Le paysage linguistique du nord de l'Eurasie est dominé par trois familles: Turque, Indo-Européenne et Ouralienne. Une étude précédente a montré que la diffusion des langues Turques a été accompagnée d'un flux de gènes en provenance du sud de la Sibérie. De la même façon les études d'ADN ancien ont montré que la diffusion des langues Indo-Européennes en Europe et en Asie a été accompagnée par des migrations en provenance des steppes Ponto-Caspiennes.

La famille Ouralienne comprend entre 40 et 50 langues différentes et couvre un vaste territoire qui s'étend entre les côtes de la Baltique à l'ouest aux plaines de l'ouest de la Sibérie et à la péninsule de Taïmyr en Asie:
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La famille Ouralienne dérive d'une proto-langue qui s'est scindée en deux branches principales il y a entre 6000 et 4000 ans: la branche Finno-ougrienne et la branche Samoyède. Les hypothèses actuelles place la région d'origine sur les rives de la Volga et de ses affluents: Oka et Kama, bien que certains placent cette origine en Sibérie.

Les études génétiques précédentes sur les marqueurs uniparentaux ont montré que la distribution des haplogroupes mitochondriaux est corrélée avec la géographie, alors que la distribution des haplogroupes du chromosome Y est largement dominée par l'haplogroupe N3a prépondérant en Sibérie et en Asie de l'est:
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Kristiina Tambets et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genes reveal traces of common recent demographic history for most of the Uralic-speaking populations. Ils ont séquencé le génome de 15 populations Ouraliennes.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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Les variations des populations dans la figure ci-dessus rappellent la distribution géographique des différents groupes. Les populations Ouraliennes sont en couleur et s'étendent le long de la première composante en haut du schéma ci-dessus. Les populations Baltiques sont en haut à gauche et les populations Sibériennes en haut à droite. Les Hongrois se différencient des Estoniens le long de la seconde composante sur la gauche. De plus la distance génétique Fst entre populations s’accroît avec la distance géographique.

Les auteurs ont ensuite réalisé une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:
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Aux faibles valeurs de K, la composition génétique des populations Ouraliennes ressemble à celle de leurs voisins géographiques, à l'exceptions des Saami et des Mansi. Cependant à partir de K=9, il y a une composante k9 en magenta qui est spécifique aux populations Ouraliennes. La distribution géographique de cette composante montre un pic parmi les populations parlant une langue Ob-ougrienne ou Samoyède:
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Cette composante représente environ 40% de la composition génétique des populations Finno-ougriennes de la région Volga-Oural et seulement 20% de leurs voisins Turques. Elle représente également 40% de la composition génétique des Saami, ce qui est exceptionnel dans leur contexte géographique. Il est aussi notable que les russes du nord ont une forte proportion de cette composante contrairement aux autres russes. Cependant les Estoniens et les Hongrois n'ont pas cette composante magenta.

Les haplogroupes mitochondriaux des populations Ouraliennes sont essentiellement d'origine ouest Eurasienne. Seuls les Nenets et Nganasans de Sibérie ont plus d'haplogroupes mitochondriaux d'origine est Asiatique. A l'inverse, les lignages du chromosome Y sont essentiellement de l'haplogroupe est Asiatique N, à l'exception des Hongrois et des Selkups. L'haplogroupe dominant chez les Selkups est Q, mais R1a d'origine Est Européenne est également important.

La statistique D montre que les Ouraliens de l'ouest (Saami, Finnois, Estoniens, Hongrois) partagent plus d'allèles avec les Ouraliens de Sibérie que les autres populations d'Europe. De plus les Finnois partagent plus d'allèles avec les Sibériens que les Estoniens, mais les Estoniens ne partagent pas plus d'allèles avec les Sibériens que leurs voisins Lettons. Aucune population Ouralienne n'a plus d'affinité génétique avec les Hongrois qu'avec toute autre population non Ouralienne du nord-est de l'Europe.

Les auteurs ont ensuite testé les segments identiques par descente (IBD). Ainsi les Saami et les Finnois partagent plus de segments IBD avec les populations Ouraliennes éloignées qu'avec les Européens du nord-est. Les Nganasans Samoyèdes partagent également plus de segments IBD avec les populations Ouraliennes de Sibérie, les populations Ouraliennes de la région Volga-Oural et même les Saami et les Caréliens, qu'avec leurs voisins non Ouraliens. Ces résultats attestent d'un substrat génétique commun parmi les populations Ouraliennes.

Le logiciel fineStructure permet de construire un arbre en fonction des affinités dans le partage d'allèles entre populations. Cet arbre permet ainsi de déterminer des groupes de populations qui se rapprochent génétiquement le plus. Certains groupes comprennent uniquement des populations Ouraliennes, alors que d'autres groupes comprennent des populations Ouraliennes et des populations non Ouraliennes comme les Hongrois associés aux Slaves et aux Germains, et les Estoniens associés aux Lettons et Lituaniens. Les auteurs ont ensuite utiliser le logiciel Globetrotter pour analyser les mélanges génétiques à partir des groupes définis par fineStructure. Pour cela les auteurs ont défini trois groupes principaux: Europe, région Volga-Oural et Sibérie de l'ouest. Les événements de mélange génétique déduits pour les populations d'Europe invoque essentiellement d'autres populations Européennes à l'exception des Saami qui invoque des populations de la région Volga-Oural. La plupart des mélanges génétique des populations de la région Volga-Oural invoquent des populations d'Europe sauf les Maris et Udmurts. La plupart des mélanges génétique des populations de Sibérie de l'ouest invoquent des populations de Sibérie, d'Asie de l'est et d'Asie Centrale, sauf les Mansis qui invoquent des populations de la région Volga-Oural et d'Europe.

Les auteurs ont ensuite fait une analyse plus fine en masquant les mélanges génétiques qui invoquent une population voisine. Ainsi, dans les populations Européennes, les Finnois et les Saami ont subi des mélanges génétiques avec des populations de Sibérie de l'ouest. Les populations de la région Volga-Oural ont des contributions génétiques des populations Ouraliennes de Sibérie. L'estimation des dates de ces différents événements de mélange génétique est relativement récent puisque compris entre les années 500 et 1900. Les plus anciens événements sont situés en Europe du Nord-Est et dans la région Volga-Oural (vers les années 800 ou 900 ou avant). Les populations Turques de la région Volga-Oural ont subi des mélanges génétiques vers les années 1200 et 1300 alors que les mélanges génétiques dans les populations de Sibérie de l'Ouest sont datés après l'année 1500.

Enfin les auteurs ont étudié la corrélation entre les distances génétique, linguistique et géographique parmi les populations Ouraliennes. Ils ont ainsi mis en évidence une corrélation positive entre la distance lexicale et la distance génétique, mais aussi entre les distances lexicale et géographique, puis génétique et géographique. Ainsi la diffusion des langues Ouraliennes est associée aux mouvements de populations, au moins à un certain degré. La découverte de la composante Sibérienne dans la plupart des populations Ouraliennes indique également qu'il faut en tenir compte dans certaines populations Européennes du nord-est.