La culture phénicienne a émergé dans des cités états de l'Âge du Bronze du Levant. Au début du premier millénaire av. JC., les phéniciens ont établi un vaste réseau commercial le long des côtes méditerranéennes jusque sur les côtes sud-ouest de la péninsule Ibérique, diffusant leur culture, leur religion et leur langue. Au milieu du sixième siècle av. JC., Carthage, une colonie phénicienne située dans l'actuelle Tunisie, émergea comme un centre important de pouvoir en Méditerranée centrale et occidentale, alors que l'influence Levantine déclina au moment où leurs cités tombèrent sous le contrôle des empires néo-Assyrien et néo-Babylonien. Ensuite, Carthage entra en conflit avec les cités Grecques aux cinquième et quatrième siècles av. JC., puis avec l'empire Romain aux troisième et second siècles av. JC. avant sa destruction finale en l'an 146 av. JC. Dans cet article, le terme punique est donné à l'ensemble des sites archéologiques de la Méditerranée centrale et occidentale associés à la culture phénicienne, datés entre le sixième et le second siècle av. JC. correspondant à l'hégémonie de Carthage dans la région.
Harald Ringbauer et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Punic people were genetically diverse with almost no Levantine ancestors. Ils ont analysé le génome de 210 anciens individus issus de 14 sites archéologiques phéniciens ou puniques localisés dans la péninsule Ibérique, en Sardaigne, en Sicile, en Afrique du nord et au Levant datés 600 et 150 av. JC. Il n'y a pas d'individus plus anciens que 600 av. JC., car avant cette date la crémation était le mode de sépulture le plus courant dans ces communautés:
Les auteurs ont effectué une Analyse en Composantes Principales pour comparer ces génomes à d'autres anciens génomes ou contemporains préalablement publiés. Dans la figure ci-dessous les génomes phéniciens sont représentés par des symboles orange foncé et les génomes puniques par des symboles orange clair:
Les anciens phéniciens se regroupent avec les autres anciens individus du Levant en haut de la figure ci-dessus. A l'inverse les anciens puniques se situent pour la plupart avec les anciens individus de Sicile et de la région Egéenne et les autres sur un gradient qui relie ce groupe d'anciens siciliens et égéens avec les anciens individus d'Afrique du nord situés en bas à droite. Parmi ces derniers, il y a un ancien individu de Khenchela en Algérie du début de l'Âge du fer (symbole noir) et des guanches des îles Canaries (symboles marrons). En résumé, si les anciens phéniciens ont une ascendance typique du Levant les anciens puniques ont pour certain une ascendance typique du centre de la Méditerranée et pour les autres sont issus d'un mélange génétique entre une ascendance du centre de la méditerranée et une ascendance nord Africaine. Ces résultats sont confirmés par une analyse avec les logiciels ADMIXTURE et qpAdm. Seuls trois individus puniques des sites de Birgi et Lylibaeum en Sicile et Tharros en Sardaigne possèdent une forte proportion d'ascendance Levantine:
Cinq points d’analyse génétique des populations révèlent que les individus des sites puniques faisaient partie d’une population méditerranéenne génétiquement hétérogène et interconnectée. D'abord il y a une forte diversité des haplogroupes du chromosome Y: E1b (n=14), R1b (n=10), J2a (n=8), G2A (n=7) et J1a (n=5), alors que la plupart des anciens phéniciens appartiennent à haplogroupe J2. Ensuite il y a une forte diversité des profils génétiques de ces anciens individus. De plus la forte variation des profils génétiques est similaire d'un site à l'autre du monde punique suggérant une forte inter-connectivité entre ces différents sites. Ensuite les auteurs ont utilisé les segments IBD pour estimer le degré de relations familiales entre individus et ainsi reconstruire des arbres généalogiques. Ces arbres ont révélé des familles élargies qui intégraient des individus d'ascendances diverses, montrant que le mélange d'ascendances était en cours dans certaines populations puniques. Enfin les auteurs ont mis en évidence des relations familiales entre individus d'une rive à l'autre de la Méditerranée, notamment deux individus de Kerkouane et de Birgi partagaient trois longs segments IBD, suggérant qu'ils étaient cousins au second ou troisième degré.
Les auteurs ont ensuite étudié les segments d'homozygotie. Ils ont ainsi mis en évidence 11 anciens individus qui avaient des segments d'homozygotie de longueur supérieure à 20 cM suggérant que leurs parents étaient reliés au second ou troisième degré. Notamment trois individus de Kerkouane avaient des parents reliés au second degré, par exemple un oncle et une nièce. Ce taux élevé (11 sur 86 génomes analysés) est supérieur à la plupart des autres sociétés étudiées jusqu'à présent. De plus ces cas sont répartis sur six sites puniques différents ce qui suggère que l'endogamie était largement répandue dans le monde punique. Un exemple est donné avec la tombe 774 située sur le site de Villaricos dans la péninsule Ibérique. Cette tombe contenait les restes de 18 individus. Cinq d'entre eux sont datés du cinquième et quatrième siècles av. JC. Ces cinq individus ont un profil génétique correspondant au cluster Sicile/Mer Égée et proche notamment des anciens mycéniens de l'Âge du Bronze. Ces cinq individus sont tous reliés familialement les uns aux autres au deuxième ou au troisième degré. De plus les parents de trois d'entre eux étaient également reliés l'un à l'autre. Ces observations suggèrent que les individus de la tombe 774 faisaient partie d'une communauté refermée sur elle même, d'ascendance sicilienne-égéenne au sein de la communauté punique diversifiée de Villaricos.
Anciens génomes des communautés Phéniciennes et Puniques
vendredi 25 avril 2025. Lien permanent ADN ancien
une réaction
1 De Show Dal - 26/05/2025, 12:11
Bonjour Bernard,
Très intéressant, merci pour le partage.
Cette étude m'amène à 2 conclusions (évidemment) hypothétiques :
(1) la civilisation carthaginoise et/ou punique d'Afrique du Nord a probablement été fondée par des Sud Européens phénicianisés, avec quelques éléments locaux. En tout cas, c'est que confirme les données génétiques de Carthage et les iles Kerkouane => c'est ce que je répète depuis longtemps sur les réseaux sociaux.
(2) les actuels maghrébins sont probablement les descendants de libyens arabisés et islamisés venus conquérir les actuels Algérie, Tunisie et Maroc en grande masse, et qui auraient "effacés" les éléments puniques restants (qui se retrouvent principalement dans le pourcentage d'ADN sarde chez les actuels locaux de la partie nord du Maghreb) sans doute parce qu'ils étaient plus nombreux.
C'est ce qui expliquerait la généralisation du marqueur E-M81 (peu présent chez les très anciens nord-africains comme les Ibéromauriciens, les gens du Sahara vert sud Libyen et les gens de Djebbah).
Avez-vous un avis sur ces 2 hypothèses (surtout la deuxième) ?
Bravo encore.