Le Néolithique en Europe s'est diffusé à partir du nord du Levant au 7ème millénaire av. JC. Il a suivi deux routes principales: continentale le long du Danube et côtière le long de la Méditerranée. Les dernières études de génomique ont montré que ce changement a été accompagné par une migration de populations en provenance du Proche-Orient qui se sont plus ou moins mélangées avec les populations locales de chasseurs-cueilleurs. Le schéma général de ce processus montre une arrivée de fermiers au début du Néolithique avec peu de mélanges génétiques avec la population locale suivie par une augmentation progressive de l'ascendance chasseur-cueilleur au cours du temps. Les preuves archéologiques montrent qu'en arrivant au nord-ouest de l'Europe la diffusion du Néolithique devient plus complexe résultant en divers échanges et interactions avec les chasseurs-cueilleurs. En France la concurrence des deux courants principaux Néolithiques et leurs interactions avec les populations locales ont créé une mosaïque de cultures différentes.

Maïté Rivollat et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient genome-wide DNA from France highlights the complexity of interactions between Mesolithic hunter-gatherers and Neolithic farmers. Ils ont séquencé le génome de 101 squelettes issus de 12 sites archéologiques de France et d'Allemagne datés entre 7000 et 3000 av. JC. Parmi ces échantillons il y a trois Mésolithiques d'Allemagne et 98 fermiers du Néolithique:

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Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales en ajoutant 629 anciens génomes et 2583 génomes contemporains préalablement publiés. Dans la figure ci-dessous les symboles des échantillons de cette étude sont entourés d'une ligne noire. Les trois chasseurs-cueilleurs des sites de Bad Dürrenberg (BDB) et Bottendorf (BOT) se regroupent avec les autres chasseurs-cueilleurs de l'ouest (WHG) à gauche de la figure. Leur haplogroupe mitochondrial et du chromosome Y sont respectivement U4 et I:

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L'individu du site de Tangermünde (TGM) en Allemagne de la fin du Néolithique se retrouve dans une position intermédiaire entre les fermiers du Néolithique et les chasseurs-cueilleurs de l'ouest. Les fermiers du Néolithique se regroupent en deux clusters principaux. Le premier est associé aux fermiers d'Europe Centrale et d'Europe du sud-est pas loin des fermiers d'Anatolie sur la droite de la figure. Le second est associé aux fermiers de France, de la péninsule Ibérique et de Grande-Bretagne en bas.

Dans cette étude, les fermiers du début du Néolithique d'Allemagne des sites de Stuttgart-Mühlhausen (SMH), Schwetzingen (SCH) et Halberstadt (HBS) appartiennent à la culture rubanée. Ils forment un groupe homogène qui est localisé avec les autres fermiers d'Europe Centrale. Les fermiers de France se regroupent dans l'autre cluster. Cependant les individus du sud de la France des sites de Pendimoun (PEN) et Les Bréguières (LBR), associés à la culture cardiale sont déplacés plus loin vers les chasseurs-cueilleurs. Ces derniers résultats suggèrent pour les fermiers de la culture Cardiale de France une histoire différente de celle des fermiers de la région Adriatique ou de la péninsule Ibérique.

Au Néolithique moyen, durant le 5ème millénaire av. JC., les sites de Gurgy (GRG), Prissé-la-Charrière (PRI) et Fleury-sur-Orne (FLR) situés dans la moitié nord de la France, apparaissent homogènes à part un individu de Prissé-la-Charrière, alors que les individus du site d'Obernai (OBN) situé en Alsace dans l'est de la France, se répartissent en trois groupes distincts: A avec les autres fermiers de l'ouest de l'Europe, B avec une forte proportion d'ascendance chasseur-cueilleur et C avec les fermiers d'Europe Centrale.

Les auteurs ont utilisé le logiciel qpAdm pour estimer la proportion d'ascendance chasseur-cueilleur chez les fermiers. En Europe du sud-est et en Europe Centrale cette proportion est très faible au début du Néolithique, avant d'augmenter progressivement dans les périodes suivantes. Ces résultats sont confirmés chez les fermiers de cette étude de l'est du Rhin. Cependant la situation est différente en France où la proportion d'ascendance chasseur-cueilleur est plus élevée qu'ailleurs et ceci dès le début du Néolithique à Pendimoun et Les Bréguières. De plus les haplogroupes du chromosome Y des hommes de ces deux sites sont tous I2a, issus de la population Mésolithique. Cependant les haplogroupes mitochondriaux sont plus variés: U5b, U8, H1, HV, J1c et K1a. D'autre part, deux individus d'Obernai (juste à l'ouest du Rhin) situés dans le groupe B possèdent plus d'ascendance chasseur-cueilleur que les autres individus du même site (excès estimé à 31,8%). Sachant qu'il y a peu d'ascendance chasseur-cueilleur chez les individus à l'est du Rhin, les auteur en déduisent que cet excès est d'origine locale à Obernai. De manière intéressante tous les hommes du site d'Obernai appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: I2a ou C1a issus de la population Mésolithique.

