Priya Moorjani vient de publier un papier intéressant concernant des tests d'ADN autosomal en Inde. Ce papier est intitulé: Genetic Evidence for Recent Population Mixture in India. La génétique nous montre que la plupart des groupes ethno-linguistiques d'Inde descendent d'un mélange de deux populations ancestrales distinctes: les Indiens du Nord (ANI) proches des ouest-eurasiens (peuples d'Asie Centrale, du Moyen-Orient, du Caucase et de l'Europe) et les Indiens du Sud (ASI) proches des indigènes des îles Andaman. Les études archéologiques et linguistiques confirment ces résultats génétiques. Les premières preuves archéologiques concernant l'agriculture en Inde datent de 8000 à 9000 ans, et impliquent la culture du blé et de l'orge originaire d'Asie de l'ouest. Dans le sud de l'Inde, la première agriculture date de seulement 4600 ans sans rapport avec l'Asie de l'ouest (culture de légumes à gousse locaux comme l'haricot mungo ou l'haricot kulthi, ou encore du millet indigène). Les analyses linguistiques supportent également des contacts entre deux types de populations: les langues indo-européennes comme le Sanskrit et le Hindi principalement parlées dans le nord de l'Inde, et les langues dravidiennes comme le Tamoul et le Telugu, principalement dans le sud. Des preuves de contact sur le long terme entre ces deux familles de langues vient du fait que des emprunts du dravidien se retrouvent dans les premiers textes hindous (Rig Veda) et que l'on ne retrouve pas dans les autres langues indo-européennes. Jusqu'à présent on ignore à quelle période ce mélange génétique entre ces deux populations indiennes a eu lieu. Plusieurs hypothèses existent: migrations avant le néolithique, migrations néolithiques datées de 8000 à 9000 ans, ou migrations indo-européennes datées de 3000 à 4000 ans. Il est important de noter ici que la date du mélange génétique est différente de la date des migrations, puisque cette dernière est toujours antérieure à la première.

Dans cette étude, les auteurs ont utilisé 571 échantillons issus de 73 groupes ethno-linguistiques de l'Inde et du Pakistan. Ces échantillons ont été testés sur environ 500.000 SNPs autosomaux. Une analyse en composante principale a été réalisée sur ces individus et comparés à d'autres populations: Européens du Nord, Basques, Georgiens, Iraniens et Chinois Han:
2013 Moorjani Figure 1

Presque tous les groupes parlant l'indo-européen (en rouge foncé) ou le dravidien (en bleu), s'étendent sur un gradient relié aux ouest-eurasiens (en jaune). Ce gradient reflète des mélanges distincts d'ANI et d'ASI. Les groupes parlant une langue austro-asiatique (en vert) ou tibeto-birmane (en rose) s'éloignent de ce gradient, pour se rapprocher des chinois Han.
En utilisant une estimation du taux f4, les auteurs ont estimé les taux de proportion des ANI et ASI dans les différents groupes indiens. Ainsi le taux de ANI varie de 17% chez les Paniya, jusqu'à 71% chez les Pathan. Traditionnellement, les dravidiens, les basses castes et les groupes tribaux tendent à avoir une plus faible proportion de ANI que les groupes indo-européens et les hautes castes.

Les auteurs ont également estimé la date du mélange génétique entre ASI et ANI pour les différents groupes indiens, en étudiant le déséquilibre de liaison entre paires de SNPs. Des fonctions exponentielles ont été utilisées pour caler les points expérimentaux. Les résultats varient entre 64 et 144 générations selon le groupe, soit en prenant 29 ans par génération la date de mélange génétique varie de 1856 à 4176 ans:
2013 Moorjani Table 1

Ainsi tous les groupes ont vécu un mélange génétique qui date de plusieurs milliers d'années. Cette date de mélange est plus récente pour les indo-européens que pour les dravidiens. Une explication possible est l'existence d'une deuxième vague de mélange génétique chez les indo-européens. Pour cela les auteurs ont essayé de caler plusieurs fonctions exponentielles sur les points expérimentaux. Les résultats ont montré que les groupes consistant avec un unique mélange génétique entre ANI et ASI sont le plus souvent des groupes tribaux ou de basse caste. Les hautes et moyennes castes montrent une histoire plus complexe avec plusieurs mélanges génétiques indiquant l'influx de multiples vagues d'ANI.

Discussion

Le mélange génétique entre ANI et ASI date entre 1900 et 4200 ans selon le groupe ethno-linguistique. Il est donc beaucoup plus récent que l'arrivée de l'agriculture en Inde. Ces résultats mettent en lumière une période de bouleversement démographique il y a plusieurs milliers d'années qui a affecté tous les groupes indiens, suivi par une période où les mélanges génétiques sont devenus rares. Les mélanges génétiques sont plus récents pour les indo-européens que pour les dravidiens, indiquant ainsi que ces bouleversements démographiques sont liés avec une diffusion linguistique. Ainsi, après un premier mélange génétique qui a touché tous les groupes indiens, un second événement apportant un influx ouest-eurasien, a touché seulement les groupes du nord de l'Inde. Ceci explique la plus grande proportion d'ANI et la date plus récente de ce mélange génétique dans les groupes du nord. Ainsi la période entre 4200 et 1900 ans est une période de profonds changements en Inde qui a vu la désurbanisation de la civilisation de l'Indus, l'arrivée probable des langues indo-européennes et de la religion védique. Le Rig-Veda est un texte dont on pense qu'il a été rédigé à plusieurs périodes. Les plus anciennes parties ne mentionnent pas le système de castes. Celles-ci apparaissent uniquement dans la partie la plus récente. Ceci est en accord avec les résultats génétiques de cette étude.

Ces résultats n'impliquent pas forcément que des migrations ont eu lieu il y a 4200 à 1900 ans. On peut en effet imaginer que les deux populations ANI et ASI ont cohabité pendant longtemps en Inde avant de se mélanger.