La grande majorité de l'ascendance génétique des populations Européennes dérivent de trois sources distinctes: une ascendance héritée des groupes Mésolithiques, une ascendance reliée à la migration des fermiers du Néolithique originaires d'Anatolie, une ascendance issue des steppes Ponto-Caspiennes liée à la migration de pasteurs associés au complexe Yamnaya durant le troisième millénaire av. JC., et qui se diffuse avec les cultures Cordée et Campaniforme en Europe. Cette dernière transformation est aussi détectée à travers les marqueurs uniparentaux puisqu'elle est liée à l'apparition des haplogroupes mitochondriaux I, T1, U2, U4, U5a, W et quelques sous-clades de H, et des haplogroupes du chromosome Y R1a et R1b.
Cependant il y a très peu de données génétiques sur la transition entre l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer en Europe. Le fer est utilisé en Europe occidentale à partir du 8ème siècle av. JC. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l'expansion du fer dont une migration de population en provenance d'Europe de l'Est basée sur la linguistique et l'apparition des épées de Hallstat en Gaule notamment. La seconde hypothèse réside dans des changements économiques progressifs associés à une continuité culturelle et biologique.
Claire-Elise Fischer et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: The multiple maternal legacy of the Late Iron Age group of Urville-Nacqueville (France, Normandy) documents a long-standing genetic contact zone in northwestern France. Ils ont analysé l'ADN d'un groupe de l'Âge du Fer issu de la nécropole d'Urville-Nacqueville en Normandie, France. Ce site archéologique est situé à l'extrémité de la presqu'île du Cotentin, face à l'Angleterre:
Cette région du nord-ouest de la France entretient des échanges culturels avec l'Angleterre depuis des millénaires, à travers la manche, notamment à l'époque du Campaniforme, mais aussi à l'Âge du Bronze où les tumulus Armoricains et ceux du Wessex expriment le prestige des élites qui contrôlaient les échanges commerciaux à longue distance. Ces échanges ont perduré tout le long de l'Âge du Bronze et de l'Âge du Fer. Dans ce contexte d’interactions complexes, le site d'Urville-Nacqueville, occupé entre 120 et 80 av. JC., tenait une position géographique importante. Il comprend plus d'une centaine d'individus déposés en crémations ou inhumations. Les auteurs ont testé uniquement les marqueurs uniparentaux: ADN mitochondrial et du chromosome Y. Les auteurs ont ainsi testé 45 individus inhumés dans ce cimetière sur 18 SNPs mitochondriaux et 10 SNPs du chromosome Y permettant de discriminer les principaux haplogroupes ouest Eurasiens. Ils ont de plus séquencé la région HVR1 de l'ADN mitochondrial. L'ensemble de ces tests a été fait en utilisant la vieille méthode PCR fortement sujette à la contamination. Malheureusement ce laboratoire n'est toujours pas passé au séquençage de nouvelle génération.
Les auteurs ont obtenu des résultats mitochondriaux pour 39 individus sur les SNPs et 37 individus sur la séquence HVR1, mais des résultats sur le chromosome Y pour 4 individus seulement. Ce dernier résultat est logique avec cette vieille méthode PCR. Les haplogroupes mitochondriaux obtenus sont K1 (20,5%), J1 (7,7%), H (12,8%), H1 (10,3%), H2 (5,1%), H3 (2,6%), H5 (2,6%), H6/8 (5,1%), H11 (2,6%), U4 (5,1%), U5a (7,7%), I (5,1%), V (5,1%), T1 (5,1%) et T2 (2,6%). Ils ont également obtenus 23 haplotypes différents. Sept haplotypes sont partagés par plusieurs échantillons indiquant probablement des liens maternels entre ces individus. La diversité mitochondriale de cette nécropole est similaire à la diversité obtenue pour plusieurs groupes Néolithiques, Chalcolithiques ou de l'Âge du Bronze en Europe. Elle est ainsi légèrement inférieure à celle des Scythes du nord de la Mer Noire, mais supérieure à celle des groupes de l'Âge du Fer en Allemagne ou en Espagne. Cette forte diversité mitochondriale de la nécropole d'Urville-Nacqueville peut être liée à un système matrimonial patrilocal dans lequel les femmes migrent au mariage pour rejoindre leur mari. Les quatre résultats sur le chromosome Y obtenus dans cette étude donnent un haplogroupe R hérité des migrations Yamnaya en Europe.
Pour comparer les résultats obtenus dans cette étude avec d'autres résultats obtenus préalablement sur d'anciens groupes Européens, les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales basée sur la fréquence des différents haplogroupes mitochondriaux. La figure ci-dessous présentent les trois premières composantes (composantes 1 et 2 en haut et 1 et 3 en bas):
La figure du haut montre que les deux premières composantes permettent de séparer les groupes de chasseurs-cueilleurs (en haut à droite), de fermiers du Néolithique (à gauche) et de l'Âge du Bronze (au milieu en bas). Le groupe de l'Âge du Fer d'Urville-Nacqueville se situe à proximité des autres groupes de l'Âge du Fer d'Espagne et d'Allemagne, à proximité des groupes de l'Âge du Bronze. Sa position est donnée notamment par une proportion importante des haplogroupes U4 et I partagée avec les groupes de l'Âge du Bronze et héritée de la population Yamnaya, mais aussi par la fréquence des haplogroupes V (plus forte) et U5 (plus faible) qui la distingue des groupes de l'Âge du Bronze. Ces différences ont pu être alimentées par les échanges commerciaux le long de la façade Atlantique entre la péninsule Ibérique, la France et la Grande-Bretagne.
