Jean A Trejaut vient de publier un papier intitulé: Taiwan Y-chromosomal DNA variation and its relationship with Island Southeast Asia.
La population Taïwanaise comprend 3 types d'habitants: les Hans sont les plus nombreux et descendent d'immigrants qui sont arrivés sur l'île il y a environ 400 ans, les tribus des montagnes incluent 12 des 14 groupes ethniques de l'île et représentent 2% de sa population totale, les tribus des plaines qui se sont beaucoup mélangés avec les Hans représentent 1% de la population totale. Les tribus des montagnes, ainsi que les Philippins et et les Indonésiens parlent des langues austronésiennes. Cette famille linguistique comprend 10 branches à sa base dont 9 sont situées exclusivement sur l'île de Taïwan. La dixième branche est parlée à Madagascar, dans les îles de l'Asie du sud-est et en Océanie jusqu'à l'île de Pâques. On suppose que l'origine des langues Austronésienne est située à Taïwan à cause de sa diversité linguistique.
Les indices archéologiques indiquent que la culture Austronésienne s'est diffusée dans les îles de l'Asie du sud-est via Taïwan il y a environ 4500 ans, avant l'âge de fer. Les études génétiques mitochondriales montrent également que les individus qui parlent l'Austronésien, ont leur origine en Asie du sud-est, via Taïwan. La théorie de la Sortie de Taîwan (Out Of Taïwan) indique qu'une unique migration a propagé les langues Austronésiennes dans les îles de l'Asie du sud-est il y a un peu plus de 4000 ans. Cependant, d'autres études semblent indiquer un mouvement inverse des îles de l'Asie du sud-est vers Taïwan.
Plusieurs études génétiques du chromosome Y ont montré l'importance de l'expansion de l'haplogroupe O-M175 en Asie de l'est et dans les îles de l'Asie du sud-est. Cette expansion prend son origine en Chine du sud-est aux temps pré-néolithiques. Cependant la résolution phylogénétique de cet haplogroupe O reste mal connue. Dans cette étude, les auteurs ont testé 81 SNPs et 17 marqueurs STRs sur 1660 individus appartenant à 35 populations de Taïwan, les Philippines, l'Indonésie, de Thaïlande, du Viet-Nam et de Chine:
Pour comparaison, des données issues d'autres populations du sud de la Chine, des îles de l'Asie du sud-est et d'Océanie, ont été prises en compte. La distribution des fréquences des différents haplogroupes a ensuite été déterminée pour chacune de ces populations:
Dans toutes ces populations, l'haplogroupe O est largement majoritaire. Ensuite, des cartes de distribution ont été tracées pour certains haplogroupes:
L'estimation de l'âge des différents haplogroupes a été également déterminée en utilisant le taux de mutation de Zhivotovsky
appliqué sur 13 marqueurs STRs:
Sur l'île de Taïwan, l'haplogroupe O représente environ 90% de l'ensemble de la population Han, 95% des tribus des plaines et plus de 99% des tribus des montagnes. L'haplogroupe O* est très rare: un seul représentant aux Philippines, chez les tribus des plaines et chez les Hans de Chine.
L'haplogroupe O1a-M119* se retrouve à 42% sur l'île de Batan aux Philippines, de 4 à 33% aux Philippines et de 4 à 18% en Indonésie. Il a une distribution éparse de 3 à 33% parmi les tribus des montagnes à Taïwan, bien que les fréquences supérieures à 10% se retrouvent dans le sud. Sa diversité décroit de la Chine vers le sud, bien qu'il y ait un second pic autour des Moluques. L'estimation de son âge est maximale autour de 20.000 ans dans les tribus des montagnes à Taïwan et aux Philippines.
L'haplogroupe O1a1-P203* est le plus fréquent chez les tribus des montagnes du nord et les Tsou avec une fréquence proche de 90%. Chez les tribus des montagnes du sud il est plus faible autour de 50%. Il est également fréquent chez les tribus des plaines. Il est nettement moins fréquent aux Philippines (13,7%) et en Indonésie (16,3%). Il est cependant plus fréquent au Kalimantan à Bornéo (36%). Il est également relativement fréquent parmi les Hans de Chine (22%) ou de Taïwan (14,2%). Il est rare en Thaïlande (2,7%) et inexistant au Viet-Nam. Le réseau des haplotypes est en forme d'étoile. Son âge est maximal chez les tribus des montagnes de Taïwan et aux Philippines avec une valeur voisine de 16.000 ans.
