Le papier définitif de Iñigo Olalde: The Beaker phenomenon and the genomic transformation of northwest Europe est enfin paru dans la revue Nature. Un pre-print avait été publié en mai 2017. Les premières conclusions à l'époque faisaient émerger un modèle complexe dans lequel deux origines distinctes du phénomène Campaniforme apparaissaient: une origine dans une population locale Néolithique dans la péninsule Ibérique et une origine en Europe Centrale liée à la migration d'une population contenant une part importante d'ascendance issue des steppes Pontiques du nord de la mer Noire. Ce modèle indiquait une première origine dans la péninsule Ibérique qui se transmettait en Europe Centrale par transmission d'idées. Là, le phénomène Campaniforme aurait été accaparé par une population issue des migrations Yamnaya pour se propager ensuite vers l'Ouest et le Nord-Ouest suite à des migrations massives notamment en Grande-Bretagne. Le scénario était cependant un peu dur à avaler. En effet, comment imaginer que le phénomène Campaniforme dont de nombreuses caractéristiques (gobelets, décors cordés, différentiation des genres dans la tombe, identité du guerrier, ...) sont très voisines de celles des cultures Yamnaya ou Cordées, puisse avoir été emprunté à l'Europe Occidentale par une population issue des Steppes ?
Et puis cette nouvelle version du papier qui intègre de nombreux nouveaux échantillons, nous donne un indice important. En effet parmi les 32 génomes de la péninsule Ibérique, 8 individus possèdent une part importante d'ascendance issue des steppes. De plus les quatre hommes parmi ces 8 individus appartiennent à l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-M269 dont la corrélation avec l'ascendance steppique ne fait plus aucun doute. Ainsi dès le campaniforme cette population issue des steppes, arrive dans la péninsule Ibérique en contact avec la population locale.
Dans la figure ci-dessous, la position de chacun des échantillons indique leur affinité génétique avec soit les fermiers du Néolithique (si situé à droite) soit les pasteurs des steppes (si situé à gauche). On remarque ainsi facilement les huit Campaniformes Ibériques (en violet) qui possèdent de l'ascendance steppique. Notamment un parmi eux, a autant d'ascendance steppique que les Campaniformes d'Europe Centrale (en orange) ou de Grande-Bretagne (en vert). On remarque également le point jaune le plus situé sur la gauche qui correspond au squelette de La Fare dans le sud de la France:
Ces huit Campaniformes de la péninsule Ibérique sont issus des sites archéologiques de Arroyal I et El Virgazal près de Burgos, Humanejos, Camino de las Yeseras et La Magdalena près de Madrid. Ils sont datés entre 2500 et 1750 av. JC., c'est à dire de la même période que les Campaniformes d'Europe Centrale.
L'hypothèse de l'origine du Campaniforme dans la péninsule Ibérique est liée essentiellement aux datations radiocarbones qui indiquent une présence du phénomène Campaniforme dans cette région dès 2750 av. JC., bien avant sa présence dans les autres régions. Cependant deux arguments importants nous indiquent de prendre ces données avec prudence. En effet, la courbe de calibration radiocarbone présente de nombreux plateaux durant le troisième millénaire av. JC, ce qui implique une forte incertitude sur la date calibrée. D'autre part les dates anciennes obtenues dans la péninsule Ibérique viennent de contextes archéologiques complexes, souvent des habitats ou des tombes collectives dont la durée d'utilisation s'étend bien avant le Campaniforme. Comment être sûr que la date mesurée correspond bien au Campaniforme et non à une culture précédente ?
Enfin le principe du rasoir d'Occam ou de parcimonie, nous indique de choisir la solution la plus simple pour l'origine du Campaniforme. Cette solution la plus simple consiste donc à une origine du Campaniforme unique à l'Est de l'Europe Centrale dans une population issue des migrations Yamnaya. Cette culture se diffuse ensuite dans toute l'Europe Centrale et Occidentale par migration importante de populations. Cette population est caractérisée par une ascendance steppique importante et les hommes possèdent pour leur très grande majorité l'haplogroupe du chromosome Y: R1b-M269. En Grande-Bretagne elle remplace une très grande partie de la population Néolithique précédente. Dans la péninsule Ibérique elle entre en contact avec la population locale qui est acculturée à la culture Campaniforme, ce qui explique le grand nombre d'individus de cette culture avec une signature génétique des fermiers du Néolithique.
