Shum Laka est un abri sous roche localisé à l'ouest du Cameroun. C'est un des plus importants sites archéologiques concernant l'histoire de l'Afrique du Centre-Ouest. La plus vieille occupation humaine sur ce site remonte à environ 30.000 ans. Les plus anciens restes humains sont eux datés de 8000 ans pendant la période du Later Stone Age Africain, et 3000 ans au début de l'Âge du Fer. Cette période datée entre 8000 et 3000 ans est caractérisée par la chasse et la cueillette avec une part croissante de consommation des fruits de l'arbre Canarium schweinfurthii ou élémier d'Afrique. Cette région est également le berceau des langues Bantoues qui se sont diffusées dans toute l'Afrique entre 3000 et 1500 ans.
Mark Lipson et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient West African foragers in the context of African population history. Ils ont séquencé le génome de six individus de l'abri sous roche de Shum Laka et obtenus des résultats pour quatre enfants âgés entre 4 et 15 ans. Deux sont datés d'environ 8000 ans et deux d'environ 3000 ans:
Les deux plus anciens individus sont de l'haplogroupe mitochondrial L0a largement diffusé en Afrique aujourd'hui, et les deux plus récents sont de l'haplogroupe L1c trouvé actuellement principalement dans les populations de fermiers et de chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'ouest et du centre. Deux garçons ont un haplogroupe du chromosome Y: B trouvé principalement aujourd'hui chez les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale et le troisième garçon appartient à l'haplogroupe très rare et anciennement divergent: A00 présent aujourd'hui uniquement chez les Mbo et les Bangwa du Cameroun. Cet haplogroupe a divergé des autres branches humaines entre 300.000 et 200.000 ans. A l'intérieur de l'haplogroupe A00, le génome de cet enfant a divergé entre 37.000 et 25.000 ans des lignées contemporaines:
L'analyse des génomes de ces quatre individus montre que les deux garçons vieux de 8000 ans sont reliés au quatrième degré et les deux enfants vieux de 3000 ans sont reliés au second degré. Ces résultats suggèrent qu'à ces deux époques l'abri sous roche a été utilisé comme sépulture familiale.
Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces quatre génomes avec ceux d'autres anciennes populations et de populations contemporaines Africaines. Dans la figure ci-dessous les sud-Africains sont en bas à droite, les est Africains en bas à gauche et les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale en haut:
Dans cette figure, les enfants de Shum Laka se positionnent à droite des populations actuelles d'Afrique de l'ouest de langue Bantoue et tout à côté des chasseurs-cueilleurs pygmées du Cameroun: Baka, Bakola et Bedzan et de République Centrafricaine: Aka ou Biaka.
Les auteurs ont tracé une seconde PCA en supprimant les populations sud Africaines. Là encore les enfants de Shum Laka se situent proche des chasseurs-cueilleurs d'Afrique du Centre Ouest. De manière intéressante, les deux garçons datés de 8000 ans sont plus proches des populations ouest et est Africaines, que les enfants datés de 3000 ans:
La statistique f4 montre que les individus de Shum Laka, mais aussi les chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'ouest, partagent plus d'allèles avec les anciens chasseurs-cueilleurs d'Afrique du Sud qu'avec les pasteurs d’Éthiopie.
Les auteurs ont construit un graphe de mélange génétique pour comparer les époques de divergence des différentes populations Africaines. Parmi les populations contemporaines celles qui ont divergé en premier sont les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale (en noir ci-dessous), suivis par les chasseurs-cueilleurs d'Afrique du sud (en rouge), puis les autres populations (en orange). Les auteurs ont identifié une population fantôme qui a contribué à l'ascendance des Africains de l'ouest et à l'ancien individu Mota. La divergence entre ces différentes branches date entre 250.000 et 200.000 ans (point 1 ci-dessous). Les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale se divisent entre une branche de l'est (Mbuti) et une branche de l'ouest qui se sépare entre les Aka et les anciens individus de Shum Laka:
Le second point de divergence implique des Africains de l'ouest (en vert), deux lignées est Africaines (en violet) et les populations non Africaines représentées ici par les Français (en jaune). L'ancien individu de Mota est rattachée à cette dernière branche. Cette seconde divergence est datée entre 80.000 et 60.000 ans (point 2 ci-dessus). Parmi les populations d'Afrique de l'ouest les auteurs ont identifié une population Basale Ouest Africaine qui a contribué à l'ascendance des enfants de Shum Laka (64%). Une source associée aux populations Bantoues a contribué également aux populations Aka (59%) et Mbuti (26%).