La figure du bas montre que le groupe d'Urville-Nacqueville se situe à proximité du groupe du Néolithique Moyen de France ce qui tend à montrer une certaine continuité mitochondriale entre le Néolithique et l'Âge du Fer. Cette continuité fait écho à la continuité identifiée par la proximité des groupes de l'Âge du Fer avec ceux de l'Âge du Bronze dans la figure du haut. Cette continuité génétique entre l'Âge du Bronze et l'Âge du Fer conforte l'hypothèse des changements économiques progressifs associés à une continuité culturelle et biologique.
Les auteurs ont ensuite comparé les résultats mitochondriaux obtenus pour le groupe d'Urville-Nacqueville avec ceux obtenus sur des populations actuelles Européennes et notamment de France, dans différentes régions en réalisant une PCA:
Le groupe d'Urville-Nacqueville tombe en dehors des populations actuelles, mais cependant proche des populations de Grande-Bretagne et de Normandie.
Les auteurs ont ensuite regardé les haplotypes partagés entre le groupe d'Urville-Nacqueville et les populations actuelles. Trois haplotypes sont spécifiques à la population d'Urville-Nacqueville, montrant ainsi la perte de certain lignages maternels depuis l'Âge du Fer. Enfin quinze haplotypes sont partagés entre la population d'Urville-Nacqueville et les populations actuelles en France, Espagne, Grande-Bretagne et dans la région Baltique. Le partage d'haplotypes entre le groupe d'Urville-Nacqueville et la France du nord-ouest confirme la continuité génétique entre l'Age du Fer et aujourd'hui dans cette région. Le partage d'haplotypes entre l'Espagne, la France et la Grande-Bretagne confirme les échanges commerciaux importants le long de la façade Atlantique. La région Baltique a conservé de nombreux haplogroupes mitochondriaux spécifiques des pasteurs des steppes: U4, T1 et U5a, ce qui peut expliquer le partage d'haplotypes avec le groupe d'Urville-Nacqueville.
ADN mitochondrial ancien dans un groupe Celte de Normandie
lundi 10 décembre 2018. Lien permanent ADN ancien
Fil des commentaires de ce billet
Ajouter un rétrolien
URL de rétrolien : http://secher.bernard.free.fr/blog/index.php?trackback/368
6 réactions
1 De Claire-Elise - 13/12/2018, 14:12
Bonjour,
Les analyses sur ce site se poursuivent et les données génomiques portant sur ces vestiges seront étudiées prochainement, dans le cadre de ma thèse.
En tout cas, merci et bravo pour votre travail sur ce blog qui permet de relayer de façon très claire l'actualité scientifique !
2 De Bernard - 13/12/2018, 14:33
Bonjour Claire-Elise,
Merci pour votre message encourageant et bravo pour votre travail dans le cadre de votre thèse! Je suis ravi de savoir que vous travaillez maintenant sur le génome de ces échantillons.
3 De philippe - 08/01/2019, 14:30
Je ne comprends pas une chose; pourquoi sur le PCA, le grroupe UN est-il plus proche de l'Angleterre que de la Sarthe & du Morbihan alors que la Fst entre ces deux régions & le groupe UN est inférieure à celle entre UN & le groupe anglais?
4 De Bernard - 08/01/2019, 16:14
Bonjour Philippe,
Il est toujours difficile de comparer les résultats de deux outils statistiques différents. A priori la PCA compare la fréquence des haplogroupes entre populations, alors que la Fst établi une distance entre les différents haplotypes de deux populations différentes.
5 De philippe - 08/01/2019, 18:43
Bonjour Bernard & bonne année!
Merci encore pour votre travail de vulgarisation. A ma connaissance, vous êtes le seul en France à le faire. Grâce à vous, j'apprends & j'arrive à suivre, alors que je n'ai aucune formation scientifique.
Pour en revenir à l'étude, doit-on en déduire qu'il n'ya pas de corrélation entre la fréquence des haplotypes & la Fst?
Intuitivement, je pensais que si; probablement en raison d'une mauvaise compréhension de ce qu'est la Fst, appelée communément "distance génétique".
Peut-être à tort?
Du reste, je ne sais pas comment la Fst est calculée...
6 De Bernard - 08/01/2019, 21:29
Si bien sûr, il y a une corrélation entre la similarité des fréquences des haplogroupes et la distance génétique. Ce qu'il faut retenir de cette étude c'est que la population d'Urville-Nacqueville est à la fois proche des populations Françaises actuelles du Nord-Ouest et des populations Anglaises actuelles.