Dans les 10.000 dernières années, les Ouest Eurasiens ont subi deux transformations culturelles majeures: la transition Néolithique et la maîtrise de la métallurgie. Les dernières études génétiques ont montré que ces transformations sont liées à des changements démographiques importants qui ont fortement altéré la composition génétique des populations Européennes. En France, ces processus démographiques n'ont pas encore été étudié à l'échelle du territoire. Seuls quelques sites archéologiques ont produit des données génétiques.

Samantha Brunel et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genomes from present-day France unveil 7,000 years of its demographic history. Ils ont analysé le génome mitochondrial de 223 individus, les haplogroupes du chromosome Y de 62 hommes et séquencé le génome de 58 individus appartenant à 54 sites archéologiques de France datés entre le Mésolithique et l'Âge du Fer:

2020_Brunel_Figure_1A.jpg, mai 2020

Les auteurs ont obtenu le génome de 5 squelettes du Mésolithique de la grotte des Perrats à Agris en Charente. Ils sont datés entre 7177 et 7057 av. JC. Ils appartiennent tous à l'haplogroupe mitochondrial U5b. Un homme appartient à l'haplogroupe du chromosome Y: I. Sur l'Analyse en Composantes Principales, ces individus se regroupent avec les individus de Loschbour du Luxembourg, La Braña d'Espagne et KO1 de Hongrie. Le logiciel qpAdm montre que les squelettes des Perrats sont issus d'un mélange génétique entre la population du cluster de Villabruna typique du Mésolithique Européen et une population Magdalénienne (cluster de El Miron): entre 31,3 et 45,6%. Ces proportions sont équivalentes à celles identifiées chez les individus espagnols de La Braña et de Canes. Ces résultats indiquent que l'ascendance Magdalénienne a survécu en dehors de la péninsule Ibérique durant le Mésolithique.

L'arrivée de l'ascendance des fermiers du Néolithique est nettement visible en France à la fois dans les marqueurs uniparentaux et dans les génomes. Les haplogroupes mitochondriaux sont plus divers. Le génome de trois des squelettes de la culture rubanée (disques bleus foncés ci-dessous) se regroupent avec les autres individus du néolithique ancien d'Europe Centrale de la culture LBK:

2020_Brunel_Figure_1B.jpg, mai 2020

Cependant, un quatrième individu de la culture rubanée de l'Est de la France se regroupe plutôt avec les premiers fermiers de la péninsule Ibérique. Les auteurs n'ont pas d'échantillon appartenant à la culture cardiale, cependant ce dernier résultat pourrait suggérer des échanges entre les deux vagues de néolithisation (danubienne et méditerranéenne) en France, à moins que la particularité de cet échantillon soit liée au type d'ascendance chasseur-cueilleur dont il a hérité: plutôt Magdalénienne contrairement aux trois autres individus dont l'ascendance chasseur-cueilleur est issue du cluster de Villabruna. Les haplogroupes du chromosome Y des fermiers du rubané en France sont C1a2, G2a et H2. La présence de l'haplogroupe C1a2 suggère une introgression chasseur-cueilleur dans les communautés de fermiers dès le Néolithique ancien.

Dans l'Est de la France, le Néolithique Moyen est représenté par la culture de Grossgartach datée entre 4700 et 4500 av. JC. On remarque dans leur génome un glissement vers les chasseurs-cueilleurs de l'ouest, comme cela a été observé ailleurs en Europe. Certains individus hébergent également de l'ascendance Magdalénienne.

Après 4500 av. JC., il y a peu de différences entre les individus du nord et du sud de la France. Cependant les individus de la culture chasséenne montrent le plus d'affinité génétique avec les individus du Néolithique Moyen et Final de la péninsule Ibérique, alors que les individus de la culture Michelsberg du nord et de l'est de la France ont le plus d'affinité génétique avec les individus du Néolithique Moyen de Grande-Bretagne.

Seuls deux individus Campaniformes ont été analysés dans cette étude. Le premier est le squelette de la sépulture individuelle de Ciry-Salsogne située près de Soissons, datée entre 2574 et 2450 av. JC., et le second est issu du dolmen des Peirières à Villedubert près de Carcassonne. L'individu de Ciry-Salsogne (CBV95) possède une forte proportion d'ascendance Yamnaya. Il appartient à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b. De manière intéressante le squelette de Ciry-Salsogne se trouve dans une position atypique pour un campaniforme: sur le dos, les genoux relevés et la tête vers l'est: une position qui rappelle certains squelettes des steppes. A l'inverse l'individu du dolmen des Peirières(PEI2) se regroupe avec les individus du Néolithique. Il appartient à l'haplogroupe du chromosome Y: G2a. Il possède néanmoins 28,3% d'ascendance Yamnaya:

2020_Brunel_Figure_1C.jpg, mai 2020

L'individu de Ciry-Salsogne correspond à la première apparition en France de l'haplogroupe R1b. Elle est datée d'environ 2500 av. JC. Elle préfigure l'important turnover qui suit aux époques suivantes puisque 11/13 des hommes de l'Âge du Bronze et 7/10 des hommes de l'Âge du Fer de cette étude sont R1b:

2020_Brunel_FigureS5.1.jpg, mai 2020

Les individus de l'Âge du Bronze de cette étude montrent de nouveaux haplogroupes mitochondriaux: U2, U4 et I à faible fréquence, qui suggèrent également un flux de gènes venu de l'est.

Les individus de l'Âge du Bronze et ceux de l'Âge du Fer se regroupent ensemble dans la PCA proches des populations actuelles d'Europe Centrale. La composante steppique s’homogénéise à cette époque. L'Âge du Fer n'est pas associé à un nouveau flux de gènes venu de l'est, et semble correspondre en France à une diffusion culturelle et non pas démique. Ces résultats correspondent à la proposition qui fait émerger les celtes de populations issues du complexe culturel campaniforme. Cependant il faut remarquer qu'en Europe à cette période le profil génétique est très homogène rendant une migration intra-Européenne difficile à mettre en évidence.

Les auteurs ont également analysé 73 marqueurs autosomaux associés à des traits phénotypiques comme la couleur des yeux et de la peau ou la tolérance au lactose. Comme cela a déjà été noté auparavant, les populations Mésolithiques et Néolithiques diffèrent dans leur pigmentation. Les premiers ont une peau plus sombre et les yeux bleus. A l'inverse les seconds ont une peau claire et les yeux foncés. Tous les Néolithiques Français sont intolérants au lactose.