L'haplogroupe O1a2-M50 est fréquent parmi les tribus des montagnes du sud (entre 18 et 28%) et chez les Bunun (61%). Il est variable aux Philippines entre 3 et 16,7%. Il est plutôt rare dans l'ouest de l'Indonésie (5,3%). Cependant une très haute fréquence (80%) a été détectée dans l'île de Nias du sud dans l'océan indien, au large de Sumatra. Il est rare chez les Hans de Taïwan et de Chine, en Thaïlande, au Viet-Nam et en Malaisie. L'estimation maximale de son âge se situe dans les tribus des montagnes avec une valeur de 17.500 ans.
L'haplogroupe O2 se divise en deux branches. La première comprend O2-P31* observé chez les Hans (4%), les tribus des plaines (5,7%), les Philippines (4,7%), et l'Indonésie (3,25%). et O2a-PK4 observé principalement dans le sud de la Chine, en Indochine et en Indonésie. La seconde branche comprend O2b-SRY465 trouvés parmi les coréens, les japonais et les chinois du nord.
Les sous-clades de l'haplogroupe O3 les plus largement distribuées géographiquement sont O3a1c*, O3a2-P201*, O3a2b-M7* et O3a2c-P164*. O3a1c* se retrouve à 25% chez les Hans de Chine, à 13 et 21% chez les Minnan et Hakka de Taïwan, 12% chez les tribus des plaines. Il est très rare chez les tribus des montagnes, aux Philippines et en Indonésie. O3a2-P201* est maximal chez les Puyuma (4,35%), et n'excède pas 2% dans les autres populations. O3a2b-M7* est rare chez les Hans de Chine, à Taïwan, et aux Philippines. Il est cependant plus fréquent en Indonésie (8,54%), en Indochine (12,5% au Viet-Nam et 6,7% en Thaïlande). O3a2c-P164* est fréquent chez les tribus des montagnes de la côte est (entre 5 et 36%), aux Philippines (entre 8 et 50%) et à l'ouest de l'Indonésie (11,8 à 20%). Il est plutôt rare en Indochine et chez les Hans.
Enfin les haplogroupes: C, D, F*, H, K*, N, P*, Q et R sont observés à basse fréquence dans la région avec une distribution éparse.
Une Analyse à l’Échelle Multidimensionnelle a été réalisée:
Beaucoup de populations sont localisées au centre du graphe avec des groupes parlant une langue Austronésienne en Indonésie et aux Philippines entourés par des populations du Viet-Nam, de Thaïlande et de Malaisie. La plupart des tribus des montagnes sont situées dans le quart du bas à droite, et les Hans de Chine ou de Taïwan en haut à gauche. Les tribus des plaines s'étendent de la gauche des Hans (Yunlin et Papora) jusqu'à proximité des tribus des montagnes du sud (Pazeh et Siraya). Ces deux derniers groupes sont probablement les moins sinisés. La relation de ce graphe avec les haplogroupes est la suivante. L'haplogroupe O2 se retrouve principalement dans les groupes situés en haut à gauche, alors que l'haplogroupe O1 croit en fréquence lorsque on se rapproche du coin en bas à droite pour être maximal avec les tribus des montagnes du nord.
Les groupes Bunun, Akha, Atayal et Tsou se distinguent par leur faible diversité. Ainsi on ne trouve que 3 haplogroupes parmi les 56 individus Bunun (O1a2-M50 à 61% et O2a1a-M88 à 37.5%). On ne trouve également que 3 haplogroupes parmi les 41 Tsous et 52 Atayal pour lesquels l'haplogroupe O1a1-P203* se retrouve à 90%. Les tribus des montagnes du nord se distinguent par la très haute fréquence de cet haplogroupe O1a1-P203*.
Une simulation de mélange génétique a été réalisée en prenant deux populations source: les Hans ancestraux et les Austronésiens ancestraux. les résultats obtenus sont les suivants:
Seules les tribus des plaines ont une majorité issue de la population Han ancestrale (62 ou 79% selon le modèle).
La variance moléculaire a également été calculée. Elle est minimale chez les tribus des montagnes ce qui est consistant avec la faible diversité génétique de ces populations.
