La comparaison des populations actuelles sub-Sahariennes avec le génome d'un squelette Éthiopien vieux de 4500 ans a apporté la preuve d'une migration d'ascendance Eurasienne limité à l'Afrique de l'Est durant les 3000 dernières années. Cette période correspond en Afrique à la transition d'un mode de vie basé sur la chasse et la cueillette à un mode de vie basé sur l'agriculture. Cette transition a été longue et complexe et s'est produite à des vitesses différentes suivant les régions. Ce changement a été initié par la diffusion du pastoralisme vers l'Est et le Sud de l'Afrique à partir de l'Afrique du Centre Ouest, qui a accompagné la propagation des langues bantoues, branche de la famille Niger-Congo. Ce résultat confirme ceux obtenus par le projet African Genome Variation (AGVP) basé sur l'étude du génome de 18 groupes ethniques Africains. Ce dernier a également montré l'existence de la diffusion d'ascendances de groupes chasseurs-cueilleurs dans des populations Africaines incluant notamment l'introduction ancienne (9000 ans) de l'ascendance Khoesan chez les Igbo du Nigeria, ou de plus récentes introductions d'ascendance chasseur-cueilleur dans des populations d'Afrique du Sud ou de l'Est.

George B.J. Busby vient de publier un papier intitulé: Admixture into and within sub-Saharan Africa. Il a analysé le génome de 3350 individus appartenant à 12 groupes Eurasiens et 46 groupes Africains sub-Sahariens. Un ensemble de 328.000 SNPs autosomaux est commun à chaque échantillon. Une Analyse en Composantes Principales a été réalisée:
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Les deux composantes principales reflètent les divisions ethno-linguistiques: la première sépare les populations d'Afrique du Sud parlant le Khoesan, du reste de l'Afrique, et la seconde les individus parlant une langue Afro-Asiatique ou Nilo-Saharienne des individus parlant une langue Niger-Congo. La troisième composante suit un gradient géographique et sépare l'Afrique de l'Est de l'Afrique de l'Ouest.

Les auteurs ont ensuite utilisé les logiciels CHROMOPAINTER et fineSTRUCTURE pour construire une carte représentant pour chaque individu l'estimation de la quantité de son génome partagé avec les autres individus:
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Les individus ont été regroupés en fonction de leurs segments d'ADN partagés, ce qui a permi de construire un arbre représenté sur la figure ci-dessus. Cette carte indique le degré d'ascendance partagée entre individus. Ainsi on remarque que les populations Africaines partagent plus d'ADN avec les populations proches géographiquement. Les structures par blocs centrées sur la diagonale indiquent que les individus partagent plus d'ADN avec les individus du même groupe. C'est particulièrement net pour les Khoesan d'Afrique du Sud, mais aussi pour les populations d'Afrique de l'Est ainsi que les Fulani et Jola de Gambie. La carte montre aussi du partage d'ADN entre groupes de différentes régions (couleurs sombres plus loin de la diagonale). Ceci peut donner des informations sur des connections historiques entre groupes actuels. Ainsi les individus du Kenya, de Malawi et de Tanzanie partagent plus d'ADN avec les Africains de l'Ouest que réciproquement impliquant probablement une migration de l'Ouest vers l'Afrique vers l'Est. Ces résultats ont permis de définir sept groupes de populations en Afrique que l'on peut associer à sept régions ancestrales pour décrir les flux de gènes à travers l'Afrique: les Niger-Congo de Gambie et du Mali, les Niger-Congo du Ghana, du Burkina Faso et du Nigeria, les Niger-Congo du Cameroun, les Niger-Congo d'Afrique de l'Est, les Afro-Asiatiques et les Nilo-Sahariens d'Afrique de l'Est, les Khoesan d'Afrique du Sud et les Niger-Congo d'Afrique du Sud.

Les auteurs ont ensuite utilisé la statistique f3 et le logiciel ADLER pour estimer les mélanges génétiques entre groupes. Ces résultats montrent que pour beaucoup de populations sub-Sahariennes, une ascendance Eurasienne et une ascendance Africaine de chasseurs-cueilleurs sont souvent à la source des mélanges génétiques. Les auteurs ont ensuite utilisé le logiciel MADLER qui permet de mettre en évidence plusieurs événements de mélanges génétiques:
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Pour chacune des populations cible, la figure ci-dessus montre les régions ancestrales des deux populations sources principales ainsi que les dates estimée pour le mélange génétique pour un maximum de deux événements. De manière générale ces résultats montrent que les groupes dont les sources sont issues des mêmes régions tendent à avoir des mélanges génétiques au même moment ce qui suggèrent que tous ces événements correspondent au même événement historique. La plupart de ces événements correspondent à des mélanges génétiques entre une population Africaine et une population soit Eurasienne soit Africaine chasseur-cueilleur (Khoesan). Quand on compare toutes les sources possibles pour un mélange génétique donné, on remarque qu'en général il n'est pas facile d'identifier la source correspondant à une population Africaine (voir le panneau central de la figure ci-dessus). Par contre il est toujours aisé d'identifier la seconde source qui est soit Eurasienne soit Khoesan.

De manière générale beaucoup de populations d'Afrique du Centre ou de l'Ouest (en bleu clair et bleu foncé) montrent un mélange génétique récent (dans les 4000 dernières années) impliquant une source Africaine et une source Eurasienne (en jaune). Les Mossi du Burkina Faso montrent l'événement le plus ancien daté d'environ 5000 ans. Les Niger-Congo d'Afrique de l'Est (en orange) montrent également un événement avec une source Eurasienne (en jaune) et une source Niger-Congo d'Afrique de l'Ouest (en bleu clair). Si les Afro-Asiatiques et les Nilo-Sahariens d'Afrique de l'Est ont un événement entre Africains et Eurasiens plus anciens, il y a également un signal récent avec une source d'Afrique du Centre Ouest chez les groupes Khoesan d'Afrique du Sud.

