A la fin du 3ème millénaire av. JC., l'Europe, le Proche-Orient et l’Égypte ont subi des bouleversements sociaux et politiques importants. Des habitats ont été abandonnés, des réseaux de communication ont disparu et des changements politiques majeurs sont apparus à la fin de l'empire Akkadien et en Égypte. Ces événements ont été interprétés à la lumière d'une crise climatique connue sous le nom d'événement 4,2k. Récemment, des mouvements de populations importants ont été mis en évidence en Europe Centrale et Occidentale durant le 3ème millénaire av. JC. Des changement économiques et sociaux ont été identifiés dans la moitié sud de la péninsule Ibérique à cette époque, caractérisés par l'augmentation de la population, la diversité des habitats et des sépultures, la diffusion de la métallurgie du cuivre et des échanges de biens sophistiqués et symboliques ainsi que la mobilité et l'interconnectivité des populations.

Les résultats de paléogénétique précédents ont montré une forte continuité de la population entre le Néolithique et le Chalcolithique dans le sud de la péninsule Ibérique. Cependant, la fin du Chalcolithique voit apparaître une importante différence entre le nord et le sud de la péninsule Ibérique avec l'apparition d'individus, liés souvent au campaniforme, porteurs d'une ascendance steppique dans le nord à partir de 2400 av. JC. et leur absence dans le sud.

Le début de l'Âge du Bronze dans la péninsule Ibérique vers 2200 av. JC. marque un important changement de population dans toute la péninsule Ibérique avec l'omniprésence d'individus d'ascendance steppique et l'omniprésence de l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-P312 absent dans la région avant 2400 av. JC.

La transition entre le Chalcolithique et l'Âge du Bronze dans le sud de l'Espagne voit la destruction des habitats fortifiés comme ceux de Los Millares ou les sites entourés de fossés comme ceux de Valencina ou Perdigões, ainsi que l'apparition dans le sud-est par la culture d'El Argar caractérisée par des habitats perchés, un rite funéraire, de la céramique et des objets métalliques spécifiques. L'origine de cette culture est encore obscure quoique certains éléments se rapprochent de la culture Campaniforme comme les boutons à perforation en V, les pointes de Palmela ou les brassards d'archer. Cependant la poterie Campaniforme est absente de la culture d'El Argar.

Depuis la découverte de l'habitat fortifié de La Bastida daté de 2200 av. JC., une possible influence venue de l'est de la Méditerranée a été avancée. De plus les sépultures intra-muros dans de grandes céramiques, la circulation d'objets de parure en argent et les coupes à pieds ont également été interprétées comme des signes venue de la région Égéenne ou du Proche-Orient, bien que tous ces éléments émergent à la fin de la période El Argar.

Vanessa Villalba-Mouco et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genomic transformation and social organization during the Copper Age–Bronze Age transition in southern Iberia. Ils ont séquencé le génome de 136 anciens individus du sud de la péninsule Ibérique dont 34 sont datés du chalcolithique, 96 de l'Âge du Bronze dont la plupart appartiennent à la culture d'El Argar, et six sont datés de la fin de l'Âge du Bronze:

2021_VillalbaMouco_Figure1.jpg, nov. 2021

Les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes Principales à partir uniquement des individus appartenant au Chalcolithique. Tous ces individus se regroupent avec les autres anciens individus du Néolithique Moyen ou Final et du Chalcolithique sans ascendance steppique de la péninsule Ibérique:

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Ainsi l'ascendance des steppes n'est pas présente dans le sud de la péninsule Ibérique durant le Chalcolithique contrairement à certains qui suggéraient une influence des steppes sur le site de la Valencina.

