La proximité géographique entre l'Afrique et les côtes Méditerranéennes Européennes dans sa partie occidentale (14 km), a permis de nombreux mouvements de populations au cours du temps. La préhistoire de l'Afrique du Nord depuis l'ancienne culture Atérienne à la culture Capsienne, via la culture Ibéromaurusienne n'a pas suivi une séquence linéaire et est sujet à de nombreux débats concernant la continuité ou non de la population. Cette région a subi également de nombreux changements climatiques oscillant entre des périodes arides et humides.

Des traces archéologiques de contacts transcontinentaux entre l'Afrique du Nord et la Péninsule Ibérique existent, comme le harpon de Taforalt: un outil Ibéromaurusien du Nord du Maroc contemporain des outils identiques du Magdalénien Espagnol. Plus tard le package Néolithique est identique dans le sud de l'Ibérie et le Maghreb: mêmes espèces domestiquées et même technologie.

Des études génétiques mitochondriales dans l'ouest de la Méditerranée ont montré de nombreuses contributions Européennes en Afrique du Nord. A l'inverse, des lignages Africains ont été détectés dans la péninsule Ibérique: la distribution des haplogroupes U6 et M1 pointent vers l'Afrique du Nord, le premier davantage dans le nord-ouest et le second dans le nord-est. La distribution de l'haplgroupe L pointe vers l'Afrique subsaharienne.

Candela L. Hernández vient de publier un papier intitulé: Early Holocenic and Historic mtDNA African Signatures in the Iberian Peninsula: The Andalusian Region as a Paradigm. Il a analysé 62 séquences mitochondriales complètes appartenant aux haplogroupes U6, M1 et L d'Andalousie et de berbères Marocains (Asni, Bouhria et Figuig) afin de raffiner l'histoire des migrations humaines entre l'Afrique et la péninsule Ibérique.

La table ci-dessous indique les fréquences de ces 3 haplogroupes dans les populations considérées contenant un total de 750 échantillons Andalous et 217 échantillons berbères:
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La population de la province de Huelva dans l'ouest de l'Andalousie présente une plus grande proportion de lignages Africains (11,8%) que celle de la région de Grenade dans l'est de l'Andalousie (3,6%). Ainsi la population de Huelva a une fréquence de 7,5% pour l'haplogroupe U6 comparable à sa fréquence dans la population berbère Asni (11,32%). Les fortes proportions de l'haplogroupe L dans les populations berbères montrent que le Sahara n'a pas toujours été une barrière infranchissable.

La figure ci-dessous donne la distribution géographique des fréquences des haplogroupes U6a et L1b:
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U6a est principalement concentré au Maghreb et en Mauritanie avec une diffusion qui atteint l'Europe via la péninsule Ibérique. L1b se retrouve essentiellement en Afrique de l'ouest, du golf de Guinée à l'Afrique du Nord. Il atteint l'Europe via la péninsule Ibérique, mais aussi la Sicile et l'Italie du sud.

Pour mieux analyser l'histoire complexe des lignages Africains maternels, les auteurs ont ensuite séquencé complètement 32 échantillons Andalous et 30 échantillons berbères appartenant aux haplogroupes U6, M1 et L. La figure ci-dessous résume les arbres obtenus pour les haplogroupes U6 et M1:
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L'estimation de l'âge des principales sous-clades est indiquée. Ainsi U6 est daté d'environ 35.500 ans au début du paléolithique supérieur. La principale sous-clade U6a est datée de 25.400 ans. Il n'est pas toujours facile de déterminer le lieu d'origine des différentes sous-clades de U6. U6a6 est probablement originaire d'Afrique du Nord car ses échantillons sont principalement situés au Maghreb. Il est daté de 22.300 ans. U6a1 est principalement Européen avec une forte contribution Ibérique, et avec quelques séquences Maghrébines. U6a2 (17.200 ans) est essentiellement présent en Ethiopie avec une diffusion vers le Proche-Orient. U6a3 (18.000 ans) comprend des branches spécifiquement subsahariennes: U6a3c et U6a3d et une branche Maghrébine et Ibérique: U6a3b. U6c (9.900 ans) et U6d (12.000 ans) sont présents à faible fréquence en Ibérie, Europe et Afrique du Nord. U6a5 (12.000 ans) est présent en Afrique subsaharienne, mais aussi en Tunisie et Italie indiquant peut-être une route de diffusion vers le nord. U6a7a (7.000 ans) et U6b (11.300 ans) ont des branches basales en Afrique du Nord, Ibérie, Proche-Orient et en Afrique de l'ouest. Certaines des branches de U6a7 ont été reliées à des événements historiques intéressants notamment un groupe séphardique. Enfin U6b1a est un groupe correspondant à la première colonisation des îles Canaries.