La figure ci-dessous résume l'évolution de la proportion d'ascendance chasseur-cueilleurs au cours du temps par pays. Les chasseurs-cueilleurs sont représentés par des triangles. Cette figure montre clairement la spécificité de la France avec une forte proportion d'ascendance chasseur-cueilleur dès le début du Néolithique:

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Les auteurs ont utilisé la structure génétique des populations de chasseurs-cueilleurs en Europe pour étudier les routes prises par les ancêtres des fermiers de France à partir du Proche-Orient: continentale ou côtière. Ces populations de chasseurs-cueilleurs peuvent être séparées en trois groupes principaux: magdaléniens représenté par l'individu GoyetQ2, chasseurs-cueilleurs de l'ouest (WHG) représentés par l'individu de Villabruna et chasseurs-cueilleurs de l'est (EHG) représentés par des individus de Russie et d'Ukraine. Ces trois groupes sont reliés par deux gradients: le premier relie les chasseurs-cueilleurs de l'ouest aux magdaléniens et est occupé par les chasseurs-cueilleurs de la péninsule Ibérique, le second relie les groupes WHG et EHG et est occupé par les chasseurs-cueilleurs Scandinaves, de la région Baltique et du sud-est de l'Europe:

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Les auteurs partent de l'hypothèse que les fermiers arrivés par la route côtière possèdent moins d'ascendance EHG et plus d'ascendance magdalénienne que ceux arrivés par la vallée du Danube.

En utilisant la statistique f4, les auteurs peuvent savoir dans un premier temps si les fermiers possèdent plus d'ascendance WHG ou EHG. Ainsi certains fermiers du sud-est de l'Europe possèdent autant d'ascendance EHG que WHG, alors que les autres possèdent surtout de l'ascendance WHG. Enfin les auteurs supposent que l'individu KO1 (qui possède une proportion d'ascendance EHG) du sud-est de l'Europe est représentatif de la population chasseur-cueilleur qui s'est mélangée avec les fermiers qui ont pris la route continentale, alors que l'individu de Loschbour (qui ne possède pas d'ascendance EHG) est représentatif de la population chasseur-cueilleur qui s'est mélangée avec les fermiers de l'ouest de l'Europe qui ont pris la route côtière. Les résultats montrent que les fermiers situés à l'est du Rhin sont plus proches de KO1 alors que ceux situés à l'ouest du Rhin sont plus proches de Loschbour. Ces résultats sont résumés dans la figure ci-dessous:

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Les individus de la culture de Baalberge et ceux du groupe de Blätterhöhle en Allemagne montrent un accroissement de l'ascendance associée à l'individu de Loschbour suggérant une migration de fermiers en provenance de l'ouest durant le 5ème millénaire av. JC. en accord avec les données archéologiques.

L'individu de Tangermünde est composé de 63,6% d'ascendance de Villabruna, ou bien 48,1% d'ascendance de KO1 et 25,8% d'ascendance de Loshbour, ou encore 21,7% de fermier d'Anatolie, 24,4% de chasseur-cueilleur de Loschbour, 12,6% d'une population de la culture des céramiques perforées et 41,3% de chasseur-cueilleur KO1, selon le modèle utilisé.

Les auteurs ont estimé la date de mélange génétique entre fermiers et chasseurs-cueilleurs avec le logiciel DATES. Ainsi pour les fermiers du sud de la France des sites de Pendimoun et Les Bréguières, le mélange génétique a eu lieu peu de temps (100 à 300 ans) avant l'époque de ces échantillons, en accord avec les données archéologiques:

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Dans le reste de la France, les groupes post-Danubiens montrent une date plus ancienne. Cependant le site d'Obernai montre une forte hétérogénéité liée aux trois groupe déjà identifiés. Ainsi le groupe C proche des fermiers d'Europe Centrale a une date de mélange génétique beaucoup plus ancienne que le groupe B qui est plus proche des chasseurs-cueilleurs.

Les auteurs ont également recherché des traces d'ascendance magdalénienne parmi les différents groupes de fermiers. Cette ascendance est notamment observée dans le groupe de Prissé-la-Charrière (6%) et de Gurgy (3,7%):

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Ces résultats suggèrent pour ces individus des mélanges génétiques soit avec des chasseurs-cueilleurs de la péninsule Ibérique soit avec des chasseurs-cueilleurs locaux en France.

Enfin, les auteurs ont analysé les relations entre les fermiers de Grande-Bretagne et ceux du continent. Ils confirment le lien entre les Néolithiques de Grande-Bretagne et ceux de la région Méditerranéenne, non seulement via les fermiers de la côte Atlantique, mais aussi via les fermiers de nombreuses régions de France (Normandie, région Parisienne et sud de la France). Cette relation se retrouve notamment dans les proportions d'ascendance chasseur-cueilleur et dans la forte proportion de l'haplogroupe du chromosome Y: I.