Barton vient de publier un papier intitulé: Origins of the Iberomaurusian in NW Africa: New AMS radiocarbon dating of the Middle and Later Stone Age deposits at Taforalt Cave, Morocco qui précise l'origine et la datation de la culture Iberomaurusienne d'Afrique du Nord.

Des études récentes en génétique ont proposé que les populations d'hommes modernes en Afrique du Nord sont originaires de groupes qui ont migré à partir de l'Asie du Sud-Ouest. Cependant la nature, le timing et la diffusion géographique de ces migrations restent sujets à débat. D'un côté, des études proposent une diffusion ancienne des groupes mitochondriaux M1 et U6 en Afrique du Nord dès 40.000 ou 45.000 ans (Olivieri, 2006), alors que d'autres études suggèrent de multiples migrations avec une expansion majeure de l'haplogroupe U6 au Maghreb, il y a seulement 22.000 ans (Maca-Meyer, 2003 et Pereira, 2010). Les cultures archéologiques seraient liées à ces modèles démographiques. Notamment Maca-Meyer a proposé que la diffusion des haplogroupes U6a1 et U6a1a âgés d'environ 22.000 ans soit liée à l'apparition de la culture Iberomaurusienne. Cette industrie lithique lamellaire est significative car elle représente la plus ancienne technologie du Paléolithique Supérieur au Maghreb. Actuellement, il est difficile de savoir si cette industrie correspond à l'arrivée d'une nouvelle population (modèle de remplacement) ou à l'évolution d'une population déjà présente auparavant (modèle de continuité). Pour le moment, l'archéologie n'a pas pu répondre à cette question du fait du manque de précision des datations obtenues pour cette région, et de la rareté de stratigraphie associée à des restes fossiles humains. Un site majeur qui peut remédier à cette situation est la Grotte des Pigeons à Taforalt. Cette grotte est localisée dans les montagnes Beni-Snassen au nord-est du Maroc, et a été sujette à des fouilles récentes qui a fourni une longue séquence continue de restes archéologiques entre 110.000 et 12.000 ans. Les sédiments incluent des occupations atériennes et iberomaurusiennes avec la présence de sépultures.

Dans cette étude, les auteurs rapportent 54 nouvelles datations radiocarbones qui permettent d'enregistrer l'apparition de la culture iberomaurusienne.

La culture iberomaurusienne est bien documentée dans des grottes, des abris rocheux et des sites de plein-air, le long de la côté méditerranéenne du Maghreb:
2013 Barton Figure 1

Son industrie lithique est caractérisée par des microlithes lamellaires, et marque un profond changement par rapport au Paléolithique Moyen au Maghreb. Cependant très peu est connu au sujet de son origine. Plusieurs théories ont été proposées. Son terme lui-même relie l'Afrique du Nord-Ouest avec la péninsule ibérique. Mais depuis cette proposition, les archéologues ont rejeté un lien éventuel entre l'industrie iberomaurusienne et le sud de l'Europe. Une autre théorie a proposé que la culture iberomaurusienne était issue de la culture Dabéenne en Cyrénaïque (Lybie). Cependant les dates de la culture iberomauruisenne en Lybie sont plus récentes que celles au Maghreb. Plus récemment on a proposé que la culture iberomaurusienne était reliée à un phénomène plus large d'industrie lithique lamellaire en Afrique du Nord et au Proche Orient entre 20.000 et 23.000 ans. Cependant cette théorie n'explique pas la plus grande ancienneté de la culture iberomaurusienne au Maghreb et les différences entre celles-ci et l'industrie lithique en Egypte. Une part du problème est liée à la rareté de datations précises. Les plus anciennes datations radiocarbones obtenues pour la culture iberomaurusienne ont été obtenues à Taforalt: 21.900 et 21.100 ans. A Tamar Hat, 7 dates ont été obtenues entre 20.600 et 16.100 ans. En Cyrénaïque, deux datations ont donné une valeur de 16.070 et 18.620 ans. D'autre part un doute subsiste sur les relations en la culture iberomaurusienne et les cultures plus anciennes dans la région. La culture iberomaurusienne recouvre toujours la culture atérienne. Cependant il y a un débat pour savoir s'il y a une continuité temporelle entre les deux cultures ou s'il y a une période vierge d'occupation entre les deux. En Cyrénaïque, la culture iberomaurusienne semble suivre immédiatement la culture Dabéenne.

