Durant le troisième millénaire av. JC., deux nouvelles cultures archéologiques à gobelets se sont diffusées en Europe. Le complexe de la Céramique Cordée en Europe Centrale, du Nord et de l'Est était associé à la migration de populations dont leur ascendance génétique est proche de celle des populations de la culture Yamnaya des Steppes Pontiques. Le Campaniforme est identifié depuis environ 2750 av. JC. au Portugal bien que son origine exacte reste à déterminer. Vers 2500 av. JC., le Campaniforme est présent dans de nombreuses régions Européennes. Il est caractérisé par du mobilier archéologique comme des gobelets en forme de cloche, des poignards en cuivre, des pointes de flèches, des brassards d'archer et des boutons perforés en V. Ce complexe archéologique s'est rapidement diffusé en Europe Occidentale et en Afrique du Nord atteignant la façade Atlantique en France, l'Italie et l'Europe Centrale où elle a rencontré le complexe de la Céramique Cordée, avant d'atteindre les Îles Britanniques. Un débat important réside dans le fait de savoir si cette culture s'est diffusée par des mouvements de populations ou d'idées.

Iñigo Olalde et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The Beaker Phenomenon and the Genomic Transformation of Northwest Europe. Ils ont séquencé le génome de 170 individus Européens entre 4700 et 1200 av. JC., dont 100 squelettes Campaniformes:
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Les auteurs ont déterminé l'haplogroupe du chromosome Y pour 54 hommes du Campaniforme. Les Campaniformes de la péninsule Ibérique portent des haplogroupes typiques du Néolithique Européen dont G2 et I2a, alors qu'ailleurs en Europe l'haplogroupe dominant est R1b-L151 (84%) associé à la migration de populations issues des Steppes. Ces individus appartiennent tous sauf un à la sous-clade R1b-P312 suggérant ainsi que cette clade dominante aujourd'hui en Europe Occidentale s'est diffusée avec le Campaniforme. Le dernier est R1b-U106 dans les Pays-Bas. A noter également que tous les Campaniformes Français dont ceux de la région Sud sont de l'haplogroupe R1b (P312 en général avec un individu du Sud de la France qui est U152). Cependant, l'haplogroupe du squelette de la Fare n'a pas pu être déterminé.

Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales:
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La différentiation entre les individus Campaniformes dépend de leur proportion d'ascendance issue des Steppes, puisqu'ils se situent entre les individus de la culture Yamnaya et les individus du Néolithique Européen.

Les auteurs ont également effectué une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. Dans la figure ci-dessous, les Campaniformes sont situés dans le bloc du milieu:
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Ainsi les Campaniformes de la péninsule Ibérique (en violet dans la PCA) ne présentent pas d'ascendance issue des Steppes (qui inclue la composante verte), contrairement aux Campaniformes des autres régions d'Europe dont ceux du Sud de la France (en jaune dans la PCA). A noter que le squelette de la Fare est l'individu du Sud de la France qui possède le plus d'ascendance Steppique (proportion équivalente aux Campaniformes d'Europe Centrale ou des Îles Britanniques).

Les auteurs ont ensuite cherché à exprimer le génome de ces anciens individus comme un mélange génétique entre des chasseurs-cueilleurs de l'Ouest, des fermiers d'Anatolie et des pasteurs des Steppes. Ainsi la grande majorité des Campaniformes en dehors de la péninsule Ibérique possèdent de l'ascendance issue des Steppes. Cette proportion d'ascendance Steppique est visualisée en noir dans la figure ci-dessous. Seuls deux Campaniformes d'Espagne (site de Arroyal I dans le Nord) possèdent un peu d'ascendance Steppique:
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Il y a de fortes différences entre régions, mais aussi dans la même région ou le même site archéologique. Ainsi un individu Campaniforme d'Alsace ne possède pas du tout d'ascendance Steppique contrairement aux autres individus de cette région. A noter cependant que cet individu est plus vieux (2832 à 2476 av. JC.) que les autres (2566 à 2133 av. JC.), ce qui peut expliquer la différence.

