La génétique a montré ces dernières années que l'origine de l'homme moderne se situe en Afrique et qu'il a ensuite colonisé le reste du monde, remplaçant les hommes archaïques préalablement installés. La théorie principale fait appel à une route côtière Sud à travers le détroit de Bab el Mandeb reliant l'Afrique à la péninsule Arabique, atteignant ensuite l'Inde et l'Australie il y a environ 60.000 ans. Cependant, différents indices ne plaident pas en faveur de cette théorie. Il y a notamment la présence de fossiles d'hommes modernes datés d'environ 80.000 ans en Chine, et ceux de Skhul et Qafzeh au Levant datés d'environ 100.000 ans.

Les études d'ADN mitochondrial ont montré que seuls deux haplogroupes nommés M et N se retrouvent à l'extérieur de l'Afrique aujourd'hui.

L'haplogroupe mitochondrial N

Rosa Fregel et ses collègues ont publié en 2015 un papier intitulé: Carriers of Mitochondrial DNA Macrohaplogroup N Lineages Reached Australia around 50,000 Years Ago following a Northern Asian Route. Ils ont collecté l'ADN mitochondrial de 1725 échantillons en Arabie Saoudite dont 28 ont été séquencés complètement. Les auteurs se sont intéressés aux échantillons dont l'haplogroupe est N(xR) c'est à dire qui appartienent à N mais pas à sa sous-clade: R. Ils ont comparé leurs données à 623 séquences préalablement publiées d'haplogroupe N(xR).

Les âges de coalescence issus des séquences complètes sont les suivants:
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En dessous de L3, l'haplogoupe N11 présente l'âge le plus ancien (76.000 ans) avec deux branches N11a qui s'étend en Chine et en Mongolie, et N11b que l'on trouve aux Philippines. Ensuite il y a N10 vieux de 66.000 ans détecté principalement en Chine du Sud et au Tibet. Autour de 50.000 ans, les sous-clades N1 et N2 émergent en Eurasie de l'Ouest et la sous-clade S en Australie. Les sous-clades avec une répartition géographique le plus au Sud sont N8, N21 et N22. Elles ont un âge beaucoup plus jeune entre 20.000 et 17.000 ans en contradiction avec l'hypothèse d'une route Sud pour la diffusion de l'haplogroupe N. Elles sont ainsi plus jeunes que la sous-clade A qui est la plus jeune à se diffuser dans le Nord de l'Asie avec 28.000 ans.

L'hypothèse de la route cotière Sud place l'Arabie Saoudite comme la première étape de ce voyage. Les échantillons de cette étude montre que l'haplogroupe J (21%) et R0 (17%) sont les haplogroupes dominants de cette région. 13% de ces séquences appartiennent à l'haplogroupe L dont l'origine est clairement d'Afrique Sub-Saharienne. 7% sont de l'haplogroupe M dont 4% de l'haplogroupe Nord-Africain M1. Enfin 10% des séquences Saoudiennes sont de l'haplgroupe N(xR) dont 2,8% de X2, 2,1% de N1a3, 2% de N1b, 1,1% de N1a1a et 1,3% de I. Il n'y a aucune présence d'une clade ancienne appartenant à N(xR) en Arabie Saoudite. La plupart des séquences Saoudiennes ont des lignages frères qui prennent leur racine au Proche-Orient, en Iran, dans le Caucase ou plus au Nord. Par exemple, les deux séquences Saoudiennes N1a3a ont un âge de coalescence de seulement 11.900 ans. La séquence Saoudienne N3a se place sur une branche avec une séquence Iranienne et une autre de Bélarussie. La séquence Saoudienne X1 se situe avec une séquence Nord Africaine avec un âge de seulement 6500 ans. Toutes les séquences Saoudiennes d'haplogroupe N(xR) montrent ainsi qu'elles correspondent à des diffusions récentes. Il n'y a pas en Arabie Saoudite de séquence N(xR) correspondant à la diffusion ancestrale de cet haplogroupe vieux d'environ 60.000 ans. Ces données vont donc à l'opposée de l'hypothèse d'une route côtière Sud pour atteindre l'Australie.

La sous-clade la plus ancienne de N(xR) détectée en Inde est N5 dont l'âge est d'environ 36.000 ans. Elle partage la mutation 1719 avec la sous-clade N1 d'origine Ouest Asiatique. Les autres sous-clades Indiennes de N(xR) dérivent également de branches d'origine Ouest ou Est Asiatique. Ainsi la présence de N(xR) en Inde est mieux expliqué comme le résultat de migrations plus récentes à partir d'Asie de l'Ouest ou de l'Est. Il semble donc que les premiers colons arrivés en Australie portant l'haplogroupe N(xR) ont utilisé une route qui n'est pas passée en Inde.

