Le Sud-Est de l'Europe représente la tête de pont pour la diffusion du Néolithique en Europe à partir du Proche-Orient, durant le 7ème millénaire av. JC. L'agriculture se répand ensuite en Europe en suivant deux voies: le long du Danube et le long de la côte Nord Méditerranéenne. Elle atteint la péninsule Ibérique et l'Europe Centrale vers 5600 av. JC. Les premières études d'ADN ancien ont montré que la diffusion de l'agriculture en Europe s'est accompagné d'un important mouvement de populations issues du Nord-Ouest de l'Anatolie. Cependant peu d'échantillons du Sud-Est de l'Europe ont été analysés.

Iain Mathieson et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The Genomic History of Southeastern Europe. Ils ont analysé le génome de 204 squelettes de la péninsule Balkanique, du bassin des Carpates, de la Steppe Pontique et des régions voisines entre 12.000 et 1000 av. JC.:
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Les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes Principales:
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et une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:
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Ces résultats permettent d'avoir une vue d'ensemble de ces populations et de regrouper les échantillons qui présentent des affinités génétiques.

Ainsi les chasseurs-cueilleurs d'Europe Centrale ont à la fois une ascendance chasseur-cueilleur de l'Ouest et une ascendance chasseur-cueilleur de l'Est. Un gradient est nettement visible sur la PCA ci-dessus. Les auteurs ont regardé si ce gradient était lié à leur position géographique:
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Dans la figure ci-dessus, il y a trois régions qui comprennent trois camemberts: la Baltique (Lettonie), l'Ukraine et Samara. Chacun de ces trois camemberts représente une période chronologique: Mésolithique, Néolithique et Pasteurs des Steppes. Dans chacune de ces régions, on peut ainsi noter l'apparition de l'ascendance chasseur-cueilleur du Caucase (en vert) après les migrations Yamnaya. Dans la région Baltique, on note l'augmentation de proportion de chasseur-cueilleur de l'Est (en rouge) au Néolithique, alors qu'en Ukraine, on note l'effet inverse: augmentation de proportion de chasseur-cueilleur de l'Ouest (en bleu) au Néolithique. La couleur du fond du schéma représente le taux de migration: élevé en bleu et faible en rouge.

Cette étude apporte 31 nouveaux échantillons chasseur-cueilleur d'Ukraine dont cinq de la période Mésolithique et le reste de la période Néolithique notamment dans la région de Dereivka (5500 à 4800 av. JC.). Ces individus sont regroupés sous le label: Ukraine_Mesolithic et Ukraine_Neolithic dans la PCA et l'analyse ADMIXTURE ci-dessus. Leur proportion d'EHG les situe entre les chasseurs-cueilleurs EHG (Mésolithiques de Carélie et de Samara) et les chasseurs-cueilleurs Scandinaves. Le passage de la période Mésolithique à la période Néolithique en Ukraine se traduit donc par une augmentation de l'ascendance WHG et une diminution de l'ascendance ANE reliée au garçon de Mal'ta vieux de 24.000 ans. Ces individus possèdent les haplogroupes du chromosome Y suivants: R1 (25%), R1b (44%), R1a (6%) et I2a (25%). A noter, qu'un individu Mésolithique d'Ukraine est R1b-V88 (actuellement fréquent en Afrique) . Il est daté entre 7446 et 7058 av. JC. C'est actuellement le plus vieil individu identifié R1b-V88. Plus tard, les individus de la culture Yamnaya n'ont pas d'ascendance WHG, mais voient l'apparition d'une ascendance CHG issue du Caucase ou d'Iran. Ainsi le passage du Néolithique à l'Âge du Bronze Ancien (culture Yamnaya) dans les Steppes est accompagné par une forte évolution de la population qui débute probablement à l'Eneolithique (Âge du cuivre) avec les cultures Srednij Stog dont on n'a malheureusement encore aucun test génétique, et Khvalynsk dont on a trois échantillons testés génétiquement (voir ici sous le label Eneolithic_Samara). D'autre part, deux individus Yamnaya (de Bulgarie et d'Ukraine) ont également une proportion d'ascendance EEF des fermiers d'Anatolie. Cette ascendance EEF apparait même avant dans les Steppes chez un individus de Dereivka en Ukraine daté de 3500 av. JC.

Dans la région Baltique, il y a une transition dans les ascendances chasseur-cueilleur qui est opposée à celle présente en Ukraine. En effet au Mésolithique et au début du Néolithique, les individus des cultures Kunda et Narva ont environ 70% d'ascendance WHG et 30% d'ascendance EHG. Cependant au Néolithique Moyen, les individus de la culture de la céramique à peigne, ont entre 73% et 100% d'ascendance EHG.

Les nouveaux individus du Mésolithique en France, Allemagne, Sicile et Croatie montrent que l'ascendance WHG est largement répandue en Europe de la façade Atlantique à la péninsule Balkanique, renforçant ainsi l'hypothèse selon laquelle ces chasseurs-cueilleurs de l'Ouest se sont diffusés en Europe, après le Maximum Glaciaire, depuis un refuge glaciaire situé en Europe du Sud-Est.

