L'ancienne littérature Gaélique (Lebor Gabála Érenn) décrit l'origine du peuple Irlandais comme une suite de différentes invasions. Les restes archéologiques sur l'île, comme partout en Europe, indiquent plusieurs horizons différents séparés par des transitions culturelles majeures dont les principales sont l'arrivée de l'agriculture autour de 3750 av. JC, et les débuts de la métallurgie vers 2300 av. JC. Le package Néolithique est caractérisé par l'élevage d'animaux domestiques, la culture des céréales, l'apparition de la céramique et les maisons à ossature en bois. La seconde vague de changements voit l'apparition des mines de cuivre associées à la céramique campaniforme suivies rapidement par les premiers outils et armes en Bronze, et le travail de l'or. Cette transition voit également le passage des premières tombes à couloir collectives du Néolithique, aux sépultures individuelles de l'âge des métaux. L'archéologie du vingtième siècle a vu deux positions s'affronter pour expliquer ces différents changements: une hypothèse migrationniste qui explique ces transitions par l'arrivée de nouvelles populations, et une hypothèse culturelle qui explique ces transitions par des changements culturels à l'intérieur d'une même population.

En Europe continentale, les premières études génétiques ont montré que l'arrivée de l'agriculture était due à l'arrivée d'une nouvelle population en provenance du Proche-Orient à la fois en Europe Centrale et en Europe Méditerranéenne. Ensuite l'âge du Bronze a vu également l'arrivée d'une nouvelle population en Europe Centrale en provenance des Steppes Pontiques.

Lara M. Cassidy vient de publier un papier intitulé: Neolithic and Bronze Age migration to Ireland and establishment of the insular Atlantic genome, dans lequel elle présente le génome complet de quatre individus Irlandais: une femme du Néolithique datée entre 3343 et 3020 av. JC et trois hommes des débuts de l'Âge du Bronze datés entre 2026 et 1534 av. JC.

L'analyse génétique a confirmé que l'individu du Néolithique est une femme et que les trois individus de l'Âge du Bronze sont des hommes. La femme du Néolithique appartient à l'haplogroupe mitochondrial HV0 déjà détecté dans le Néolithique Européen en France et en Allemagne. Les hommes de l'Âge du Bronze appartiennent aux haplogroupes mitochondriaux U5 typiques des chasseurs-cueilleurs Européens et J2b que l'on retrouve dans des individus du Néolithique Européen. Ils appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-L21. Cet haplogroupe est fréquent aujourd'hui dans les Îles Britanniques. On a retrouvé son haplogroupe "père" R1b-P312 dans tous les squelettes campaniformes d'Europe Centrale et son haplogroupe "oncle" R1b-Z2103 dans la plupart des squelettes de la culture Yamnaya dans les Steppes Pontiques. Ces haplogroupes sont absents chez les squelettes des chasseurs-cueilleurs et des fermiers Néolithiques d'Europe.
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Une Analyse en Composantes Principales a été réalisée pour comparer le génome de ces quatre Irlandais avec 78 autres anciens génomes et des populations contemporaines:
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Sur la figure A ci-dessus à gauche, on voit une séparation nette entre les échantillons chasseurs-cueilleurs (triangles) et les agriculteurs (losanges pour les individus du Néolithique Ancien et carrés pour les individus du Néolithique Moyen). La femme Néolithique Irlandaise (carré vert) se regroupe parfaitement avec les autres individus Néolithiques d'Europe. Sur la figure B ci-dessus à droite, on voit que les trois hommes de l'Âge du Bronze Irlandais (triangles verts) se regroupent avec les autres individus de l'Âge du Bronze Européen (triangles), dans une position intermédiaire entre les Néolithiques Européens et les individus des Âges des métaux des Steppes Pontiques (carrés et ronds bleu ciel). Comme vu dans une étude précédente, les individus du Chalcolithique Ibérique non campaniforme (ronds violets) se regroupent avec les Néolithiques Européens. Ainsi les anciens génomes Irlandais se regroupent avec les individus du même horizon archéologique à l'échelle Européenne plutôt que par affinité géographique.

Une analyse avec le logiciel ADMIXTURE a également été réalisée:
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Pour K=11, on voit que la majorité des échantillons est composée de trois ascendances principales: chasseur-cueilleur Européen (en rouge), ancien Néolithique (en orange) et chasseur-cueilleur du Caucase (en vert). Les agriculteurs Européens possèdent un peu d'ascendance chasseur-cueilleur. Celle-ci augmente au Néolithique Moyen. La femme Néolithique Irlandaise est similaire aux autres individus du Néolithique Moyen Européen. Les individus de la culture Yamnaya des Steppes Pontiques ont une moitié d'ascendance chasseur-cueilleur Européen et une moitié d'ascendance chasseur-cueilleur du Caucase. Cette dernière apparait dans les individus de l'Âge du Bronze d'Europe Centrale à la suite des migrations Yamnaya. De manière intéressante cette ascendance du Caucase apparait également dans les trois individus Irlandais de l'Âge du Bronze.

