La Corse est la quatrième plus grande île de la Méditerranée située à 177 km au sud-est de la Provence et 85 km à l'ouest de la Toscane. La rareté des restes humains due aux terrains acides, rend difficile d'appréhender son premier peuplement. L'hypothèse la plus largement acceptée est la colonisation du bloc Corse-Sardaigne à partir de la Toscane au moment des différentes périodes glaciaires. Ainsi la première colonisation de la Corse peut remonter au Mésolithique entre 18.000 et 15.000 ans. La preuve archéologique la plus ancienne est la sépulture collective Mésolithique de Campo Stefano située au sud de la Corse. Elle est datée de 8940 ans. D'autres sites Mésolithiques sont identifiés au sud-ouest à Filitosa et au sud de la Corse, ainsi qu'en Sardaigne. Un changement démographique majeur est intervenu au Néolithique à partir du sixième millénaire av. JC. Les restes archéologiques sont des pierres taillées et des poteries de la céramique imprimée, cardiale ou Campaniforme. La préhistoire Corse se termine lorsque les Grecs s'installent sur l'île en bâtissant la ville d'Alalia en 565 av. JC. Les Grecs furent suivis des Romains, des Vandales et des Bysantins.

Julie Di Cristofaro et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Prehistoric migrations through the Mediterranean basin shaped Corsican Y-chromosome diversity. Ils ont étudié l'ADN du chromosome Y de 321 hommes Corses, ainsi que de 259 hommes de Provence et 261 hommes de Toscane à titre de comparaison. Ils ont testé un grand nombre de SNPs permettant d'abord de discriminer les différents haplogroupes, et ensuite d'affiner les principaux haplogroupes. Enfin 17 marqueurs STR ont également été testés.

L'haplogroupe R est le plus fréquent en Corse avec une valeur de 51,8%. Cet haplogroupe atteint 90% en Provence et 45,3% en Toscane. La sous-clade R1b-U152 est majoritaire notamment en Corse du Nord. Néanmoins la sous-clade R1b-U106 est présente en Corse du Sud. En Europe, R1b-U152 est le plus fréquent en Suisse, Italie, France et Pologne de l'Ouest. Les études d'ADN ancien nous ont montré que l'haplogroupe R s'est diffusé en Europe de l'Ouest à l'Âge du Cuivre et l'Âge du Bronze.

L'haplogroupe G atteint une fréquence de 21,7% en Corse et 13,3% en Toscane. Il est absent en Provence. La sous-clade G2a-L91 atteint 11,3% en Corse et est absente en Toscane. G2a-L91 et G2a-PF3147 atteignent leur plus haute fréquence en Sardaigne et en Corse du Sud. Les études d'ADN ancien ont montré que l'haplogroupe G s'est diffusé en Europe avec les fermiers du Néolithique.

L'haplogroupe J montre une fréquence intermédiaire en Corse (11,8%) entre celles de Provence (6,6%) et de Toscane (17,6%). La sous-clade J2a-M67 est homogène sur l'île avec un TMRCA de 2380 ans. La sous-clade J2a-Page55 est présente dans le nord-ouest de la Corse.

L'haplogroupe E est principalement représenté par sa sous-clade E1b-V13. Sa fréquence en Corse (5,5%) est intermédiaire entre celles de Provence (3%) et de Toscane (10,4%). La diffusion de E1b-V13 est supposée liée à l'expansion du Néolithique.

L'haplogroupe I est présent en Corse sous ses deux clades I1 (0,3%) et I2 (2,4%). Il est absent en Provence et présent en Toscane: I1 (0,3%) et I2 (6,3%). La clade I1 est principalement présente en Europe du Nord, alors que la clade I2 se divise principalement en deux sous-clades: I2-P37 et I2-M436. Cette dernière est présente principalement dans les Balkans. Les études d'ADN ancien nous ont montré que I2 est associé au Mésolithique en Europe. Il est également présent au Néolithique notamment dans le sud de la France. La sous-clade I2-M26 trouvée dans 30% des échantillons en Sardaigne est très peu présente en Corse.

L'haplogroupe Q est présent en Corse avec une fréquence de 2,4%. Il est absent en Provence et a une fréquence de 0,6% en Toscane.

L'haplogroupe T1a-M70 est présent en Corse avec une fréquence de 3,7% contre 3% en Toscane. Il est absent en Provence. Son TMRCA en Corse est de 8850 ans.
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Les auteurs ont ensuite réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous les données de cette étude sont en noir, les populations Nord Africaines en bleu foncé, les populations des Balkans en rose, les populations d'Ibérie en orange, les populations d'Italie continentale en bleu clair et les populations des îles de l'ouest de la Méditerranée en vert:
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La première composante sépare les populations Européennes de celles d'Afrique du Nord. La deuxième composante montre un gradient le long de la côte nord de la Méditerranée entre les Balkans et la péninsule Ibérique. Ainsi les échantillons de Toscane se regroupent avec ceux d'Italie continentale, alors que ceux de Provence se situent entre l'Italie et la péninsule Ibérique. Le groupe des populations des îles de l'ouest Méditerranée (Sardaigne et Sicile) s'étend tout le long du gradient. Les échantillons du Nord-Ouest de la Corse se trouve à proximité des échantillons du Nord-Ouest de l'Apulie dans le sud de l'Italie et de ceux d'Ibiza dans les Baléares, alors que ceux du Sud-Est de la Corse se situent à part.

En conclusion l'ADN du chromosome Y en Corse montre plusieurs vagues de populations. La plus ancienne est caractérisée par l'arrivée de l'haplogroupe I2 au Mésolithique. De profonds changements démographiques au Néolithique sont identifiés par la présence de l'haplogroupe G. L'Âge du Cuivre voit l'arrivée de l'haplogroupe R dans l'île. La différence de distribution des deux sous-clades R1b-U152 et R1b-U106 peut correspondre aux deux groupes de statue-menhirs érigées à l'Âge du Bronze et répartis au nord et au sud. Le peuplement de la cité Grecque d'Alaria semble correspondre au maximum de fréquence de l'haplogroupe E1b-V13. Concernant les relations entre la Corse et la Sardaigne, les résultats de cette étude suggèrent deux histoires génétiques différentes, bien que des similarités existent qui font échos aux similarités archéologiques entre la Corse du Sud et la Sardaigne au Mésolithique, et à la similarité des cultures Nuragique et Torréenne. La distribution de l'haplogroupe G suggère également une continuité entre la Corse du Sud et la Sardaigne, alors que celle de l'haplogroupe I suggère une distinction. En effet le bloc Corso-Sarde est caractérisé par un contraste climatique. Les sédiments glaciaires en Corse du Nord suggèrent trois épisodes glaciaires, alors que ces sédiments sont absents en Sardaigne. Il est raisonnable de penser que les premiers Mésolithiques sont arrivés en Sardaigne, là où le climat est plus favorable, avant de rejoindre la Corse lorsque la température s'est adoucie.