Il est connu que l'homme moderne est arrivé dans le sud-est Asiatique il y a entre 50.000 et 40.000 ans. En effet, les restes humains trouvés dans la grotte Niah à Bornéo, dans la grotte Callao aux Philippines et à Tam Pa Ling au Laos datent de cette période. A cette époque, les îles de Sumatra, Java et Bornéo étaient rattachées au continent pour former le Sunda, séparé par un bras de mer du Sahul incluant notamment l'Australie et la Nouvelle-Guinée. Un certain nombre de populations du Sud-Est Asiatique sont supposées descendre directement des premiers habitants du Sunda. Ce sont les négritos que l'on trouve dans les îles Andaman, la péninsule Malaisienne et plusieurs îles des Philippines. Elles sont généralement associées à un mode de subsistance de chasseurs-cueilleurs et montrent des caractéristiques physiques spécifiques comme leur petite taille, les cheveux frisés et la peau sombre. Ces observations ont laissé pensé que les négritos étaient apparentés aux pygmées d'Afrique qui montrent des phénotypes identiques. Cependant ces traits physiques ont pu être obtenus indépendamment par convergence de l'évolution.

Timothy Jinam et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Discerning the Origins of the Negritos, First Sundaland People: Deep Divergence and Archaic Admixture. Ils ont génotypé l'ADN de quatre groupes négritos (Aeta, Agta, Batak et Mamanwa) et trois groupes non négritos (Tagalog, Visayan et Manobo) des Philippines. Ces résultats ont été comparés à ceux obtenus pour les négritos des îles Andaman (Onges et Jarawa) et de Malaisie (Jehai, Kintak et Batek) ainsi qu'à d'autres groupes non négritos (Temuan et Bidayuh) de la région:
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Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. Dans la figure ci-dessous la première composante sépare les négritos des îles Andaman (à gauche) des autres populations alors que la seconde composante sépare les populations de Malaisie (en bas), des populations des Philippines (en haut):
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Si les papous et les Mélanésiens étaient inclus dans cette figure, les négritos des Philippines seraient situés entre les papous et les négritos de Malaisie le long de la seconde composante. Si on supprime les négritos des îles Andaman, la première composante sépare les Aeta, Agta et Batak des autres populations. Ces populations s'étirent le long de la première composante indiquant différents niveaux de mélanges génétiques avec les populations voisines non négritos:
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De la même façon les Mamanwa s'étirent le long de la seconde composante et se rapprochent de leurs voisins non négritos: Manobo.

Les auteurs ont également fait une analyse avec le logiciel ADMIXTURE:
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Pour K=7, la composante orange est majoritaire dans les groupes Austronésiens non négritos, avec des proportions diverses dans les groupes négritos Philippins indiquant différents degrés de mélange génétique. Ainsi les Bataks ont le plus de composante orange en accord avec la PCA dans laquelle ils étaient proches des populations non négritos des Philippines. Pour K=6 les Mamanwa ont leur propre composante blanche et pour K=7 les Batek ont leur propre composante jaune, indiquant ainsi pour ces deux populations l'existence d'une dérive génétique.

L'utilisation de la statistique D confirme des mélanges génétiques entre les populations négritos des Philippines et leurs voisins non négritos.

Les auteurs ont ensuite construit un arbre phylogénétique pour estimer les temps de divergence entre les différentes populations. Ainsi les résultats montrent que les populations du Sud-Est Asiatique se sont d'abord séparées des Ouest Eurasiens. Ensuite les papous et les Mélanésiens se sont séparées des autres populations du Sud-Est Asiatique, suivis des négritos des îles Andaman, des négritos de Malaisie, des négritos des Philippines et enfin des populations non négritos:
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Ils ont ensuite utilisé le logiciel TreeMix pour estimer les différents flux de gènes. Ainsi il y a un flux de gènes des Dénisoviens vers les papous (4,6%), mais aussi des Dénisoviens vers certains négritos des Philippines (Agta et Aeta) (1,4%). Il y a également un flux de gènes important des Malaisiens non négritos vers les négritos Malaisiens (47%).

La statistique f4 confirme que le flux de gènes des Dénisoviens est plus important chez les papous, puis les négritos Philippins:
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Enfin l'estimation des dates de divergence entre populations montre que les Européens se sont séparés des Asiatiques du Sud-Est il y a entre 38.000 et 30.000 ans et les négritos Malaisiens se sont séparés des négritos Philippins il y a entre 15.000 et 13.000 ans.

Ensuite les auteurs ont recherché les différents gènes similaires parmi les différentes populations négritos. Ainsi ils ont mis en évidence certains gènes associés à la couleur de la peau (OCA2 et SLC45A2), à la taille (ACAN et ADAMTS17), à la forme du visage (PAX3, PREP et GRID1) et à la résistance contre la malaria (IL4 et CDH13).

En conclusion cette étude a montré que les négritos des îles Andaman, de Malaisie et des Philippines représentent une des plus anciennes branches du Sud-Est Asiatique qui se sont séparées des autres populations juste après les aborigènes Australiens et les papous.