M1 est daté d'environ 26.100 ans suivi de près par M1a (21.000 ans) et M1b (22.400 ans). Il est principalement représenté en Afrique de l'est, en Asie du sud-ouest et dans le Caucase. Il y a peu de séquences Ibériques reliées à des séquences nord Africaines ou du Proche-Orient.

La figure ci-dessous représente l'arbre obtenu pour l'haplogroupe L:
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La principale entrée en Europe correspond à L1b (35.800 ans) contemporaine de U6. La plupart des séquences Européennes appartiennent à L1b1, donc les premières migrations sont plus récentes que son âge estimé à environ 12.000 ans. D'autres séquences européennes appartiennent à L2 ou L3. Notamment les séquences Ibériques se regroupent ensemble bien qu'originaire de régions distantes. Il est possible qu'elles descendent d'émigrants Hispano-Américains revenus dans la péninsule en provenance d'Amérique après un mélange génétique avec des Afro-Américains.

Ensuite les auteurs ont utilisé l'analyse de l'effet fondateur. Celle-ci suppose une séparation nette entre population source et population cible, ainsi que deux critères f1 et f2 pour identifier les séquences fondatrices. La figure ci-dessous donne les résultats obtenus pour l'haplogroupe L:
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La population source est l'Afrique subsaharienne et les populations cible sont l'Afrique du Nord, l'Europe Méditerranéenne et la péninsule Ibérique. Il y a deux pics d'entrée en Afrique du Nord: l'un est très récent et l'autre se situe durant l'optimal climatique de l'holocène (entre 6600 et 11800 ans). Le premier est probablement relié au marché aux esclaves vers le Maghreb et correspond à environ un tiers des lignages L. Le second, plus ancien, correspond aux deux tiers des lignages L. On retrouve des schémas équivalents pour l'entrée en Europe Méditerranéenne et en Ibérie.

Une analyse équivalente a été effectuée pour l'haplogroupe U6 avec deux hypothèses. La première et la plus probable est de prendre l'Afrique du Nord comme population source et l'Ibérie comme population cible. Cette analyse a d'abord été faite à partir des séquences HVR1. On voit ainsi sur la figure A ci-dessous un premier pic entre 800 et 1000 ans suivi par un plateau vers 10.000 ans et un second pic à 13.000 ans (courbe verte):
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La seconde hypothèse envisage une migration de U6 de l'Ibérie vers l'Afrique du Nord (courbe rouge). On y voit un pic important à 9000 ans, et un plus petit il y a 3000 ans. Les séquences HVR1 ne donnent pas de bonne information sur le sens des migrations.

La même analyse a été faite à partir uniquement des séquences complètes (voir les courbes de la figure B ci-dessus). Deux pics apparaissent sur la courbe verte: un autour de 10.000 ans et un second très récent. Dans l'hypothèse inverse (courbe rouge) on voit un ancien pic vieux de 20.000 ans et un second beaucoup plus récent. Le pic ancien correspond plus probablement à une première diffusion de U6 en Afrique du Nord des clades uniquement Africaines et ne correspondent donc pas à une migration venue d'Ibérie.

La bonne hypothèse est donc celle qui prend pour source l'Afrique du Nord et cible l'Ibérie et correspond à la courbe verte. De plus, la première entrée de U6 en Ibérie il y a 10.000 ans correspond bien à l'entrée de l'haplogroupe L.

Une analyse Bayesian Skyline Plot a également été effectuée pour l'haplogroupe U6:
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La première expansion de population est observée en Afrique du Nord (courbe verte), suivie 2000 ans plus tard par une expansion en Ibérie (courbe rouge). Ces expansions sont datées entre 20.000 et 11.500 ans, suivies par une longue période de stabilité. Ensuite une expansion a lieu en Afrique subsaharienne entre 10.000 et 5500 ans (courbe marron) et correspond à une période humide. En Ibérie on remarque une décroissance des lignées U6 entre 5000 et 2500 ans suivie par un plateau. On observe pas de signal correspondant aux époques romaine ou islamique.

En conclusion, les auteurs proposent le modèle démographique suivant: il y a environ 20.000 ans, l'haplogroupe U6 s'est largement diffusé dans la population du nord-ouest de l'Afrique associé à l'émergence de la culture Ibéromaurusienne. Ce pool génétique s'est plus tard enrichi de lignages subsahariens de l'haplogroupe L, notamment L1b qui est arrivé dans la région au début de la période humide entre 11.000 et 5.500 ans. Ensuite ces lignages U6 et L sont entrés en Ibérie à la même époque au début de l'holocène. Cette période humide a également permis l'arrivée de certains lignages U6 dans la zone sub-Saharienne. Les épisodes démographiques plus récents sont probablement associés à la période islamique, puis à la traite des esclaves.