La statistique f4 montre que les anciens individus du Chalcolithique du nord et du centre de la péninsule Ibérique ont une plus forte proportion d'ascendance WHG (chasseurs-cueilleurs de l'ouest) que les anciens individus du Chalcolithique du sud de la péninsule Ibérique. Ces derniers ont à l'inverse de l'ascendance Magdalénienne (GoyetQ2), entre 6 et 7%:

2021_VillalbaMouco_Figure2D.jpg, nov. 2021

De plus certains individus du Chalcolithique du sud-est de la péninsule Ibérique ont une petite proportion d'ascendance issue des fermiers d'Iran.

Les auteurs ont ensuite effectué une Analyse en Composantes Principales à partir des individus appartenant à l'Âge du Bronze. Tous ces individus sont déplacés vers les pasteurs des steppes. Ils se situent plus précisément entre les individus du Chalcolithique du sud de la péninsule Ibérique (carrés noirs en bas) et les individus de l'Âge du Bronze du nord de la péninsule Ibérique (disques rose):

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Ces résultats sont confirmés par l'analyse avec le logiciel ADMIXTURE qui montre l'apparition d'une nouvelle composante dans l'ascendance des anciens individus de l'Âge du Bronze du sud de la péninsule Ibérique, ainsi que par l'utilisation de la statistique f4. Ces résultats suggèrent une certaine proportion d'ascendance des steppes chez les individus de la culture d'El Argar, quoique inférieure à celle contenue chez les individus de l'Âge du Bronze du nord de la péninsule Ibérique.

L'analyse des haplogroupes du chromosome Y montre que tous les individus de l'Age du Bronze du sud-est de la péninsule Ibérique sauf un (E1b) sont de l'haplgoupe R1b-P312:

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Les anciens individus de la fin de l'Âge du Bronze des Îles Baléares montrent moins d'ascendance des steppes que ceux du début de l'Âge de Bronze des mêmes îles préalablement publiés confirmant ainsi une décroissance de cette ascendance au cours du temps.

La première apparition de l'ascendance des steppes se trouve dans une tombe double du site de Molinos de Papel datée vers 2200 av. JC. et comportant quelques artefacts Campaniformes. Les plus anciens échantillons des sites El Argar de La Almoloya et de La Bastida sont datés du 21ème siècle av. JC. Le mélange génétique trouvé chez tous les anciens individus de la culture d'El Argar s'est donc produit entre 2200 et 2050 av. JC. L'arrivée de cette nouvelle composante issue des steppes s'est produite du nord vers le sud à l'intérieur de la péninsule Ibérique.

Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel qpAdm pour essayer de modéliser l'ascendance des individus de la culture d'El Argar. Les traces d'ascendance Magdalénienne visibles dans les échantillons du Chalcolithique ne sont plus visible dans les échantillons de l'Âge du Bronze, probablement à cause de sa dilution après l'arrivée de l'ascendance des steppes. Certains échantillons demande de plus d'ajouter une composante Iranienne:

2021_VillalbaMouco_FigureS6.jpg, nov. 2021

Cependant, lorsque les auteurs ont pris comme source les anciens individus du Chalcolithique du sud de la péninsule Ibérique et des Campaniformes d'Allemagne, il n'est plus utile, dans certains cas, de rajouter une source Iranienne dans l'ascendance des anciens individus de l'Âge du Bronze. Ce résultat suggère que la composante Iranienne était déjà présente dans le sud de la péninsule Ibérique durant le Chalcolithique. Cependant plus de données sont nécessaires pour confirmer la date d'arrivée de la composante Iranienne chez les individus de la culture d'El Argar.

Un des anciens individus (ZAP002) de la fin de la culture d'El Argar issu du site archéologique de Lorca-Zapatería se trouve en dehors de la variabilité génétique des autres individus de cette culture. Sur la PCA ci-dessus il est déplacé vers les individus de Méditerranée centrale (notamment Sicile). La statistique f4 montre de plus que cet individu a des affinités génétiques avec les anciens Ibéromaurusiens du Maroc. Cet individu est complètement non local au sud-est de la péninsule Ibérique:

2021_VillalbaMouco_Figure5C.jpg, nov. 2021