L'âge de coalescence de l'haplogroupe mitochondrial S autochtone à l'Australie d'environ 50.000 ans est compatible avec les restes archéologiques de ce pays. De plus le génome complet d'un aborigène Australien a montré que celui-ci était le descendant d'une migration à travers l'Asie de l'Est datée entre 75.000 et 62.000 ans. Son ADN mitochondrial était de l'haplogroupe O, un des lignages basals de N(xR) en Australie. Il avait également la trace d'ADN d'hommes de Neandertal et de Denisova.

Les résulatts de cette étude supporte l'existence d'une route Nord de sortie d'Afrique en dehors de la péninsule Arabique et de l'Inde. Ce long voyage qui s'est terminé en Australie a probablement eu lieu durant l'ère glaciaire MIS-4 il y a environ 71.000 ans quand on pouvait rejoindre l'Australie à travers le Sahul:
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En résumé, on peut supposer que l'haplogroupe L3 s'est largement diffusé en Afrique entre 95.000 et 59.000 ans durant une période de climat doux, voire entre 130.000 et 90.000 ans en fonction du taux de mutation utilisé. Cette dernière estimation est compatible avec les squelettes de Skhul et Qafzeh au Levant et à la diffusion de la culture Atérienne en Afrique du Nord, et correspond à un climat humide favorable à la dispersion des hommes modernes hors d'Afrique. On peut donc supposer que la sortie d'Afrique s'est bien effectuée par la péninsule du Sinaï. Ces hommes portaient probablement l'haplogroupe L3.

Il y a plusieurs routes possibles pour pénétrer à l'intérieur de l'Asie bien que la traversée du Caucase soit la plus probable. En effet, on a détecté un flux de gène Néandertalien chez tous les non Africains bien que le signal soit plus élevé chez les Asiatiques de l'Est. De plus des études ont montré que ce flux de gène est plus proche du Néandertal du Caucase que des autres Neandertaliens en Sibérie ou en Europe. Un peu plus loin sur leur route les ancêtres des Australiens ont rencontré un autre homme archaïque: l'homme de Denisova qui a également laissé dans leur ADN des traces de flux de gènes. Celui-ci est important seulement chez les Australiens et Mélanésiens.

Ensuite, les porteurs de l'haplogroupe mitochondrial N ont quitté le sud de la Sibérie pour entrer en Asie du Sud-Est puis en Australie probablement entre 70.000 et 55.000 ans. Ils ont pu suivre une route côtière ou intérieure comme le montre les restes fossiles en Chine vieux de 80.000 ans et au Laos de 50.000 ans.
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Suite à cette première colonisation de l'Asie du Sud-Est et de l'Australie, les données phylogénétiques montrent un certain nombre de radiations secondaires des principaux haplogroupes M, N et R, notamment en Inde pour M et R, mais aussi en Europe et en Afrique du Nord.

L'haplogroupe mitochondrial M

Patricia Marrero et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Carriers of human mitochondrial DNA macrohaplogroup M colonized India from southeastern Asia. Un total de 206 échantillons d'Arabie Saoudite appartenant à l'haplogroupe M ont été analysés dont 24 ont été complètement séquencés. Ces échantillons ont été comparés à 4107 séquences d'haplogroupe M préalablement publiées d'origine Eurasienne ou Océanienne.

L'haplogroupe M représente environ 7% du gene pool mitochondrial en Arabie Saoudite, dont 53% appartiennent à la sous-clade M1 en provenance probablement du Levant, 39% en provenance d'Inde et 8% en provenance d'Asie du Sud-Est. Notamment les deux lignages M caractéristiques des îles Andaman (M31 et M32) sont également présents en Arabie Saoudite. Il a d'abord été proposé que les indigènes des îles Andaman représentent les descendants des premiers hommes sortis d'Afrique. Cependant, des études plus récentes ont proposé que ces îles ont été colonisées plus tardivement à la fin du Paléolithique. Une des deux séquences Saoudiennes caractéristiques des îles Andaman se retrouve également à Madagascar. Une autre séquence Saoudienne appartient à l'haplogroupe M81 que l'on retrouve également en Inde et à l'île Maurice.
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Dans la figure ci-dessus la séquence Saoudienne est en vert, la séquence de l'île Maurice en jaune et la séquence Indienne en rouge. Les séquences Saoudienne et Mauritienne se différencient que par une seule mutation.