Ainsi les anciens individus de Shum Laka peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique composé de 36% d'ascendance chasseur-cueilleur d'Afrique du Centre Ouest et 64 % d'une source Basale Ouest Africaine. De plus les populations actuelles du Cameroun sont plus proches des autres populations d'Afrique de l'ouest que des individsu de Shum Laka. Les actuels chasseurs-cueilleurs du Cameroun ne descendent pas des individus de Shum Laka puisqu'elles ne possèdent pas le signal lié à la source Basale Ouest Africaine. Il y a néanmoins une forme de continuité génétique entre ces populations, identifiée notamment dans les lignées paternelles par l'haplogroupe A00. Enfin les individus de Shum Laka datés de 3000 ans, ne sont pas associés à l'origine des langues Bantoues. Cette dernière se situe ou bien dans une autre région, ou bien dans cette région mais dans une autre population.
Anciens génomes de chasseurs-cueilleurs du Cameroun
jeudi 23 janvier 2020. Lien permanent ADN ancien
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4 réactions
1 De liganol - 26/01/2020, 23:13
Formidable ! J'espérais depuis longtemps un article de ce genre sur des tests génétiques faites sur des restes préhistoriques provenant de l'Afrique de l'Ouest ou Central et précédant l'expansion bantou, et l'article n'a pas déçu mes attentes.
Pour commencer je constate que l'haplogroupe-Y de tous ces enfants morts il y a 3000 et 8000 ans sont A et B, ce qui confirme la théorie dominante chez certains spécialistes qui prétendent que alors qu'aujourd'hui l'haplogroupe E est largement dominant en Afrique subsaharienne, auparavant, il y a des millénaires de cela, l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique Central et l'Afrique du Sud etaient habités que par des porteurs des haplogroupes A et B et que l'haplogroupe E était surtout confiné à l'Est de l'Afrique. Selon eux il y a 8000 ans il y a eu une migration de l'Est vers l'Ouest de l'Afrique par des porteurs de l'haplogroupe E qui parlaient la langue nigéro-congolaise unifié, qui est de loin la famille de langue la plus parlée aujourd'hui en Afrique subsaharienne et qui sont aussi les ancêtres des Bantous. Selon cette théorie au fil des millénaires les porteurs des langues nigero-congolaise qui étaient aussi porteurs de l'haplogroupe E finiront par complètement absorber les porteurs des haplogroupes autochtones A et B jusqu'à complètement dominer l'Afrique sub-saharienne, ce qu'ils devront surtout à leurs descendants bantous dont l'expansion des millénaires plus-tard dans l'Ouest, le centre et le sud de l'Afrique allait amené les langues bantous, qui descendent eux-même d'une langue nigéro-congolaise, dans tous ces régions ainsi que l'haplogroupe E qui finirait par recouvrir tous les haplogroupes autochtones de ces régions , qui sont devenus aujourd'hui mineurs. Il est ainsi curieux de constater que les enfants morts il y a 3000 ans ne portent pas l'haplogroupe E, ce qui laisse penser que bien que, si on en croit les théories dominantes à ce sujet, des porteurs de l'haplogroupe E habitaient déjà la région il y a des millénaires et que même probablement le peuple bantou originel se trouvait dans cette région ou pas trop loin comme le dit l'article, les autochtones étaient encore très présents dans la région et n'avaient pas encore été autant absorbés qu'ils le seront plus-tard ; enfin c'est une hypothèse que je fais, j'en ai conscience , à partir de peu d'échantillons.
Ensuite je note aussi l'haplogroupe-Y A00 parmi l'un de ces enfants morts il y a 8000 ans, ce qui est curieux quand on pense qu'aujourd'hui cet haplogroupe est quasiment inexistant comme le dit l'article et ne se retrouve presqu'au Cameroun, où se trouve justement le site archéologique en question. C'est fou de penser qu'il y a une certaine continuité génétique dans la région depuis au moins 8000 ans. Il est probable que contrairement à aujourd'hui, à l'époque cet haplogroupe était beaucoup plus commun dans cette région.
