Les plus anciens fossiles d'Homo sapiens pointent vers une origine Africaine issue d'un groupe archaïque appelé Homo heidelbergensis ou Homo rhodesiensis. Cependant, le lieu et la date exacts de leur émergence restent obscures.

En 1960, des activités minières à Jebel Irhoud au Maroc ont mis en évidence un site Paléolithique. Notamment, la découverte d'un crâne presque complet (Irhoud 1) a déclenché des fouilles qui ont conduit à la mise à jour d'une boîte crânienne (Irhoud 2), d'une mandibule (Irhoud 3) et de plusieurs fragments osseux, associés à d'abondants restes d'animaux du Pléistocène Moyen. L'interprétation des fossiles humains de Jebel Irhoud a longtemps été compliquée du fait de l'incertitude sur leur âge: entre 40.000 et 160.000 ans.

Actuellement les plus anciens fossiles d'Homo Sapiens sont attribués à Omo Kibish en Éthiopie, âgé d'environ 195.000 ans, et à Herto, également en Éthiopie, âgé d'environ 160.000 ans. Cependant, de manière intéressante, Omo Kibish et Herto ont certains traits anatomiques plus dérivés que Jebel Irhoud. Ces points ont amené à penser que les fossiles de Jebel Irhoud étaient issus d'un croisement entre Homo sapiens et Neandertal, ou d'une espèce archaïque Africaine.

Jean-Jacques Hublin et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: New fossils from Jebel Irhoud, Morocco and the pan-African origin of Homo sapiens. Ils ont effectué de nouvelles fouilles à partir de 2004 qui ont conduit à la découvertes de nouveaux fossiles humains, dont un crâne humain (Irhoud 10):
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une mandibule (Irhoud 11):
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et différents restes osseux qui viennent de la couche inférieure du dépôt archéologique. Cette couche contenait les restes d'au moins cinq individus différents. Elle a été datée par thermoluminescence à partir d'outils brulés de silex, à environ 315.000 ans. Ces résultats apportent de nouvelles perspectives aux fossiles de Jebel Irhoud.

Comparées aux faces des Néandertaliens ou d'autres espèces archaïques du Pléistocène Moyen, les faces des hommes modernes présentent de nombreuses différences comme le montre l'Analyse en Composantes Principales ci-dessous dans laquelle les Homo sapiens sont en bleu et noir, les Néandertaliens en rouge et les formes archaïques en orange:
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La figure ci-dessus montre que les fossiles de Jebel Irhoud (étoiles roses) se situent tous dans les variations d'Homo sapiens.

A l'inverse, la forme de la boîte crânienne des fossiles de Jebel Irhoud présente des caractères archaïques comme le montre l'Analyse en Composantes Principales ci-dessous:
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Ils se situent entre les Néandertaliens et les Homo erectus. De manière intéressante, Omo Kibish 2 se situe entre Irhoud 1 et Irhoud 2. La flèche noire ci-dessus indique l'évolution de la boîte crânienne entre les formes anciennes d'Homo sapiens et les formes modernes.

En conclusion, les fossiles de Jebel Irhoud représentent les premières preuves bien datées de l'existence d'une phase ancienne de l'évolution d'Homo sapiens en Afrique. Ces résultats corroborent ceux issus du fossile de Florisbad en Afrique du Sud daté d'environ 260.000 ans et attribué à une forme primitive d'Homo sapiens. Ainsi cette étude pointe vers une histoire complexe de l'évolution d'Homo sapiens impliquant l'ensemble du continent Africain. La face a d'abord évolué, suivie plus tard par la boîte crânienne, comme pour les Néandertaliens.

Ces résultats sont également à rapprocher de la découverte d'une branche ancienne dans l'arbre phylogénétique du chromosome Y (clade A00) qui aurait divergé du reste de l'arbre il y a environ 275.000 ans, et des résultats récents d'ADN ancien en Afrique du Sud qui indiquent une date de divergence de plus de 265.000 entre les chasseurs-cueilleurs d'Afrique du Sud et les autres populations Africaines.