Les études d'ADN ancien permettent d'adresser des questions archéologiques et anthropologiques à l'échelle continentale ou à l'échelle locale d'un site. La variabilité génétique d'une population implique que l'utilisation d'un faible nombre d'échantillons peut conduire à des erreurs d'interprétation. De plus l'accès à certains sites funéraires pouvait être limité à un groupe spécifique non représentatif de toute la population.

Claire-Elise Fischer et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Multi-scale archaeogenetic study of two French Iron Age communities: From internal social- to broad-scale population dynamics. Ils ont étudié les marqueurs uniparentaux de deux communautés Celtiques du nord de la France situées à Urville-Nacqueville au bout de la presqu'île du Cotentin (datée entre 120 et 80 av. JC.) et à Gurgy 'Les Noisats' dans l'Yonne (datée entre 300 et 100 av. JC.). Urville-Nacqueville est un port localisé sur les côtes de la Manche. Il est caractérisé par la présence d'un secteur artisanal et d'un vaste cimetière. Ce dernier est organisé autour d'un enclos carré, et il inclut 112 tombes identifiées contenant au minimum 120 individus:
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La nécropole de Gurgy est localisée dans le bassin Parisien sur le territoire des anciens Senons. Elle consiste en un tumulus d'environ 30m de diamètre incluant 35 tombes comprenant 40 individus:
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De manière intéressante l'Âge du Fer Européen est la période archéologique la plus ancienne pour laquelle une documentation écrite est disponible. Ces textes décrivent la Gaule et les habitudes sociales de ses habitants bien qu'ils ne soient pas écrits par les Gaulois eux-mêmes, mais par les Grecs et les Romains.

L'analyse d'ADN a été réalisée à Urville-Nacqueville sur 51 individus issus d'inhumations distribuées en différents points du cimetière. Ces échantillons reprennent ceux de la précédente étude de ce site auxquels les auteurs ont ajouté six nouveaux individus. 32 échantillons sont compris à l'extérieur de l'enclos et 19 à l'intérieur. Tous les individus du tumulus de Gurgy ont été testés génétiquement dans cette étude.

Les auteurs ont testé 18 SNPs mitochondriaux et 10 SNPs du chromosome Y. Ils ont également séquencé la région HVR1 de l'ADN mitochondrial.

Les auteurs ont obtenu 42 haplogroupes mitochondriaux et 43 séquences de la région HVR1 sur le site d'Urville-Nacqueville. Ils ont de plus obtenu 17 profils partiels sur le chromosome Y. Sur le site de Gurgy, ils ont obtenu 27 haplogroupes mitochondriaux, 23 séquences de la région HVR1 et 19 profils partiels ou complets sur le chromosome Y.

Les individus d'Urville-Nacqueville appartiennent aux haplogroupes mitochondriaux: K1, J1, H, H1, H2, H3, H5, H6/8, H11, U4, U5a, U5b, I, V, T1 et T2. Il y a 27 haplotypes différents. Neuf sont partagés par au moins deux individus indiquant ainsi une possible relation maternelle. Cependant parmi ces haplotypes certains sont très fréquents et n'indiquent donc pas forcément une relation maternelle.

Les individus de Gurgy appartiennent aux haplogroupes mitochondriaux: H, H1, H3, HV, J1, J2, K, U5a et T2. Il y a 13 haplotypes différents dont trois sont partagés par au moins deux individus.

Tous les profils du chromosome Y obtenus à Urville-Nacqueville ou à Gurgy appartiennent à l'haplogroupe R* ou R1b. Cependant les marqueurs testés ne permettent pas de définir plus précisément les différentes branches de cet haplogroupe. Ces lignages paternels sont liés aux migrations massives de la fin du Néolithique et du début de l'Âge du Bronze en Europe en provenance des steppes. Ces migrations sont responsables d'un turnover génétique impressionnant dans les populations Européennes pour lequel les haplogroupes du Néolithique ont été remplacés par les haplogroupes R1a et R1b.