Les auteurs ont séquencé une nouvelle population de chasseurs-cueilleurs situés aux Portes de Fer situées sur le Danube à la frontière de la Roumanie et de la Serbie. Cette région est proche de la route prise par les migrants fermiers entre les Balkans et l'Europe Centrale. Ces individus présentent 87% d'ascendance WHG et 13% d'ascendance EHG. Cependant l'ADN mitochondrial de ces individus se répartie entre l'haplogroupe U (75%), l'haplogroupe K1 (22%) et l'haplogroupe H (3%). Ces résultats suggèrent que les chasseurs-cueilleurs des Portes de Fer possèdent également une ascendance chasseur-cueilleur d'Anatolie.

Les populations Néolithiques de Bulgarie, Croatie, Macédoine, Serbie et Roumanie se regroupent avec les fermiers Néolithiques d'Anatolie. Ils ont en moyenne 98% d'ascendance EEF. Il y a cependant une exception dans la population de Malak Preslavets en Bulgarie qui vivait au milieu du 6ème millénaire av. JC proche du Danube. Ils possèdent en moyenne 82% d'ascendance EEF, 15% d'ascendance WHG et 4% d'ascendance EHG. Ce ratio entre WHG et EHG semble indiquer un mélange génétique avec des chasseurs-cueilleurs des Balkans comme ceux des Portes de Fer.

Dans les Balkans, les individus du Chalcolithique possèdent plus d'ascendance chasseur-cueilleur que les individus du Néolithique, de façon identique à ce que l'on trouve en Europe Centrale et dans la péninsule Ibérique.

Les auteurs ont séquencé pour la première fois des individus de la culture des Amphores Globulaires. Ces individus forment un groupe génétique homogène (voir la PCA et l'analyse ADMIXTURE ci-dessus). Ils ont plus d'ascendance chasseur-cueilleur que les fermier du Néolithique Moyen en Europe Centrale (25% de WHG), mais n'ont pas d'ascendance issue des Steppes.

Les migrations Yamnaya du 3ème millénaire av. JC., ont profondément modifié le paysage génétique d'Europe Centrale, apportant environ 75% de l'ascendance des individus de la culture cordée et environ 50% de l'ascendance des individus de la culture Campaniforme. Les auteurs ont trouvé également de l'ascendance issue des Steppes dans quelques individus du Sud-Est de l'Europe bien avant le 3ème millénaire av. JC.: un individu de la culture de Varna daté entre 4711 et 4550 av. JC., un individu de Smyadovo en Bulgarie daté entre 4550 et 4450 av. JC. et un individu de la grotte Verteba de la culture Cucuteni-Trypillia daté entre 3619 et 2936 av. JC. Enfin les individus les plus récents dans l'Âge du Bronze possèdent plus d'ascendance issue des Steppes que les individus qui les ont précédés indiquant ainsi que les migrations issues des Steppes se sont prolongées durant l'Âge du Bronze.

Les différentes proportions d'ascendance chasseur-cueilleur chez les fermiers d'Europe montrer que les fermiers de la péninsule Ibérique et les fermiers d'Europe Centrale ont une origine commune chez les fermiers des Balkans. Ainsi la migration de fermiers d'Anatolie vers les Balkans a formé une seule population qui s'est ensuite séparée en deux groupes qui ont migré vers l'Europe Centrale le long du Danube et vers la péninsule Ibérique le long de la côte Nord Méditerranéenne. Cependant quatre individus du Péloponnèse en Grèce ne sont pas issus de cette migration en provenance d'Anatolie du Nord-Ouest. Ils se situent en effet à part sur la PCA décalés vers les fermiers du Levant. Ces résultats suggèrent une migration différente peut-être maritime entre la côte du Levant ou du Sud de l'Anatolie, Chypre et le Péloponnèse.

Les auteurs ont ensuite montré, en comparant les autosomes avec le chromosome X, que le mélange génétique entre chasseurs-cueilleurs et fermiers à partir du Néolithique Moyen, est sexuellement biaisé en Europe. Il y a plus d'hommes que de femmes d'origine chasseur-cueilleur dans la péninsule Ibérique et en Europe Centrale. C'est moins vrai dans les Balkans sauf durant le Chalcolithique. C'est résultats sont confirmés par l'analyse des haplogroupes mitochondriaux et du chromosome Y.

Une version de la diffusion des langues Indo-Européennes suppose que la branche Anatolienne s'est diffusée avec une migration en provenance des Steppes vers les Balkans, puis des Balkans vers l'Anatolie durant le Chalcolithique autour de 4000 av. JC. Cependant les données de cette étude ne supportent pas un tel scénario. En effet l'ascendance des Steppes dans les Balkans est sporadique au Chalcolithique et faible à l'Âge du Bronze. De plus les individus de l'Âge du Bronze en Anatolie n'ont pas d'ascendance issue des Steppes. Une hypothèse alternative serait que l'origine des Proto-Indo-Européens soit située dans le Caucase ou en Iran. Ensuite, il y aurait eu deux migrations différentes vers les Steppes (vers le Nord) et une autre vers l'Anatolie (vers l'Ouest). Cependant, le faible nombre d'échantillons séquencés dans cette étude peut également expliquer ce résultat.

Mise à jour

Ce papier a été définitivement publié en février 2018: The genomic history of southeastern Europe