Les Yamnayas par Evelyne Heyer sur France Inter:
The Bell Beaker Phenomenon and the Rise of the Bronze Age sur Tides of History podcast:
4 réactions
1 De Bernard - 25/02/2018, 10:35
Sur un blog anglo-saxon (http://bellbeakerblogger.blogspot.f...), quelqu'un a mis en avant la date précoce obtenue sur le site de Leceia, dans l’Estrémadure Portugaise. Le cas de Leceia est intéressant. Il s'agit d'un site fortifié du Chalcolithique Portugais situé proche de l'embouchure du Tage. La céramique Campaniforme apparait à l'intérieur de la zone fortifiée, mais également dans une hutte située à l'extérieur du site fortifié. Les datations radiocarbone ont montré que la hutte à l'extérieur précède les restes Campaniformes à l'intérieur. La hutte à l'extérieur ne contient que des céramiques Campaniformes et des os d'animaux. Les mesures radiocarbone sur les restes d'animaux ont donné une date située entre 2880 et 2500 av. JC (voir le papier de Cardoso: The Bell -beaker complex in Portugal: an overview). Or comment être sûr que les os d'animaux sont contemporains des poteries Campaniformes ? On peut très bien imaginer l'arrivée d'une population Campaniforme qui construit une habitation sur un terrain dans lequel a été enterré des restes d'animaux par une culture précédente. Et du coup on règle le problème de la non simultanéité des occupations Campaniformes à l'intérieur et à l'extérieur du site fortifié de Leceia.
2 De Bernard - 03/03/2018, 14:21
Le cas du dolmen de Arroyal I est intéressant. En effet le papier de Eduardo Carmona Ballestero de 2014: El dolmen de Arroyal I: usos y modificaciones durante el III milenio cal AC, donne des indices importants concernant les squelettes testés dans cette étude. En effet sur les cinq individus testés, seul deux appartiennent de manière sûre à la culture Campaniforme et correspondent à des sépultures individuelles. Les trois autres sont des os épars issus d'une couche (UE25) recouverte par une couche Chalcolithique pré-campaniforme (UE21). De manière intéressante, les deux individus Campaniforme sont deux femmes qui possèdent de l'ascendance issue des steppes.. Les trois autres individus n'ont pas d'ascendance issue des steppes. Parmi ces trois individus il y a deux hommes d'haplogroupe du chromosome Y: I2a.
3 De Pèlerin2lAtlantique - 29/01/2020, 17:02
Selon moi il y a une tragédie en deux actes : une primo culture campaniforme existait bien sur toute la façade atlantique de l'Europe avec une population néolithique qui commerçait le cuivre et l'étain du Tage et des Asturias contre l'ambre de la Baltique. C'est eux qui ont mis en place un cadre matériel basé sur cet échange nord-sud. Les cavaliers de la steppe arrivant par l'est ont découvert ce circuit pdt la 2eme moitié du IIIeme millénaire BC et ils l'ont conquis du nord-est vers l'ouest et le sud-ouest ("neutralisation" des hommes et accaparation des femmes?) en même temps qu'ils l'adoptaient et l'amélioraient.
Je crois qu'un jour on affinera les dates et nous verrons apparaitre un proto-campaniforme sur le Tage et un campaniforme plus tardif vers les actuels Pays-Bas...
4 De Algenib - 30/01/2020, 07:36
Bonjour Pèlerin2lAtlantique , je rebondis sur votre question. Vous parlez de cavaliers des steppes, cette population (que l'on appelle souvent les pasteurs des steppes) avait-elle domestiqué le cheval et donc "envahie" l'Europe avec, en tant que cavalier ? Et donc elle y aurait amené le cheval (c'est ce que je présume ayant entendu Anne Lehoërff récemment dire que le cheval apparait en Europe durant l'âge de bronze).