Le Xinjiang, situé géographiquement au nord-ouest de la Chine, a longtemps été un des carrefours entre l'Eurasie orientale et occidentale. Notamment la route de la soie, localisée au cœur du Xinjiang, documente des échanges commerciaux entre l'est et l'ouest depuis au moins la dynastie Han entre -207 et 220. D'autre part, la langue Tokharienne, une branche éteinte de la famille Indo-européenne, a été détectée au nord du bassin du Tarim dans le sud du Xinjiang durant le premier millénaire de notre ère. Son origine a longtemps été débattue entre l'hypothèse Bactrienne et l'hypothèse des steppes. L'hypothèse Bactrienne suggère une diffusion depuis le complexe archéologique Bactro-Margien suite aux incursions des groupes nomades de la culture d'Andronovo au début du second millénaire av. JC. L'hypothèse des steppes suggère une relation avec la culture d'Afanasievo située dans l'Altaï.

Chao Ning et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient Genomes Reveal Yamnaya-Related Ancestry and a Potential Source of Indo-European Speakers in Iron Age Tianshan. Ils ont séquencé le génome de dix individus appartenant au site archéologique de Shirenzigou daté de l'Âge du Fer et situé à l'est des montagnes du Tianshan:
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Ce site montre des affinités archéologiques avec la culture Yanbulake du sud du Tianshan, la culture Pazyryk de la région de l'Altaï, ainsi qu'avec le centre de la Chine.

Les individus du site de Shirenzigou ont été datés entre 200 et 100 av. JC. Il y a six hommes et quatre femmes. Les haplogroupes mitochondriaux sont occidentaux (U4, U5 et H) et orientaux (A, D4 et G3). Les haplogroupes du chromosome Y sont R1b et Q1a:
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De manière intéressante, l'haplogroupe R1b est dominant dans les cultures Yamnaya et Afanasievo.

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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La figure ci-dessus montre une claire distinction entre les populations occidentales situées à gauche et les populations orientales situées à droite. Les anciens individus de Shirenzigou (étoiles noires) se situent sur un gradient qui relie les populations occidentales et orientales. On remarque cependant qu'ils se regroupent en deux clusters: le premier à gauche se superpose avec les anciens Saka et Huns alors que le deuxième à droite se superpose avec les Ouïghours et Kazakhs contemporains.

Les auteurs ont également fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. La figure ci-dessous donne le résultat pour K=15:
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De manière intéressante les individus de Shirenzigou montrent un mélange génétique entre des populations orientales et occidentales de la même façon que les populations actuelles Ouïghour, Kirghize et Ouzbek. Cependant contrairement à ces trois populations contemporaines, les anciens individus de Shirenzigou n'ont pas d'ascendance verte majoritaire chez les anciens fermiers du Néolithique d'Anatolie ou d'Europe.

Les auteurs ont ensuite utilisé la statistique f3 pour montrer que les anciens individus de Shirenzigou sont le mieux modélisés comme issus d'un mélange génétique entre une population Yamnaya comme source occidentale et une population nord asiatique ou Coréenne comme source orientale. La statistique f3 confirme également le manque d'ascendance fermier néolithique chez les anciens individus de Shirenzigou, comme ceux de la culture Yamnaya, mais contrairement aux anciens individus des cultures Srubnaya, Andronovo ou Sintashta.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel qpAdm pour estimer les proportions d'ascendance Yamnaya. Le résultat donne une valeur qui varie de 20 à 80% selon les individus de Shirenzigou. La meilleure modélisation donne un mélange génétique de trois sources: Yamnaya, Oultches ou Hezhen et chinois Han. Si la majorité des individus de Shirenzigou ont plus d'ascendance Oultches ou Hezhen, deux individus (M820 et M15-2) ont plus d'ascendance Han.

La forte différence d'ascendance Yamanaya (entre 20 et 80%) parmi les individus de Shirenzigou suggère que le mélange génétique s'est produit peu de temps avant la formation du site archéologique durant l'Âge du Fer. Mais d'autres explications sont possible comme le fait que la région soit un carrefour d'échange pendant des millénaires, ou que la source occidentale était déjà très hétérogène.

En conclusion, cette étude montre que la culture Yamnaya ou la culture Afanasievo s'est propagée vers le sud-est jusque sur les pentes des montagnes Tianshan probablement dès le second millénaire av. JC. et ainsi favorise l'hypothèse des steppes dans la formation des populations du Xinjiang.