en Europe à partir de l'Anatolie suite à la migration de populations. A l'inverse, au Levant et dans les montagnes du Zagros à la frontière Irako-Iranienne l'agriculture s'est développée sur place sans changement de population. En Anatolie, l'absence de données génomiques sur la population de chasseurs-cueilleurs ne permet pas de conclure bien que les données archéologiques pointent vers un développement sur place du Néolithique.

Michal Feldman et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Late Pleistocene human genome suggests a local origin for the first farmers of central Anatolia. Ils ont séquencé le génome de huit squelettes dont un chasseur-cueilleur d'Anatolie vieux de plus de 15.000 ans issu du site de Pınarbaşı, cinq fermiers Acéramiques datés de 10.000 ans issus du site de Boncuklu en Anatolie et deux fermiers du Levant datés de 9650 et 8900 ans issus des sites de Kfar HaHoresh en Israël et de Ba’ja en Jordanie:
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Ces données ont été comparées aux génomes préalablement obtenus de squelettes anciens et de populations contemporaines d'Eurasie de l'Ouest. Les auteurs ont ainsi réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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De manière intéressante le chasseur-cueilleur Anatolien (carré violet: AHG) se situe à proximité des premiers fermiers Acéramiques de la région (triangles oranges: AAF). Les fermiers Céramiques d'Anatolie (losanges verts: ACF) sont situés tout près également. Ces trois populations (AHG, AAF et ACF) représentent un intervalle temporel qui englobe la transition Néolithique en Anatolie. Ces populations Anatoliennes sont situées entre les chasseurs-cueilleurs de l'Ouest (WHG) et les chasseurs-cueilleurs Natoufiens du Levant. Les deux fermiers du Levant de Kfar HaHoresh et de Ba’ja (triangles rose et bleu clair respectivement) sont situés avec les autres fermiers de cette région. L'analyse avec le logiciel ADMIXTURE confirment ces résultats en indiquant que les anciens individus d'Anatolie possèdent deux composantes principales issues des chasseurs-cueilleurs de l'Ouest et du Levant.

La statistique D montre ainsi que le chasseur-cueilleur d'Anatolie est composée de 48% d'ascendance du Levant et 52% d'ascendance des chasseurs-cueilleurs de l'Ouest. Sur la PCA, les fermiers Acéramiques d'Anatolie sont légèrement décalés vers les anciens individus du Caucase et d'Iran par rapport au chasseur-cueilleur d'Anatolie. Ces résultats sont confirmés par la statistique D qui indique que les fermiers Acéramiques d'Anatolie possèdent 90% d'ascendance AHG et 10% d'ascendance du Caucase ou d'Iran. Sur la PCA, les fermiers Céramiques d'Anatolie sont légèrement décalés vers les anciens individus du Levant par rapport aux fermiers Acéramiques. Ces résultats sont confirmés par la statistique D qui indique que les fermiers Céramiques d'Anatolie possèdent 79% d'ascendance issue des fermiers Acéramiques d'Anatolie et 21% d'ascendance issue des anciennes populations du Levant. Ces résultats suggèrent donc un flux de gènes issu du Levant en Anatolie durant le Néolithique. De la même façon les fermiers du Levant peuvent être modélisés par un mélange génétique entre des chasseurs-cueilleurs Natoufiens et des anciennes populations d'Anatolie (18% d'AHG ou 21% d'AAF). Ainsi le début du Néolithique au Proche-Orient témoigne d'un mélange de gènes entre Anatoliens et Levantins.

D'autre part le chasseur-cueilleur d'Anatolie montre plus d'affinité génétique avec les chasseurs-cueilleurs d'Europe à la fin du Paléolithique qu'avec les chasseurs-cueilleurs Européens précédents. Notamment les chasseurs-cueilleurs des Balkans du site des Portes de Fer sur le Danube sont les plus proches, suivis par les Mésolithiques de Villabruna en Italie et de Ranchot en France comme le montre la figure ci-dessous:
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Une étude précédente avait montré que les chasseurs-cueilleurs des Portes de Fer pouvaient être modélisés comme issus d'un mélange génétique entre des chasseurs-cueilleurs de l'Ouest, des chasseurs-cueilleurs de l'Est et une composante inconnue. Cette étude montre que les chasseurs-cueilleurs des Portes de Fer sont composés de 26% d'AHG, 63% de WHG et 11% d'EHG, ou bien de 11% de Natoufien, 78% de WHG et 11% d'EHG. Ces résultats peuvent s'expliquer par un flux de gènes de chasseurs-cueilleurs du Proche-Orient en Europe du Sud-Est ou inversement par un flux de gènes des ancêtres des chasseurs-cueilleurs des Portes de Fer au Proche-Orient, voire une combinaison de ces deux hypothèses. Pour distinguer ces deux hypothèses les auteurs ont regardé l'ascendance Basal Eurasian dans ces différents individus. Ainsi le chasseur-cueilleur d'Anatolie possède 25% d'ascendance Basal Eurasian, les Natoufiens 38,5% et les chasseurs-cueilleurs des Portes de Fer seulement 1,6%:
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Avec l'hypothèse d'un unique flux de gènes des chasseurs-cueilleurs d'Anatolie dans les Balkans, les chasseurs-cueilleurs des Portes de Fer devraient avoir 6,4% d'ascendance Basal Eurasian ce qui n'est pas du tout le cas. Ces résultats suggèrent donc que des flux de gènes bidirectionnels ont eu lieu entre l'Europe du Sud-Est et l'Anatolie à une période plus ancienne que 15.000 ans. Cette ancienne population du Sud-Est de l'Europe s'est ensuite diffusée en Europe après la dernière glaciation expliquant ainsi l'affinité génétique entre les derniers chasseurs-cueilleurs d'Europe et les anciennes populations du Proche-Orient comme le montre une étude précédente.

Les résultats des marqueurs uniparentaux sont les suivants:
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Ainsi le chasseur-cueilleur d'Anatolie est de l'haplogroupe mitochondrial K2b et de l'haplogroupe du chromosome Y: C1a2. Ce dernier a été déjà identifié chez des chasseurs-cueilleurs Européens. Les premiers fermiers d'Anatolie appartiennent aux haplogroupes mitochondriaux: N1a, U3 et K1a et aux haplogroupes du chromosome Y: C et G2a. Un fermier du levant appartient à l'haplogroupe mitochondrial N1b.

L'analyse des traits phénotypiques indiquent que trois fermiers Acéramiques d'Anatolie ont l'allèle dérivé pour le gène HERC2 correspondant à des yeux clairs. Cet allèle dérivé a préalablement été identifié chez des chasseurs-cueilleurs d'Italie et du Caucase vieux de 14.000 ans, mais n'a pas été encore identifié au Proche-Orient.

En conclusion cette étude montre que l'Anatolie n'a pas été une simple étape de la diffusion du Néolithique entre le Proche-Orient et l'Europe, mais une région où le Néolithique s'est développé in situ dans la population Mésolithique locale.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en mars 2019: Late Pleistocene human genome suggests a local origin for the first farmers of central Anatolia