Les preuves génétiques, archéologiques et linguistiques en Afrique montrent une histoire démographique complexe. L'homme moderne est apparu il y a environ 300.000 ans en Afrique avant qu'une partie de cette population quitte l'Afrique il y a environ 60.000 ans. Peu d'études ont analysé l'histoire démographique de l'homme moderne en Afrique durant ce laps de temps parce que les données archéologiques sont rares et les reconstructions linguistiques ne permettent pas de remonter loin dans le passé. D'autre part l'expansion Bantoue du néolithique a impacté de manière significative le paysage génétique et la diversité culturelle du continent. Si les langues Bantoues appartiennent à la famille Niger-Congo, d'autres familles linguistiques comme les familles Nilo-Saharienne et Afro-Asiatique sont parlées par des populations pastorales ou agricoles d'Afrique de l'Est, du Nord ou du Centre. Une quatrième famille linguistique contenant des clics inclue plusieurs langues parlées par des populations de chasseurs-cueilleurs comme les Khoisan d'Afrique du Sud, ou les Hadza et les Sandawe d'Afrique de l'Est. Plusieurs langues Africaines ne sont pas classifiées dans des familles et sont considérées comme des isolats linguistiques. Par exemple la langue Shabo est parlée en Éthiopie par la population Sabue ou la langue Dahalo est parlée au Kenya et contient des clics. La question de savoir si les chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'Est et d'Afrique du Sud partagent une ascendance commune est actuellement débattue.

Laura Scheinfeldt et ses collègues viennent de publier un papier intitulé: Genomic evidence for shared common ancestry of East African hunting-gathering populations and insights into local adaptation. Ils ont séquencé le génome de 724 individus appartenant à 46 populations Africaines dont 16 populations de chasseurs-cueilleurs. Les auteurs ont également ajouté 4 populations préalablement étudiées: Mozabites du Maroc, Mbuti du Congo, San de Namibie et d'Afrique du Sud et Mandenka du Sénégal. Dans la figure ci-dessous, la couleur de chaque population correspond à la famille linguistique: Afro-Asiatique (violet), Niger-Congo (jaune), Nilo-Saharienne (rouge), langues à clic (bleu clair) ou correspond aux pygmées (vert) :
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Les auteurs ont réalisé une Analyse en Composantes Principales. La première composante sépare les Mozabites à droite des chasseurs-cueilleurs San ou Mbuti (à gauche), la seconde composante sépare les populations Niger-Congo (en haut) des chasseurs-cueilleurs San (en bas):
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Ces résultats montrent une forte corrélation entre la génétique et la géographie. De manière intéressante, les chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'Est: Hadza, Sandawe, Sabue et Dahalo se regroupent davantage entre eux qu'avec d'autres populations plus proches géographiquement. De plus les Hadza, Sabue et Dinka se regroupent le long de la troisième composante. Les Dinka sont un peuple d'agriculteurs du sud du Soudan. Ces résultats impliquent une ascendance commune entre ces trois populations.

Les auteurs ont ensuite réalisé une analyse avec le logiciel ADMIXTURE dont les résultats sont optimal pour K=9:
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Certaines populations sont caractérisées par une ascendance prédominante comme les Mozabites (bleu foncé), les San (vert clair), les pygmées (vert foncé), les Hadza (jaune), les Dahalo (rose) et les Sabue (bleu clair). A part les Mozabites, toutes ces populations sont des chasseurs-cueilleurs. Cependant, les Sandawe qui sont aussi des chasseurs-cueilleurs ne sont pas caractérisés par une composante ancestrale dominante. De même que les Elmolo, Yaaku, Boni, Wata, Ogiek et Sengwer qui partagent des ascendances avec les populations agricoles ou pastorales voisines. Ces dernières populations sont supposées avoir perdu leur mode de vie agricole ou pastoral et être retourné à une mode de subsistance basé sur la chasse et la cueillette.

Les auteurs ont ensuite estimé la taille de la population effective de ces différentes populations à l'aide d'une méthode basée sur le déséquilibre de liaison. Notamment les populations Hadza, Dahalo et Sabue sont caractérisées par une faible taille de population (autour de 10.000 individus) en rapport avec leur faible nombre d'individus recensés (entre 1000 et 3000). A l'inverse les pygmées et les Sandawe ont une taille de population plus importante (autour de 18.000) en rapport également avec leur plus grand nombre d'individus recensés (autour de 30.000). Enfin les populations agricoles ou pastorales ont une taille effective plus importante.

Les auteurs ont également étudié les segments d'homozygotie (ROH) et les segments Identiques par descente (IBD). Ainsi les Hadandawa-Beja ont un grand nombre de ROH, mais un faible nombre d'IBD indiquant ainsi une consanguinité importante. Les Hadza ont un grand nombre de ROH et d'IBD indiquant une population peu nombreuse et caractérisée par une forte endogamie sur le long terme.

Les auteurs ont ensuite construit un arbre phylogénétique basé sur la distance génétique (statistique Fst):
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De manière intéressante cet arbre respecte l'affiliation linguistique des différentes populations. De plus les chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'Est: Hadza, Sabue, Sandawe et Dahalo se regroupent ensemble. De même les San se regroupent avec les pygmées. Par contre les autres populations de chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'Est se regroupent avec leurs populations agricoles ou pastorales voisines.

Les auteurs ont ensuite estimé les dates de divergence entre les différentes populations de chasseurs-cueilleurs d'Afrique de l'Est par des méthodes Bayésiennes:
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Ainsi la divergence entre ces différentes populations est ancienne entre 70.000 et 30.000 ans, sauf entre Hadza et Sandawe où elle est estimée entre 22.000 et 13.000 ans.