Discussion
L'haplogroupe O reflète une relation ancestrale des populations contemporaine avec les premières populations d'Asie de l'est. La faible diversité génétique des tribus des montagnes est associée à des variations à l'intérieur de l'haplogroupe O1. Par contraste les populations non originaire de Taïwan, ainsi que les tribus des plaines ont une plus grande diversité génétique qui regroupe 26 branches distribués dans les sous-clades O1,O2 et O3. Ces résultats suggèrent un mélange génétique important chez les tribus des plaines qui n'existe pas chez les tribus des montagnes. Une dérive génétique importante due à une faible taille de la population et à un isolement est l'explication probable de la faible diversité des tribus des montagnes.
Une récente étude de l'ADN mitochondrial à Taïwan a mis en évidence un décroissement de la diversité génétique du nord vers le sud. De manière intéressante cette étude sur le chromosome Y montre une tendance inverse puisque la diversité génétique décroit du sud vers le nord. Cette décroissance est liée avec l'accroissement de la fréquence de l'haplogroupe O1a1-P203*. Ces résulats suggèrent une histoire démographique différente entre les hommes et les femmes des tribus des montagnes. L'haplogroupe O1a1-P203* est observé à hautes fréquences entre 40 et 60% dans toutes les tribus des montagnes du sud et de l'est, et à plus de 87% dans toutes les tribus des montagnes du nord. A l'inverse sa fréquence n'excède pas 20% aux Philippines et en Indonésie. Il est cependant commun dans le sud et l'est de la Chine où il est probablement originaire. Un autre haplogroupe important: O1a2-M50 est fréquent parmi les tribus des montagnes du sud, mais rare chez les Hans de Taïwan. Cette étude supporte une expansion de Taïwan vers les Philippines et l'Indonésie.
Un résultat également intéressant est la haute fréquence de O2a1a-M88 chez les Bunun (37,5%). Les haplotypes de cet haplogroupe chez les Bunun se rapprochent de ceux des groupes parlant une langue daïque et des groupes d'Indochine ou d'Indonésie. Ceci implique une probable origine de l'haplogroupe O2 à Madagascar ou les îles Salomon.
L'haplogroupe O3 est le plus diversifié sur le continent sud-est asiatique. Il représente probablement un flux génétique lié à la migration des Hans.
Le modèle de pince
Il a été proposé qu'après la colonisation initiale de l'Asie du sud-est et de l'Indochine il y a 50.000 ans, apportant les haplogroupes C, M et S, l'origine et la diffusion de plusieurs haplogroupes peuvent être retracées en 4 étapes suivant un modèle démographique paternel. Les étapes B,C et D correspondent à un flux génétique originaire du continent vers les îles de l'Asie du sud-est suivant un modèle de pince. Une branche du nord se diffuse à travers Taïwan et une branche du sud à travers l'Indonésie. Ces deux branches se rejoignent aux Philippines. Les résultats de cette étude sont cohérents avec ce modèle, avec un gradient à faible diversité à travers l'Indonésie et un autre à faible diversité à travers Taïwan. La branche du nord a apporté les haplogroupes O1a-M119*, O1a1-P203* and O1a2-M50, d'abord à Taïwan, puis aux Philippines et en Indonésie. Elle correspond à une dispersion Austronésienne d'agriculteurs. La branche du sud a apporté les haplogroupes O2a1-M95/M88, O3a-M324*, O3a1a-M121, O3a1c*, O3a2-P201*, O3a2a-M159, O3a2b-M7*, O3a2c-P164* et O3a2c1a-M133. Elle correspond à un influx de chasseurs-cueilleurs en provenance du continent asiatique. Les bouts des deux branches se sont croisés aux Philippines.
Il est probable que les deux haplogroupes: O1a2-M50 et O2a1-M95/M88 ont atteint l'Indonésie selon deux migrations différentes. O1a2-M50 est arrivé avec la branche du nord alors que O2a1-M95/M88 est arrivé avec la branche du sud du modèle de pince. Ils se sont rencontrés en Indonésie de l'ouest, à Bornéo ou à Sumatra. Plus tard, de nouvelles migrations, les ont apporté avec O3a2c-P164, vers l'est jusqu'aux îles Salomon et vers l'ouest jusqu'à Madagascar.
Enfin, bien que les tribus des plaines à Taïwan ressemblent génétiquement aux Hans de Taïwan, leur forte diversité des haplotypes non partagés avec les Hans suggèrent une arrivée de ces tribus des plaines à Taïwan avant l'arrivée des Hans, probablement il y a entre 2 et 6.000 ans.