Les îles du Sud-Est Asiatique sont une région clef dans l'évolution et les interactions entre groupes humains. Les habitants actuels possèdent de l'ADN de Néandertal et de Denisova. De plus les restes fossiles indiquent la présence d'Home erectus à Java depuis environ 1,7 millions d'années jusqu'à 53.000 à 27.000 ans, celle d'Homo floresiensis sur l'île de Flores entre 700.000 et 60.000 ans et celle d'Homo sapiens en Sulawesi à partir de 40.000 ans. D'autre part les plus fortes proportions d'ascendance Denisovienne sont trouvées dans la région à l'Est de la ligne Wallace qui sépare les anciens continents Sunda et Sahul. La plupart de l'ascendance des habitants actuels de la région vient de l'expansion Austronésienne qui s'est produite entre 4000 et 3000 ans depuis l'Asie du Sud-Est vers l'Océanie.

L'histoire humaine sur l'île de Flores est particulièrement énigmatique. Cette île est localisée à environ 400 km à l'Est de la ligne Wallace, et abrite les restes d'Homo floresiensis, une espèce humaine de petite taille dont la taille moyenne est estimée à environ 1,06m qui a habité la région entre 700.000 et 60.000 ans. Cependant les plus anciens restes humains sur l'île de Flores remontent à 1 million d'années. Enfin la population actuelle de cette île inclut une population pygmée vivant dans le village de Rampasasa à proximité de la grotte de Liang Bua qui héberge les restes d'Homo floresiensis et dont la taille moyenne fait environ 1,45m:
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Serena Tucci et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Evolutionary history and adaptation of a human pygmy population of Flores Island, Indonesia. Ils ont génotypé l'ADN de 32 individus de Rampasasa. Ils ont ensuite séquencé le génome complet de dix de ces individus. Ces résultats ont été ensuite comparés avec le génome de 2507 individus appartenant à 225 populations différentes.

Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Les pygmées de Flores se situent à proximité des populations des îles du Sud-Est Asiatique et des populations du continent du Sud-Est Asiatique. Les populations les plus proches sont les Lebbo de Bornéo et les Mamanwa des Philippines:
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Les auteurs ont également effectué une analyse avec le logiciel ADMIXTURE. L'ascendance des pygmées de Flores est issue d'un mélange génétique entre une population Est-Asiatique et une population de Nouvelle-Guinée, mélange issu de l'expansion Austronésienne. La composante de Nouvelle-Guinée représente environ 23% de l'ascendance totale des pygmées de Flores:
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Les auteurs ont ensuite utilisé une analyse en Composantes Principales pour décrire les ascendances archaïques (Néandertal et Denisova) des pygmées de Flores:
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Les pygmées de Flores possèdent donc de l'ADN de Néandertal et de Denisova. Leur proportion de 0.8% d'ADN de Denisova est supérieure à celle des populations des îles du Sud-Est Asiatiques, mais inférieure à celle des Mélanésiens. En fait cette valeur est proportionnelle à leur taux d'ascendance de Nouvelle-Guinée.

Les auteurs ont déterminé l'ADN hérité d'une population humaine archaïque à l'aide de la statistique S*:
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Il atteint 53,5 Mb par individu chez les pygmées de Flores dont 47,5 Mb viennent de Néandertal et 4,2 Mb viennent de Denisova. La quantité restante est classifiée ambiguë car les auteurs ne savent pas si cet ADN vient de Néandertal ou de Denisova. La statistique S* n'a pas besoin de génome de référence d'une population archaïque et ainsi peut potentiellement identifier de l'ADN issue d'une population archaïque inconnue. Cependant les auteurs n'ont pas trouvé dans le génome des pygmées de Flores une signature archaïque différentes de Néandertal et de Denisova. Il semble ainsi que les populations ancestrales aux pygmées de Flores ne se soient pas mélangés génétiquement avec des Homo erectus ou des Homo floresiensis.

Les auteurs ont ensuite recherché des gènes soumis à la sélection naturelle chez les pygmées de Flores. Une des régions identifiées correspond aux HLA (Human leukocite antigen) liés aux réponses immunitaires de l'organisme. Une autre correspond aux FADS (Fatty acid desaturase) liés à l'alimentation. Chez les pygmées de Flores, l'haplotype de ce gène est fixé à l'allèle ancestrale comme c'est le cas également pour un certain nombre de populations des îles du Sud-Est Asiatique, mais aussi chez les inuits du Groenland potentiellement en réponse au climat et à une alimentation marine riche en acide gras oméga 3:
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Les auteurs ont également recherché les gènes responsables de la taille des individus. Ils ont ainsi remarqué que ces gènes identifiés dans les populations Européennes sont également différenciés chez les pygmées de Flores par rapport aux populations voisines:
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Les pygmées de Flores possèdent ainsi plus d'allèles correspondant à une diminution de la taille, que leur voisins. Ainsi la sélection naturelle a conduit à une diminution de la taille des pygmées de Flores.