Miguel Gonzalez vient de publier un papier intitulé: The genetic landscape of Equatorial Guinea and the origin and migration routes of the Y chromosome haplogroup R-V88 dans lequel il étudie un ensemble d'individus vivant à Madrid, mais tous originaires de la Guinée Équatoriale. Il remet en cause l'hypothèse de Cruciani qui avait proposé une migration de l'Asie vers l'Afrique de l'haplogroupe R1b-V88 en relation avec la diffusion des langues chadiques, dans un papier de 2010 intitulé: Human Y chromosome haplogroup R-V88: a paternal genetic record of early mid Holocene trans-Saharan connections and the spread of Chadic languages. A la place, Miguel Gonzalez propose que R1b-V88 soit originaire d'Afrique centrale, et se soit propagé ensuite vers le nord de l'Afrique. Je suis un peu sceptique vis à vis de la nouvelle proposition de Miguel Gonzalez et j'ai décidé de résumer ici ces deux études.

Le papier de Cruciani

La distribution des haplogroupes du chromosome Y sur le continent africain montre une claire différentiation entre l'Afrique sub-saharienne et l'Afrique du nord. L'haplogroupe E-DYS271 a une fréquence supérieure à 70% au sud du Sahara, mais est limité à 2 ou 3% en Afrique du nord. A l'inverse les haplogroupes J-M304, E-M81 et E-M78 ont une fréquence globale comprise entre 50 et 90% en Afrique du nord, mais sont très rares au sud du Sahara. Un autre groupe semble particulièrement intéressant: R1b-P25* trouvé à près de 95% dans le nord du Cameroun. Ce groupe semble rare dans d'autres régions sub-saharienne, et absent en Europe. Cette étude a pour objectif d'éclaircir les processus démographiques liés à la diffusion de ce para groupe R1b-P25* en Afrique. Plus de 1800 hommes africains appartenant à 69 populations ont été testés. De plus, 3500 individus d'Europe et d'Asie ont également été testés. D'autre part, 4 individus: 2 R1b-P25* et 2 R1b-M269 ont été largement séquencés afin de rechercher de nouveaux SNPs.

6 nouvelles mutations ont été découvertes: R1b-V7, R1b-V8, R1b-V35, R1b-V45, R1b-V69 et R1b-V88. La mutation V45 est équivalente à M173. Parmi les 5 autres, V88 définit un nouvel haplogroupe qui inclut M18, V8, V35 et V69. V7 est située sous V35:
2010 Cruciani Figure 1

En tout, 997 individus ont été trouvés appartenant à l'haplogroupe R1b. Tous les africains appartiennent au groupe R1b-V88, sauf 1 africain de l'est et quelques africains du nord qui appartiennent au groupe R1b-M269. Environ un tiers des R1b-V88 appartiennent également au sous-groupe R1b-V69. Ce dernier sous-groupe n'est pas observé en dehors de l'Afrique. La grande majorité des R1b d'Eurasie de l'ouest appartiennent au groupe R1b-M269. Seulement 5 appartiennent au groupe R1b-V88. En asie, les R1b sont soit R1b-M73, soit R1b-M269.

L'étude phylogéographique de l'haplogroupe K-M9 qui contient R1b propose une ancienne migration de l'Asie vers l'Afrique pour expliquer la présence de R1b-V88 en Afrique. Cette hypothèse est fortement confirmée par cette étude. Afin de dater cette migration, une estimation maximale est donnée par l'âge de R1b-P25 calculé à 12.900 ans, une estimation minimale est donnée par l'âge de R1b-V69 calculé à 6.000 ans. En Afrique les plus hautes fréquences de R1b-V88 sont trouvées au centre du Sahel: nord du Cameroun, nord du Nigeria, Tchad et Niger. Au sud de cette zone (sud du Cameroun et sud du Nigeria), la fréquence chute brutalement en dessous de 5%.
2010 Cruciani Figure 2