Il y a donc des affinités entre certaines séquences Saoudiennes et des séquences des îles de l'océan Indien le long des côtes Africaines qui pointent vers une arrivée de populations en Arabie Saoudite et dans ces îles en provenance d'Asie du Sud-Est, aux périodes historiques comme l'expansion Islamique ou les colonisations Européennes de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est.

L'existence de l'haplogroupe M en Afrique a d'abord été détecté en Ethiopie et fut interprété comme la preuve de la route côtière Sud pour la sortie d'Afrique de l'homme moderne. Cependant la répartition géographique limitée et la faible diversité de l'haplogroupe M en Afrique ont été utilisés comme un argument contre cette hypothèse. Il fut alors suggéré que l'haplogroupe M1 représentait une migration retour de l'Inde vers l'Afrique. D'autre part, la sous-clade M1 partage la mutation 14110 avec les lignages (M20, M51 et M84) présents en Asie du Sud-Est, et la mutation 16129 avec M20. L'haplogroupe M1 est trouvé du Portugal et du Sénégal à l'Ouest jusqu'au Caucase, au Pakistan et au Tibet à l'Est, et de Guinée-Bissau et de Tanzanie au Sud jusqu'en Russie au Nord. Cependant sa plus forte diversité se trouve en Ethiopie et au Maghreb. M20 et M51 montrent une répartition géographique commune en Asie du Sud-Est incluant la Birmanie et la Malaisie à l'Ouest, les Philippines et Hainan à l'Est et le Tibet au Nord-Ouest. M84 se limite à la Birmanie, l'Inde et le Sud de la Chine. La séparation de ces 4 haplogroupes remonte à environ 56.000 ans probablement au cœur de leurs aires de répartition. Il est donc possible que l'haplgoroupe M1 ait émergé en Asie du Sud-Est et non en Inde. De plus, il a été suggéré que cet haplogroupe soit rentré en Afrique via le Levant à cause de sa faible diversité le long de la route côtière Sud.

L'haplogroupe M est caractérisé en Asie du Sud par une grande diversité, des âges de coalescence anciens et la nature autochtone de ses différents lignages. Ces différents éléments ont été utilisés pour proposer une origine Indienne et une rapide dispersion vers l'Est pour coloniser l'Asie du Sud-Est. Cependant il y a plusieurs arguments contre cette théorie. Premièrement comme les barrières géographiques ne sont pas plus fortes à l'Ouest qu'à l'Est, on pouvait s'attendre à ce que l'haplogroupe M se diffuse également vers l'Ouest, ce qui n'est pas le cas à part la sous-clade M1. Deuxièmement l'âge de l'haplogroupe M en Inde est significativement plus jeune qu'en Asie de l'Est et du Sud-Est et qu'en Australo-Mélanésie comme le montre le tableau ci-dessous:
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D'autre part, des études génétiques précédentes ont montré que la colonisation de l'Inde s'est faite en deux vagues détectées comme deux anciennes populations: Ancestral Southern Indians et Ancestral Northern Indians. La première est présente notamment chez les habitants des îles Andaman. De manière intéressante ces derniers se regroupent avec les populations de l'Asie du Sud-Est lorsque celles-ci sont rajoutées dans l'étude. De plus, un support indépendant à cette théorie est apporté par une étude précédente sur l'haplogroupe du chromosome Y: K-M526 dont on a montré une origine dans l'Asie du Sud-Est suivie par une rapide dispersion dans la région et en Océanie avec également des expansions vers l'Ouest.

Ainsi les auteurs proposent une sortie ancienne des hommes modernes d'Afrique par le Levant illustrée par les restes fossiles de Skhul et Qafzeh datés de 100.000 ans. Ils étaient probablement de l'haplogroupe L3. Ensuite, ils ont suivi une unique route située au Nord vers les montagnes de l'Altaï où ils se sont mélangés avec les Neandertaliens et les Denisoviens. Puis, suite à un refroidissement du climat ils se sont dirigés vers le sud de la Chine et portaient les haplogroupes M et N:
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Ensuite il se sont dirigés vers l'Ouest jusqu'en Inde et vers l'Est en Océanie:
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Plus tard l'haplogroupe M1 s'est dirigé vers le Levant et l'Afrique, accompagnés probablement par quelques éléments d'haplogroupe M détecté en Europe au Paléolithique.