Les diversités génétiques maternelles ont été calculées pour les deux groupes. Les résultats sont de 0,969 pour Urville-Nacqueville et 0.885 pour Gurgy. La diversité est donc plus importante à Urville-Nacqueville qu'à Gurgy.

Ces résultats sont caractéristiques de sociétés patrilocales pour lesquelles les hommes bougent peu et les femmes bougent beaucoup au moment du mariage. Ils sont en accord avec les écrits historiques qui décrivent des échanges de femmes entre groupes (civitas).

Le site d'Urville-Nacqueville a été identifié comme une place d'échange importante avec le sud de l'Angleterre, mais aussi avec l'Atlantique. Ceci peut expliquer la plus grande diversité génétique maternelle obtenue sur ce site par rapport à Gurgy.

A Urville-Nacqueville, les auteurs ont comparé les résultats obtenus à l'intérieur et à l'extérieur de l'enclos carré situé dans le cimetière. Ainsi la diversité est plus grande à l'extérieur de l'enclos (0,983) qu'à l’intérieur (0,976). Ce résultat pourrait suggérer que l'intérieur de l'enclos à été utilisé pour un groupes spécifique de la communauté. Notamment les haplogroupes J1 et T sont exclus de l'intérieur de l'enclos. Ces éléments se rapprochent des résultats archéologiques qui suggèrent que les enclos des cimetières pourraient être dédiés à une famille dominante. Malheureusement la faible résolution des analyses des lignages paternels dans cette étude ne permettent pas de valider ce point. Pour le cas particulier d'Urville-Nacqueville l'enclos correspond au début de l'utilisation du cimetière car certaines tombes sont à cheval sur l'enclos indiquant ainsi qu'il a été détruit avant la fin de son utilisation. L'enclos pourrait ainsi avoir été utilisé par le groupe fondateur de la communauté.

Les auteurs ont ensuite effectué une Analyse en Composantes Principales basée sur la fréquence des haplogroupes mitochondriaux:
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La première composante sépare les chasseurs-cueilleurs (à droite) des fermiers du Néolithique (à gauche), et la seconde composante sépare les groupes de l'Âge du Bronze (en bas). Les groupes d'Urville-Nacqueville et de Gurgy se regroupent avec les groupes de l'Âge du Fer d'Espagne et d'Allemagne. Ces groupes de l'Âge du Fer restent proches des groupes de l'Âge du Bronze indiquant ainsi une continuité génétique maternelle entre ces périodes.

Il y a de plus un clair héritage des steppes dans les groupes Celtes Français. Ce point est suggéré notamment par la forte fréquence de l'haplogroupe H et la valeur notable de la fréquence des haplogroupes U4 et I. Ces caractéristiques sont communes avec les groupes de l'Âge du Bronze ayant un fort héritage des steppes. Enfin l'héritage des steppes est confirmé par la majorité frappante des haplogroupes R* et R1b du chromosome Y.

Enfin la troisième composante de la PCA regroupe les communautés d'Urville-nacqueville et de Gurgy avec le groupe des fermiers Néolithiques de France et le groupe des Campaniformes d'Espagne. Le lien avec l'Espagne peut-être expliqué par des échanges le long de l'Atlantique.

Les auteurs ont ensuite refait ces même analyses en séparant la communauté d'Urville-Nacqueville en deux selon que les individus sont situés à l'intérieur ou à l'extérieur de l'enclos du cimetière. Notamment les deux groupes se situent dans des positions différentes sur la PCA. Ainsi, le groupe situé à l'extérieur se situe plus proche du groupe de Gurgy, alors que le groupe situé à l'intérieur se situe plus proche des groupes d'Espagne de la fin du Néolithique ou du Chalcolithique.

En conclusion le groupe d'Urville-Nacqueville est plus cosmopolite en accord avec sa situation géographique sur les côtes de la Manche, alors que le groupe de Gurgy n'inclue que les individus d'une communauté locale. Le site d'Urville-Nacqueville a été fondé par une famille dominante ou un petit groupe qui a déposé les morts à l'intérieur d'un enclos, avant de s'ouvrir à des gens de l'extérieur.