Les auteurs ont ensuite recherché la source de l'ascendance fermier Néolithique chez les Campaniformes Européens à l'aide de la statistique f4. Ainsi les Campaniformes Ibériques sont plus proches des Néolithiques Ibériques que des Néolithiques d'Europe Centrale. De plus les Néolithiques du Sud de la France ou de Grande-Bretagne sont plus proches des Néolithiques Ibériques que ceux d'Europe centrale. Ils ont dû arriver dans les Îles Britanniques en longeant la façade Atlantique comme supposé par la diffusion des tombes mégalithiques. Enfin, les Campaniformes en dehors de la péninsule Ibérique sont plus proches des populations Néolithiques d'Europe Centrale ou du Nord que de la péninsule Ibérique. Leur ascendance Néolithique est donc locale.

Les Campaniformes de Grande-Bretagne montrent une forte similarité génétique avec les Campaniformes d'Europe Centrale comme on peut le voir sur l'Analyse en Composantes Principales, mais également une forte similarité archéologique. Leur forte proportion d'ascendance Steppique contraste avec les individus Néolithiques Britanniques. qui en sont dépourvus. Ainsi l'arrivée de l'ascendance des Steppes dans les Îles Britanniques est liée à l'arrivée du phénomène Campaniforme. En Europe Centrale les Campaniformes les plus proches des Campaniformes Britanniques sont ceux de Oostwoud aux Pays-Bas.

Les auteurs ont ensuite modélisé les Campaniformes Britanniques par un mélange génétique entre les Campaniformes d'Europe Centrale et les fermiers Néolithiques Britanniques. La figure ci-dessous donne le résultat:
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Dans la figure a ci-dessus, les individus sont ordonnés en fonction de leur datation. On voit ainsi que les premiers arrivants sont très variables entre des individus sans mélange génétique et d'autres déjà mélangés. Ensuite les proportions d'ascendance génétique sont plus stables. Ces résultats impliquent un remplacement de la population Britannique de l'ordre de 93%. Ce remplacement de population est également mis en évidence par les haplogroupes du chromosome Y: l'haplogroupe R1b totalement absent au Néolithique représente 95% et 75% des populations du Campaniforme et de l'Âge du Bronze Moyen (MBA) respectivement (figure b ci-dessus).

Les auteurs ont ensuite regardé les traits phénotypiques. Ainsi les gènes SLC45A2 et HERC2/OCA2 liés à la pigmentation de la peau et des yeux, voient la fréquence de leur allèle dérivé (peau et yeux clairs) augmenter énormément avec l'arrivée du Campaniforme. Cependant, la fréquence de l'allèle dérivé pour le gène lié à la tolérance au lactose reste très faible chez les Campaniformes et les individus de l'Âge du Bronze Moyen. Cette fréquence a donc dû augmenter par la suite.

Mise à jour

Ce papier a été définitvement publié en février 2018 dans la revue Nature: The Beaker phenomenon and the genomic transformation of northwest Europe. Entre les deux versions, le nombre de squelettes campaniformes dont le génome a été testé passe de 97 à 226. Le nombre d'échantillons de la péninsule Ibérique passe de 20 à 37, d'Italie du Nord de 1 à 3, de Grande Bretagne de 19 à 37, d'Europe Centrale de 56 à 133, et enfin 3 échantillons de Sicile apparaissent. En Europe Centrale les échantillons viennent essentiellement d'Allemagne et de République Tchèque. Mais il y a aussi des échantillons de Hongrie et de Pologne. Enfin trois échantillons du site du Petit-Chasseur à Sion en Suisse apparaissent.

Les conclusions de l'étude sont identiques. Les squelettes campaniformes de Sicile n'ont pas d'ascendance issue des steppes. Dans la péninsule Ibérique, 8 squelettes sur 32 ont de l'ascendance steppique. Ces individus sont les premiers individus de cette région contenant de l'ascendance issue des steppes. L'haplogroupe R1b-M269 du chromosome Y a été trouvé chez quatre hommes de la péninsule Ibérique contenant également de l'ascendance steppique. La corrélation entre haplogroupe R1b-M269 et ascendance issue des steppes est donc très forte dans toute l'Europe.