Et pour finir, la partie la plus fascinante de cet article est la découverte de cette population fantôme qui avait aussi été prédite par certains spécialistes qui prétendaient que l'expansion bantou avaient à ce point chamboulé le paysage génétique de l'Afrique sub-saharienne qu'il avait masqué les anciennes interactions entre les différents peuples d'Afrique d'antan ainsi que les anciens mouvements de populations et le profil génétique d'anciens peuples de la région, et selon eux l'étude de plus d'ADN d'Africains sub-sahariens préhistoriques nous en apprendrait beaucoup sur l'ancienne histoire de l'Afrique mais aussi de l'humanité et justement la découverte de cette population fantôme les donnent en quelque sorte raison. Je pense qu'on ne peut pas imaginer tous les découvertes qu'on ferait si on pouvait trouver plus de restes préhistoriques d'Afrique sub-saharienne sur lesquels on pourrait faire des analyses génétiques, surtout l'un âgé de plus de 30 000 ans, mais étant donné que le sol de ces régions est très acide ce genre de découvertes est peu probable, mais on ne sait jamais et on a le droit de rêver.
2 De Rivi - 07/02/2020, 18:47
Merci Bernard et encore bravo pour cet excellent résumé
Une question : pourrait on rapprocher l'haplogroupe A00 de la population "ghost archaic" et éventuellement des restes retrouvés sur le site voisin d'Iwo Eleru ?
Bien à vous
3 De Bernard - 08/02/2020, 13:35
Bonjour Rivi,
Oui c'est bien possible car la date de divergence de la population fantôme avec le reste de la population est équivalente à la date de divergence de l'haplogroupe A00 avec les autres branches. Quant au crâne d'Iwo Eleru, il nous faudrait des tests ADN pour en savoir plus.
4 De FWA - 13/02/2020, 04:25
Bonjour,
Le graphe de mélange génétique corrobore les résultats de papiers précédants sur l’ADN autosomique (Patin et al, 2017) et du chromosome Y (D’Atanasio et al, 2018) des populations Bantoues.
E-M2 avait été initialement associé à l’expansion Bantoue. Seulement le papier de D’Atanasio révèle d’autres lignages paternels, appartenant à E-M2 et datant de la période humide du Sahara (~10,000-5,000 ans). E-CTS9883 (equiv. E-Z15939) et ses sous-clades sont restreints dans les parties les plus à l’ouest de l’Afrique de l’ouest (Sénégambie) et à une faible fréquence en Afrique du Nord. En revanche, les clades E-U290 et E-U174, sont largement représentées chez les populations Bantoues.
Autre élément : il n’y a pas d’ADN, extrait des fossiles provenant de Jebel Irhoud. En effet, on peut se demander si la présence de Jebel aurait pu contenir des infos supplémentaires, notamment concernant cette population fantôme. Dans la section dédiée aux modèles alternatifs, un des modèles (Extended Data Fig. 5: Schematic of first alternative admixture graph.) intègre les anciens individus de Taforalt du Maroc, associés à la culture ibéromaurusienne. Leur positionnement indique une divergence à un point rapproché de celle d’une population fantôme (Ghost North African) qui aurait contribuée à l’ascendance des populations des individus de Shum Laka. Il s’agit probablement du début d’une longue série de modèles de ce genre.
On peut aussi s’interroger sur l’origine exact de l’haplogroupe E et sa diffusion au sein de l’Afrique qui restent encore des questions ouvertes. Parmi les généticiens, il n’y pas de consensus. https://en.wikipedia.org/wiki/Haplo...
Tout récemment, un nouveau papier vient d’être publié par Akey et ses collègues :
“Identifying and Interpreting Apparent Neanderthal Ancestry in African Individuals” https://www.cell.com/cell/fulltext/...)30059-3#secsectitle0080
Les auteurs suggèrent une contribution ancienne d’ADN néandertal (à l’aide d’IBD mix) chez les populations africaines actuelles, suite à une migration d’anciens Européens vers l’Afrique.