Au sud de la Scandinavie, le Mésolithique et le Néolithique sont caractérisés par des transitions culturelles bien définies. Cependant les impacts démographiques et génétiques de ces événements restent mal connus. Les débuts de la colonisation post glaciaire de la Scandinavie comprennent au moins deux migrations. La première voit l'arrivée de chasseurs-cueilleurs de l'ouest (WHG) au sud, alors que la seconde voit l'arrivée de chasseurs-cueilleurs de l'est (EHG) par le nord, avant de descendre plus au sud le long de la côte Norvégienne. En Europe, le Néolithique voit l'arrivée de fermiers venus d'Anatolie. Dans le sud de la Scandinavie, cette transition arrive un millénaire plus tard qu'en Europe Centrale. Au Danemark, le premier Néolithique correspond à la culture des vases à entonnoir. Il laisse ensuite la place à la culture des sépultures individuelles (SGC).

Morten Allentoft et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: 100 ancient genomes show repeated population turnovers in Neolithic Denmark. Ils ont séquencé le génome de 100 anciens individus du Danemark datés entre le début du Mésolithique et l'Âge du Bronze sur une durée de 7300 ans:

2024_Allentoft_Figure1.png, janv. 2024

Le début du Mésolithique au Danemark correspond au Maglemosien daté entre 11.000 et 8400 ans, caractérisé archéologiquement par de petits projectiles en silex. Il est suivi par le Kongemosien daté entre 8400 et 7400 ans caractérisé par des pointes de flèche trapézoïdales, puis par la culture d'Ertebølle entre 7400 et 5900 ans. La céramique a été introduite dans la région par d'autres cultures de chasseurs-cueilleurs. Les auteurs de cette étude ont analysé le génome de 38 chasseurs-cueilleurs du Danemark dont quatre du Maglemosien, huit du Kongemosien, et 27 de la culture d'Ertebølle. Tous ces individus montrent une forte homogénéité génétique sur une période de 4500 ans, comme on peut le voir en bas à gauche de la PCA ci-dessous (symboles violet foncé):

2024_Allentoft_Figure1b.png, janv. 2024

ou l'analyse avec le logiciel ADMIXTURE (ascendance vert clair largement dominante):

2024_Allentoft_Figure1c.png, janv. 2024

Ces résultats suggèrent une forte continuité génétique au Danemark tout le long du Mésolithique, correspondant à l'ascendance des chasseurs-cueilleurs de l'ouest. Les traits phylogénétiques indiquent une très forte probabilité des yeux bleus et des cheveux bruns tout le long du Mésolithique. L'analyse isotopique du carbone et de l'azote montre une forte consommation de produits marins à cette époque. L'analyse isotopique du strontium montre une faible mobilité de cette population.

La culture des vases à entonnoir marque le début du Néolithique au Danemark il y a environ 5900 ans. De longs tumulus de bois et de terre apparaissent rapidement. A partir de 5300 ans apparaissent les premières structures de pierre. Une ancienne femme datée entre 5896 et 5718 ans affiche un profil génétique complètement différent de celui des chasseurs-cueilleurs précédents, mais identique aux fermiers venus d'Anatolie au moment de la transition Néolithique en Europe. Le Néolithique au Danemark comme ailleurs en Europe est donc le témoin d'un remplacement de population avec néanmoins un peu de contribution génétique (entre 10 et 35%) des anciens chasseurs-cueilleurs de la phase précédente, comme on peut le voir en bas à droite de la PCA et l'analyse avec le logiciel ADMIXTURE ci-dessus. Ces anciens fermiers du Danemark sont le plus proche des individus de la culture des vases à entonnoir de Suède et de Pologne ainsi que des fermiers de la culture des amphores globulaires. Cela suggère une origine orientale pour les premiers fermiers du Danemark. De manière intéressante, une forte proportion de l'ascendance chasseurs-cueilleurs des fermiers du Néolithique ne provient pas du Danemark, indiquant ainsi que les premiers fermiers arrivés au Danemark possédaient déjà une proportion importante d'ascendance chasseurs-cueilleurs. Cependant les fermiers Danois de la fin du Néolithique possèdent une proportion non négligeable d'ascendance génétique issue des chasseurs-cueilleurs du Danemark suggérant ainsi un flux de gènes de cette ancienne population dans la population des fermiers. Ainsi les anciennes populations de chasseurs-cueilleurs au Danemark ont du survivre plusieurs siècles en parallèle avec les sociétés agricoles. Les analyses isotopiques montrent que dès le début du Néolithique, l'alimentation des hommes s'est modifiée fortement vers une diète à base de ressources terrestres: viande, céréales et légumes. De plus, les analyses des isotopes du strontium indiquent des valeurs beaucoup plus variées qu'au Mésolithique. L'analyse des trait phylogénétiques indiquent une couleur des cheveux plus claire et une taille plus petite que les individus du Mésolithique. Enfin, deux individus de la culture de la céramique perforée datés de 5200 ans ont un profil génétique semblable aux chasseurs-cueilleurs du Mésolithique.

Entre 5000 et 4800 ans, l'Europe voit l'arrivée d'un mouvement de populations en provenance des steppes qui donne naissance à la culture de la céramique cordée, puis à la culture campaniforme. Au Danemark, ce mouvement démographique correspond à la transition entre la culture des vases à entonnoir et la culture des sépultures individuelles, qui est une manifestation régionale de la culture cordée. Cette étude démontre que les anciens individus de la culture des sépultures individuelles ont un profil génétique très différent des fermiers de la culture précédente. Cela se voit à la fois en haut à droite de la PCA et dans l'analyse ADMIXTURE sur les figures ci-dessus. La proportion d'ascendance des steppes dans le génome de ces anciens Danois est comprise entre 60 et 85%. Les traits phylogénétiques indiquent une augmentation de la taille de ces individus par rapport à la phase précédente.

La période suivante de la fin du Néolithique correspond à la période archéologique des poignards en silex comprise entre 4600 et 3700 ans. Elle peut être divisée en trois phases successives. Dans la première phase comprise entre 4600 et 4300 ans, les anciens individus se regroupent avec la population de la culture cordée, riche en ascendance des steppes et un haplogroupe du chromosome Y: R1a. Cette phase est associée archéologiquement à la culture des sépultures individuelles du Danemark et à la culture des haches de combats de Suède. La seconde phase entre 4300 et 3700 ans correspond à la culture des poignards en silex. Ces anciens individus se regroupent avec les populations d'Europe Centrale et de l'ouest de la fin du Néolithique et du début de l'Âge du Bronze, avec une domination de l'haplogroupe R1b-L51 du chromosome Y. Enfin la troisième phase entre 4000 et 3000 ans, voit l'apparition de l'haplogroupe du chromosome Y: I1 qui est dominant aujourd'hui en Scandinavie. Cette dernière phase correspond à l'arrivée d'une nouvelle population venue du nord et de l'est de la Scandinavie. Ce profil génétique sera ensuite dominant dans les populations plus tardives de l'Âge du Fer et de l'ère Viking.

La population actuelle du Danemark (symboles noirs ci-dessous à droite) se regroupe entre les anciens individus de la fin du Néolithique et du début de l'Âge du Bronze (en orange) et l'ancienne population Viking (en jaune):

2024_Allentoft_Figure4.png, janv. 2024