Les statistiques D, f3 et f4 confirment ces résultats et indiquent de plus que la femme Néolithique Irlandaise possède plus d'affinité génétique avec les Néolithiques d'Espagne qu'avec les Néolithiques d'Europe Centrale. Elles montrent d'autre part qu'elle possède plus d'affinité génétique avec les chasseurs-cueilleurs Occidentaux qu'avec les chasseurs-cueilleurs Scandinaves ou Orientaux. Parmi les chasseurs-cueilleurs Occidentaux elle possède plus d'affinité génétique avec l'individu de Loschbour du mésolithique Luxembourgeois, qu'avec l'individu de La Braña du mésolithique Espagnol. Elle possède ainsi environ 42% d'ascendance chasseur-cueilleur et 58% d'ascendance ancien Néolithique. Ceci démontre que les migrations de populations ont eu un rôle prépondérant dans l'établissement du Néolithique Irlandais. De plus ces statistiques montrent que les trois Irlandais de l'Âge du Bronze possèdent une part importante d'introgression génétique Yamnaya et de chasseurs-cueilleurs Orientaux. Ils possèdent également une part importante d'ascendance Néolithique, mais les statistiques montrent que cette ascendance ne vient pas du Néolithique Irlandais mais du Néolithique d'Europe Centrale. L'ascendance Yamnaya dans les trois Irlandais de l'Âge du Bronze est d'environ 32%.

Pour étudier les tailles des différentes populations effectives, les auteurs ont analysé les séquences homozygotes dans les différents génomes anciens. En effet, plus ces séquences homozygotes sont longues moins la population était nombreuse car les longues séquences homozygotes sont le résultat d'une endogamie récente:
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La figure ci-dessus montre la longueur totale de séquences homozygotes pour 6 individus anciens et 32 individus contemporains du monde entier. Le seul individu mésolithique donne les plus longues séquences homozygotes et donc la plus faible taille de population. Les individus Néolithiques dont la femme Irlandaise montrent des longueurs de séquences homozygotes du même ordre de grandeur que celles de la population actuelle d'Asie de l'Est ce qui implique une taille importante de la population du Néolithique Européen et aussi Irlandais. Les individus de l'Âge du Bronze montrent encore de plus petites longueurs de séquences homozygotes équivalentes à celles de la population actuelle Européenne.

La femme Irlandaise du Néolithique possède le plus d'affinité génétique avec les populations actuelles d'Europe du Sud, alors que les trois individus Irlandais de l'Âge du Bronze possèdent le plus d'affinité génétique avec les populations actuelles des Îles Britanniques. Ce dernier point montre une certaine forme de continuité génétique en Irlande depuis 4000 ans.

L'étude des traits génétiques de deux de ces anciens individus Irlandais montrent que la femme du Néolithique et l'homme de l'Âge du Bronze séquencé à haute couverture sont tous les deux hétérozygotes pour les deux allèles responsables de l'hémochromatose. De plus la femme Irlandaise du Néolithique est intolérante au lactose, alors que l'individu de l'Âge du Bronze est tolérant au lactose. Enfin la femme Néolithique a les cheveux sombres, les yeux marrons, alors que l'homme de l'Âge du Bronze a les cheveux clairs et les yeux marrons avec cependant une allèle des yeux bleus.

En conclusion, cette étude démontre que le Néolithique Irlandais s'est accompagné d'une forte migration de populations en provenance du Proche-Orient, en suivant probablement la route Méditerranéenne. Cette origine Espagnole du Néolithique Irlandais est a rapprocher du mouvement mégalithique qui s'est répandu sur toute la façade Atlantique. Cependant comme ailleurs en Europe, l'ascendance mésolithique a augmenté au Néolithique Moyen suite à des mélanges génétiques avec les sociétés mésolithiques qui avaient survécu aux premières populations d'agriculteurs. Enfin de nombreux indices pointent vers une forte discontinuité génétique entre la fin du Néolithique et l'Âge du Bronze. Ainsi il semble bien que le bouleversement génétique consécutif aux migrations Yamnaya en provenance des Steppes Pontiques au début des Âges des métaux en Europe, ait atteint la façade Atlantique. La culture Campaniforme est le vecteur le plus probable de cette introgression génétique en provenance des Steppes jusque sur la façade Atlantique, bien que des tests supplémentaires sur des squelettes campaniformes soient nécessaire pour confirmer cette hypothèse. Cette introgression a été probablement accompagnée par un changement de langues et peut-être par l'introduction des langues Indo-Européennes et notamment l'ancêtre de la langue celte.