Le centre du Sahel est caractérisé par une forte fragmentation linguistique: la population parle 3 des 4 familles linguistiques d'Afrique: Afro-Asiatique, Niger-Congo et Nilo-Saharienne. Parmi les langues Afro-Asiatiques, on trouve des Berbères, des Arabes Shuwa et des langues Chadiques. Une majorité des individus R1b-V88 semble parler un langage chadique. En dehors de l'Afrique Centrale, l'haplogroupe R1b-V88 est observé uniquement dans des populations parlant des langages Afro-Asiatiques: 0,3% au Maroc, 3% en Algérie et 11,5% en Égypte dont 26,9% chez les berbères de l'oasis Siwa. Suivant les modèles utilisés, la date d'expansion de l'haplogroupe R1b-V88 en Afrique est estimé entre 9200 et 5600 ans. Diverses hypothèses ont été formulées pour expliquer la diffusion des langues chadiques. D'après Ehret, les populations parlant le proto-chadique se sont déplacées il y a environ 7000 ans dans le Sahara vers l'ouest, puis vers le sud jusqu'au bassin du lac Tchad. D'après Blench, les populations parlant le proto-chadique se sont déplacées vers l'ouest depuis la région du Nil moyen vers le lac Tchad. Cruciani privilégie la première hypothèse en tenant compte de la présence de R1b-V88 en Afrique du nord, notamment en Égypte. Cette époque coïncide avec une période où le climat était plus doux et humide dans la région du Sahara: des lacs devaient exister et représenter près de 10% de la surface du Sahara actuel. Ils fournissaient ainsi un vaste corridor permettant aux hommes de se déplacer à travers la région.

En conclusion, cette étude met en évidence une contribution génétique portée par l'haplogroupe R1b-V88 de l'Afrique du nord (et précédemment de l'Asie) vers le pool génétique du centre du Sahel. Ces migrations semblent correspondre à la diffusion des langues chadiques entre l'holocène ancien et moyen.

Le papier de Gonzalez

Des études précédentes ont rapporté que l'haplogroupe R1b-P25 se retrouve à hautes fréquences dans certaines populations africaines. Sa présence est expliquée par une migration d'Asie vers l'Afrique en relation avec la diffusion des langues chadiques, à travers le Sahara suivant une direction nord-est vers le sud-ouest.

La Guinée Équatoriale est un pays situé au sud du bassin du lac Tchad et ses populations ont pu être influencées par cette migration. Un total de 112 hommes originaires de Guinée Équatoriale, bien que vivant à Madrid, ont été testés sur 17 marqueurs STR et 49 SNPs caractérisant l'arbre du chromosome Y. La grosse majorité de la population parle le Bantou.

Les résultats ont mis en évidence 104 haplotypes différents appartenant à 13 haplogroupes. 80% des échantillons appartiennent à l'haplogroupe E-M2. Cet haplogroupe est le plus fréquent en Afrique sub-Saharienne. 19 échantillons appartiennent à l'haplogroupe R1b-P25. 1 échantillon appartient à l'haplogroupe A et 1 échantillon appartient à l'haplogroupe B. Enfin 2 échantillons appartiennent à l'haplogroupe G et 1 à l'haplogroupe N. Ces trois échantillons sont supposés venir d'un influx européen. En tout 15% des échantillons sont supposés issus d'un influx génétique européen appartenant aux haplogroupes: E1b-M81, G-M201, N1c, R1b-M269 et E1b-M78. Parmi les 19 échantillons R1b, 10 sont de l'haplogroupe R1b-M269 et sont donc d'influx européen, et 9 échantillons sont de l'haplogroupe R1b-V88.

Les échantillons R1b ont été comparés avec des données R1b du Cameroun et du Gabon. Une claire séparation apparait entre R1b-M269 (en jaune et vert) et R1b-V88:
2013 Gonzalez Figure 2a

Les échantillons R1b-V88 ont également été comparées avec les données de Cruciani:
2013 Gonzalez Figure 2b

Les données de Guinée Équatoriale semblent bien reliées avec les autres données africaines.

La variance des échantillons R1b-V88 a également été analysée et comparée avec la variance des échantillons d'Afrique Centrale et d'Afrique du nord:
2013 Gonzalez Table 2

Une plus grande variance apparait ainsi en Guinée Equatoriale (0,43 contre 0,27 en Afrique Centrale et 0,24 en Afrique du Nord), indiquant une plus ancienne origine de cet haplogroupe en Guinée Équatoriale.

En conclusion cette étude est compatible avec une origine de R1b-V88 en Afrique du Centre-Ouest. La présence de R1b-V88 en Afrique du nord peut alors s'expliquer par une migration du sud vers le nord peut-être durant l'holocène moyen.

Commentaires

Sachant que l'étude de Gonzalez a mis en évidence uniquement 9 échantillons R1b-V88, on peut se poser des questions sur la validité de la mesure de la variance mesurée en Guinée Équatoriale. Il est clair que ces mesures de variance doivent être confirmées ou infirmées sur des données beaucoup plus nombreuses. D'autre part, il aurait été sûrement intéressant de mesurer la variance de R1b-V88 également au Moyen-Orient.

Enfin, si Gonzalez suppose que la mutation V88 a émergé en Afrique du Centre-Ouest, il ne nous dit rien sur comment l'haplogroupe R1b est arrivé dans cette région.