Shum Laka est un abri sous roche localisé à l'ouest du Cameroun. C'est un des plus importants sites archéologiques concernant l'histoire de l'Afrique du Centre-Ouest. La plus vieille occupation humaine sur ce site remonte à environ 30.000 ans. Les plus anciens restes humains sont eux datés de 8000 ans pendant la période du Later Stone Age Africain, et 3000 ans au début de l'Âge du Fer. Cette période datée entre 8000 et 3000 ans est caractérisée par la chasse et la cueillette avec une part croissante de consommation des fruits de l'arbre Canarium schweinfurthii ou élémier d'Afrique. Cette région est également le berceau des langues Bantoues qui se sont diffusées dans toute l'Afrique entre 3000 et 1500 ans.

Mark Lipson et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient West African foragers in the context of African population history. Ils ont séquencé le génome de six individus de l'abri sous roche de Shum Laka et obtenus des résultats pour quatre enfants âgés entre 4 et 15 ans. Deux sont datés d'environ 8000 ans et deux d'environ 3000 ans:

2020_Lipson_Table1.jpg, janv. 2020

Les deux plus anciens individus sont de l'haplogroupe mitochondrial L0a largement diffusé en Afrique aujourd'hui, et les deux plus récents sont de l'haplogroupe L1c trouvé actuellement principalement dans les populations de fermiers et de chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'ouest et du centre. Deux garçons ont un haplogroupe du chromosome Y: B trouvé principalement aujourd'hui chez les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale et le troisième garçon appartient à l'haplogroupe très rare et anciennement divergent: A00 présent aujourd'hui uniquement chez les Mbo et les Bangwa du Cameroun. Cet haplogroupe a divergé des autres branches humaines entre 300.000 et 200.000 ans. A l'intérieur de l'haplogroupe A00, le génome de cet enfant a divergé entre 37.000 et 25.000 ans des lignées contemporaines:

2020_Lipson_Figure1.jpg, janv. 2020

L'analyse des génomes de ces quatre individus montre que les deux garçons vieux de 8000 ans sont reliés au quatrième degré et les deux enfants vieux de 3000 ans sont reliés au second degré. Ces résultats suggèrent qu'à ces deux époques l'abri sous roche a été utilisé comme sépulture familiale.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces quatre génomes avec ceux d'autres anciennes populations et de populations contemporaines Africaines. Dans la figure ci-dessous les sud-Africains sont en bas à droite, les est Africains en bas à gauche et les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale en haut:

2020_Lipson_Figure2a.jpg, janv. 2020

Dans cette figure, les enfants de Shum Laka se positionnent à droite des populations actuelles d'Afrique de l'ouest de langue Bantoue et tout à côté des chasseurs-cueilleurs pygmées du Cameroun: Baka, Bakola et Bedzan et de République Centrafricaine: Aka ou Biaka.

Les auteurs ont tracé une seconde PCA en supprimant les populations sud Africaines. Là encore les enfants de Shum Laka se situent proche des chasseurs-cueilleurs d'Afrique du Centre Ouest. De manière intéressante, les deux garçons datés de 8000 ans sont plus proches des populations ouest et est Africaines, que les enfants datés de 3000 ans:

2020_Lipson_Figure2b.jpg, janv. 2020

La statistique f4 montre que les individus de Shum Laka, mais aussi les chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'ouest, partagent plus d'allèles avec les anciens chasseurs-cueilleurs d'Afrique du Sud qu'avec les pasteurs d’Éthiopie.

Les auteurs ont construit un graphe de mélange génétique pour comparer les époques de divergence des différentes populations Africaines. Parmi les populations contemporaines celles qui ont divergé en premier sont les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale (en noir ci-dessous), suivis par les chasseurs-cueilleurs d'Afrique du sud (en rouge), puis les autres populations (en orange). Les auteurs ont identifié une population fantôme qui a contribué à l'ascendance des Africains de l'ouest et à l'ancien individu Mota. La divergence entre ces différentes branches date entre 250.000 et 200.000 ans (point 1 ci-dessous). Les chasseurs-cueilleurs d'Afrique Centrale se divisent entre une branche de l'est (Mbuti) et une branche de l'ouest qui se sépare entre les Aka et les anciens individus de Shum Laka:

2020_Lipson_Figure4.jpg, janv. 2020

Le second point de divergence implique des Africains de l'ouest (en vert), deux lignées est Africaines (en violet) et les populations non Africaines représentées ici par les Français (en jaune). L'ancien individu de Mota est rattachée à cette dernière branche. Cette seconde divergence est datée entre 80.000 et 60.000 ans (point 2 ci-dessus). Parmi les populations d'Afrique de l'ouest les auteurs ont identifié une population Basale Ouest Africaine qui a contribué à l'ascendance des enfants de Shum Laka (64%). Une source associée aux populations Bantoues a contribué également aux populations Aka (59%) et Mbuti (26%).

Ainsi les anciens individus de Shum Laka peuvent être modélisés comme issus d'un mélange génétique composé de 36% d'ascendance chasseur-cueilleur d'Afrique du Centre Ouest et 64 % d'une source Basale Ouest Africaine. De plus les populations actuelles du Cameroun sont plus proches des autres populations d'Afrique de l'ouest que des individsu de Shum Laka. Les actuels chasseurs-cueilleurs du Cameroun ne descendent pas des individus de Shum Laka puisqu'elles ne possèdent pas le signal lié à la source Basale Ouest Africaine. Il y a néanmoins une forme de continuité génétique entre ces populations, identifiée notamment dans les lignées paternelles par l'haplogroupe A00. Enfin les individus de Shum Laka datés de 3000 ans, ne sont pas associés à l'origine des langues Bantoues. Cette dernière se situe ou bien dans une autre région, ou bien dans cette région mais dans une autre population.