La stratigraphie obtenue par les auteurs de cette étude est visible dans la figure ci-dessous:
2013 Barton Figure 4

Les sédiments se composent d'une couche grise cendreuse qui recouvre un couche jaune sableuse. Les auteurs ont découpé l'industrie iberomaurusienne en 3 phases. La phase la plus récente correspond aux sédiments gris cendreux (couches L2 à L29 de la figure ci-dessus). Il y a peu de variation dans cette phase qui contient des éclats non retouchés et des lamelles. Les outils retouchés sont dominés par les lamelles. La phase moyenne correspond à la couche Y1 des sédiments jaunes sableux. Les lamelles sont plus nombreuses que dans la phase récente. Les microburins sont également très nombreux. La phase la plus anciennes correspond aux couches Y2 au haut de Y4 des sédiments jaunes sableux. Il y a encore de nombreuses lamelles, mais la méthode d'obtention de ces outils est différente par rapport à la phase moyenne. Du bas de la couche Y4 à la couche Y11 l'industrie lithique est très différente. Il n'y a plus de lamelles. L'industrie lithique consiste en éclats issus de noyaux non Levallois. La méthode est une percussion dure à partir d'outils en pierre et non organique.

Un total de 52 datations radiocarbones a été effectué à partir d'ossements ou de charbons de bois de la stratigraphie décrite ci-dessus. 2 datations supplémentaires ont été faites dans une autre zone de la grotte. Une analyse Bayésienne a été utilisée pour combiner les informations archéologiques avec les dates calibrées pour améliorer la précision de la chronologie. Le résultat est montré dans la figure ci-desssous:
2013 Barton Figure 7

Ce modèle suggère que la limite entre les sédiments gris et les sédiments jaunes est apparue entre 15.190 et 14.830 ans.

L'ensemble de ces 54 datations fourni le plus grand ensemble cohérent disponible pour cette période au Maghreb. La culture iberomaurusienne a ainsi duré environ 9000 ans entre 21.420 et 12.698 ans. De plus il y a un écart important entre la fin de l'industrie non Levallois et le début de l'industrie iberomaurusienne, d'environ 1900 ans. Cette industrie non Levallois est différente de l'industrie atérienne qui utilise des techniques Levallois. Malheureusement, comme il n'y a pas dans le secteur fouillé, une industrie lithique correspondant à la culture atérienne, on ne peut en connaître sa chronologie. Cependant, un autre secteur de la grotte de Taforalt inclu en dessous de la couche iberomaurusienne et de la couche non Levallois, une couche atérienne. Une date de 37.570 ans a été obtenue pour cette industrie atérienne qui correspond à la datation la plus récente pour la culture atérienne à Taforalt. Cette datation correspond à la datation obtenue à Wadi Noun, au sud du Maroc qui donne une valeur de 30.900 ans et à la datation obtenue à Mugharet el Aliya, au nord du Maroc, avec une valeur de 39.000 ans. Ainsi, à Taforalt, l'industrie atérienne est suivie par une culture non Levallois, puis par la culture iberomaurusienne.

Les auteurs ont ensuite essayé de relier ces datations avec les événements climatiques. La phase récente de l'ibéromaurusien (couches sédimentaires grises) correspond à l'interstade Greenland 1e qui est une époque relativement humide. Il est également intéressant de voir que la transition entre les phases anciennes et moyennes de l'iberomaurusien correspond à l'événement 1 de Heinrich (HE1). Enfin la fin de l'industrie non Levallois semble correspondre à l'événement 2 de Heinrich (HE2).

Cette étude a montré qu'il n'y a pas de continuité culturelle entre l'industrie iberomaurusienne et celle qui la précède. Ainsi dans le nord-ouest de l'Afrique la transition entre le paléolithique moyen et le paléolithique supérieur correspond à l'arrivée d'une industrie lamellaire autour de 22.000 ans portée par l'expansion démographique des sous-clades de l'haplogroupe mitochondrial U6. Reste à savoir si cet événement est relatif à l'arrivée d'une nouvelle population au Maghreb suite à la disparition des cultures du Paléolithique Moyen ou non, et si il est lié à un changement climatique.