Les auteurs ont ensuite refait la même analyse en remplaçant le logiciel MADLER par le logiciel GLOBETROTTER pour obtenir de meilleures précisions sur ces événements de mélanges génétiques:
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Ainsi tous les groupes peuvent être décrits comme un mélange génétique issu de différentes régions comme on le voit dans la colonne "Mixture Model" ci-dessus. Par exemple les Bantu du Cameroun sont décrits par un mélange de 40% de Niger-Congo d'Afrique du Centre Ouest (en bleu clair), 30% de Niger-Congo d'Afrique de l'Est (en orange), 25% de Niger-Congo d'Afrique du Sud (en marron) et 5% de Niger-Congo d'Afrique de l'Ouest (en bleu foncé) et de Khoesan d'Afrique du Sud (en vert).

Contrairement à MALDER, GLOBETROTTER n'indique pas un flux de gène Eurasien récent pour chaque population Africaine, notamment en Afrique du Centre Ouest, en Afrique du Sud et chez les Niger-Congo d'Afrique de l'Est. Comme GLOBETROTTER ne donne que le dernier événement de mélange génétique, cela ne veut pas dire que ces populations n'ont pas connu de mélange génétique plus ancien avec une source Eurasienne. La plupart des populations Niger-Congo d'Afrique de l'Ouest ont connu un événement incluant une source Eurasienne. Parmi eux, les Fulani reçoivent la plus grande proportion de gènes Eurasiens. Cet événement semble correspondre à l'Empire du Ghana qui a prospéré en Afrique de l'Ouest entre 300 et 1200 de notre ère. L'arrivée de gènes Eurasiens pourrait être dû aux nombreux échanges commerciaux entre l'Empire du Ghana et l'Eurasie via l'Afrique du Nord à cette époque. Une source Eurasienne apparait également dans deux populations du Kenya: les Chonyi et Kauma. Ces dernières sont localisées sur la côte de Swahili, une région où un commerce médiéval à travers l'océan Indien est documenté historiquement. Chez les populations Afro-Asiatiques d'Afrique de l'Est les mélanges génétiques incluent une forte source de gènes Eurasiens. Cette ascendance est arrivée en trois vagues successives. Enfin parmis les Khoesan d'Afrique du Sud, deux populations: les Khomani and les Karretjie ont subi des mélanges génétiques avec une source Eurasienne très récente correspondant à la colonisation Européenne de cette région.

Les événements incluant des populations Africaines tendent à impliquer des groupes locaux. Chez les Ju/’hoansi de Namibie, une source correspond à un groupe local: les Karretjie et une population Afro-Asiatique de Somalie aux alentours de 560 de notre ère. On trouve également une source Afro-Asiatique chez les Maasaï aux alentours de 1660 ap. JC., et dans quatre populations de Tanzanie. Par contre le mélange génétique chez les Luyia implique une source Nilo-Saharienne.

La langue Bantoue de la famille Niger-Congo est parlée par la grande majorité des Africains au sud d'une ligne qui relie le Cameroun et la Somalie. Il est probable que cette langue s'est répandue rapidement en suivant une migration importante d'individus. Tous les groupes Niger-Congo d'Afrique de l'Est ont une source issue d'un groupe du Sud: les Malawi, ce qui semble montrer que ces derniers sont les ancêtres des Niger-Congo de l'Est. Ceci suggère une origine commune des Niger-Congo du Sud et de l'Est après leur séparation des Bantous de l'Ouest. De plus les résultats montre que les populations du Cameroun correspondent le mieux à l'ascendance Bantoue et donc le Cameroun semble être le lieu d'origine de cette expansion.

En conclusion, cette analyse permet de proposer les différents événements de mélanges génétiques suivants en allant du plus récent au plus ancien:

  1. Flux de gènes Européen dans deux groupes Khoesan résultant de l'époque coloniale en Afrique du Sud (Figure D ci-dessous)
  2. Arrivée de l'expansion Bantoue en Afrique du Sud il y a seulement 750 ans environ (Figure A)
  3. Contact médiéval avec l'Asie sur la côte Swahili (Figure D)
  4. Flux de gènes Eurasiens vers l'Afrique de l'Ouest, à travers le Sahara et la Péninsule Ibérique et non depuis le Moyen-Orient durant les 3000 dernières années (Figure D)
  5. Plusieurs vagues de flux de gènes Eurasiens depuis le Moyen-Orient vers l'Afrique de l'Est durant les 3000 dernières années (Figure D)
  6. Flux de gènes en Afrique de l'Est en provenance d'Afrique du Centre-Ouest et d'Afrique du Sud, notamment les Malawi. Ceci implique que les Bantous ont d'abord migré vers le sud le long de la côte Ouest de l'Afrique avant de se diriger vers l'Est. Ensuite ils se sont dirigés vers le nord-est et vers le sud (Figure B)
  7. Mouvement pastoraliste pré-Bantou de l'Afrique de l'Est vers l'Afrique du Sud (Figure C)
  8. Connections anciennes bidirectionnelles entre l'Afrique de l'Ouest et le Soudan (Figure C)
  9. Ancien flux de gènes Eurasien en Afrique et mélange avec les groupes chasseurs-cueilleurs en Afrique probablement à une date supérieure à 10.000 ans.


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