L'archipel des Canaries a été colonisé avant l'arrivée des Européens. Il est constitué de sept îles principales toutes colonisées par une population berbère d'Afrique du Nord:
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On ne sait pas si la colonisation s'est faite en une ou plusieurs vagues de migration et si l'ancienne population diffère d'île en île. L'île de El Hierro est la plus petite avec une superficie de 287 kilomètres carré. Elle est située à l'ouest de l'archipel. Durant la conquête espagnole du 15ème siècle, un chroniqueur rapporte qu'il n'y avait pas de contact entre les habitants des différentes îles. La datation la plus ancienne relative à la colonisation de l'archipel se situe au milieu du premier millénaire av. JC sur l'île de Tenerife, et il y a 1900 ans sur les autres îles.

Des études génétiques d'ADN ancien ont été préalablement réalisées sur les îles Canaries. Elles semblent montrer qu'il y a eu deux vagues de migration successives et que les îles ont subi des processus de colonisation différents.

Alejandra C. Ordóñez et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genetic studies on the prehispanic population buried in Punta Azul cave (El Hierro, Canary Islands). Ils ont analysé l'ADN ancien d'une population enterrée dans la grotte de Punta Azul sur l'île de El Hierro. 61 échantillons ont été testés. Le sexe a pu être déterminé pour 54 échantillons: il y a 36 hommes et 18 femmes. L'âge de deux échantillons a été estimé entre 920 et 795 ans, ce qui assure qu'ils appartiennent bien à une population aborigène de l'île. L'ADN mitochondrial a été testé par le séquençage de la région HVR1 et par une analyse RFLP sur quelques bases de la région codante permettant d'identifier les principaux haplogroupes: H, H1, H3, U, JT et L. L'ADN du chromosome Y a été testé sur 16 SNPs qui permettent de distinguer les principaux haplogroupes présents en Afrique du Nord, Afrique Sub-Saharienne et Europe. L'ADN autosomal a également été testé sur des marqueurs STR.

Les résultats obtenus dans cette étude ont été comparés avec ceux obtenus précédemment sur les autres sites des îles Canaries comme on peut le voir dans les tables ci-dessous.

Tous les échantillons de la grotte de Punta Azul appartiennent au même haplogroupe mitochondrial H1 et au même haplotype défini par la position 16260 comme on peut le voir dans la table ci-dessous:
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Cet haplotype est considéré comme un lignage fondateur car il est également présent dans toutes les populations actuelles des îles Canaries avec une fréquence globale de 1,8%. On le retrouve également dans les populations aborigènes anciennes de Tenerife, La Palma et La Gomera. Il est également observé dans un échantillon d'un individu actuel d'Algérie ce qui renforce l'idée d'une population originaire d'Afrique du Nord. Globalement la diversité mitochondriale est nettement plus faible à El Hierro et à La Gomera qu'à Tenerife et à La Palma ce qui montre que les populations des différentes îles Canaries ont subi des processus démographiques différents. Il semble ainsi que El Hierro a été colonisée par la première vague de migration et est restée isolée par la suite.

Les résultats obtenus sur les marqueurs STR autosomaux montrent que les échantillons correspondent bien à différents individus. Ils montrent également que la population ancienne de El Hierro est plus proche des populations berbères actuelles du Maroc que de la population actuelle de la péninsule Ibérique:
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Les résultats obtenus sur l'ADN du chromosome Y montrent que les 16 échantillons qui ont donné des résultats appartiennent à trois haplogroupes différents définis par les SNPs: E1a-M33, E1b-M81 et R1b-M269:
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L'haplogroupe E1b-M81 est typique des populations berbères d'Afrique du Nord. L'haplogroupe R1b-M269 est considéré comme un marqueur Européen. Il est cependant présent à faible fréquence en Afrique du Nord. Enfin l'haplogroupe E1a-M33 est fréquent en Afrique Sub-Saharienne. Il est également présent en Afrique du Nord.

Les résultats obtenus sur l'ensemble des études génétiques des différentes îles Canaries montrent qu'il y a eu probablement deux vagues migratoires qui ont colonisé l'archipel. La première a atteint toutes les îles et a été porteur des haplogroupes mitochondrial U6b1a et du chromosome Y E1b-M81. La seconde a affecté seulement les îles de l'est et a été porteur des haplogroupes mitochondriaux T2c et U6c1 et du chromosome Y E1b-M78 et J1-M267. L'unicité de l'haplotype mitochondrial dans la grotte Punta Azul suggère que tous les individus enterrés ici sont reliés maternellement et partagent un ancêtre maternel commun. Ceci semble indiquer un comportement matrilinéaire des premières sociétés aborigènes des îles Canaries.