L'importance du voyage sur la mer dans la préhistoire est claire au vu de la diffusion rapide de l'agriculture depuis le Proche-Orient le long des côtes Méditerranéennes jusqu'à la péninsule Ibérique, incluant la colonisation de Chypre dès 8600 av. JC. Cependant les considérations au sujet de la mer à cette époque ont changé entre une barrière ou un couloir d'échanges. Les premières études de paléo-génomique ont montré l'importance de la migration dans la diffusion du Néolithique en Europe, mais ont également illustré le retard aux échanges génétiques à cause de la mer dans certaines populations comme la Sardaigne de l'Âge du Bronze sans influx venu des steppes.

Les premiers habitats sur les îles de Malte remontent au Néolithique et sont datés du 6ème millénaire av. JC. Cette population a développé différentes phases culturelles montrant des échanges matériels avec l'extérieur, avant de décliner à partir de 3600 av. JC. lorsque la céramique et l'architecture ont commencé à montrer des traits distinctifs. Un exemple est le développement de sépultures creusées dans la roche comportant plusieurs chambres funéraires comme le cercle de pierres de Xagħra sur l'île de Gozo.

2022_Ariano_Figure1.jpg, mai 2022

Cette sépulture contenait les restes osseux de plusieurs centaines d'individus. Elle a subi plusieurs agrandissements avant d'être abandonnée vers 2500 av. JC.

Bruno Ariano et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Ancient Maltese genomes and the genetic geography of Neolithic Europe. Ils ont séquencé le génome de neuf anciens individus issus de la sépulture du cercle de pierres de Xagħra. Parmi ces échantillons trois ont donné des résultats de bonne qualité. Le plus ancien est une femme datée entre 2900 et 2750 av. JC, et les deux autres sont deux hommes datés entre 2550 et 2350 av. JC.:

2022_Ariano_Table1.jpg, mai 2022

Les anciens fermiers de Malte possèdent le plus d'affinité génétique avec les anciens individus du Néolithique ancien de Grèce et d'Italie. Les études précédentes ont montré que la proportion d’ascendance chasseur-cueilleur varie beaucoup dans la population du Néolithique d'Europe, notamment en fonction du temps. De manière intéressante les trois fermiers de Malte sont ceux qui possèdent le moins d'ascendance chasseur-cueilleur parmi la population de la fin du Néolithique en Europe: 6.8% ± 2.5%. Ce résultat suggère une isolation de ces populations insulaires en accord avec les résultats obtenus en Sardaigne qui montrent que la proportion d'ascendance chasseur-cueilleur est constante durant tout le Néolithique. De plus les résultats montrent également que ces génomes de Malte ne montrent pas de flux de gènes en provenance des populations Nord Africaines, des chasseurs-cueilleurs du Caucase ou des pasteurs des steppes.

L'analyse des segments d'homozygotie (ROH) montre que les trois génomes de Xagħra possèdent de nombreux longs segments. Notamment l'homme Xaghra9 est le second individu qui possède le plus de ces segments dans la population Néolithique d'Europe après un individu d'un dolmen de Newgrange en Irlande (NG10) qui était le fils d'un couple formé par un frère et une sœur:

2022_Ariano_Figure2A.jpg, mai 2022

Cependant Xaghra9 a un spectre de segments d'homozygotie qui est moins porté vers les très longs segments par rapport à l'individu de Newgrange. Pour essayer de comprendre ce spectre les auteurs ont simulé un grand nombre de génomes produit par des parents avec différents types de relations: frère/sœur, oncle/nièce, cousins, grand-parent/nièce, grand oncle/nièce, ...

2022_Ariano_Figure2B.jpg, mai 2022

Le résultat ci-dessus montre que l'individu Xaghra9 se situe en dessous de la plupart de ces points de simulation suggérant que cet individu de Malte est le résultat complexe de multiples unions consanguines. Il est possible que cet individu soit le fruit à la fois d'une union récente consanguine et d'une taille de la population ancestrale Maltaise historiquement petite. Cette dernière interprétation est supportée par le nombre de segments d'homozygotie également élevé chez les deux autres individus Maltais: Xaghra5 et Xaghra6. Les auteurs ont ainsi estimé la taille effective de la population de Xaghra a environ 515 individus. Ces résultats suggèrent pour les îles de Malte, un isolement, avec des réseaux d'accouplement largement confinés sur les côtes de l'île.

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales limitée à la population Néolithique d'Europe. Le résultat met en évidence l'existence de trois clusters: l'ouest de la Méditerranée en bas à gauche (BQ=Basques, IB=péninsule Ibérique, MF=France méditerranéenne, SR=Sardaigne, NF=France du nord), l'est de la Méditerannée et l'Europe Centrale en bas à droite (AN=Anatolie, GR=Grèce, CE=Europe Centrale, BK=Balkans, ...) et les îles Britanniques en haut (GB=Grande Bretagne, IE=Irlande, OR=Orcades):

2022_Ariano_Figure4A.jpg, mai 2022

De manière intéressante comme pour les populations contemporaines, la répartition des populations Néolithiques d'Europe forme un reflet de la position géographique des peuples avec notamment le Nord de la France en position intermédiaire entre l'ouest de la Méditerranée et les îles Britanniques et l'Italie, Malte et la Sicile en position intermédiaire entre l'ouest et l'est de la Méditerranée. De manière intéressante l'Europe Centrale se positionne avec les populations Néolithiques de l'est de la Méditerranée suggérant que ces populations préhistoriques sont restées connectées durant tout le Néolithique. A l'inverse la seconde route de diffusion du Néolithique le long des côtes Méditerranéenne montre une nette différence entre les populations de l'est et de l'ouest de la Méditerranée, suggérant une perte de contact entre les populations d'un bout à l'autre de la Méditerranée, probablement liée à une taille de population migrante plus petite que celle qui s'est diffusée le long du Danube.